Le Maroc continue d’observer les manifestations en Algérie en étant discret. Normal. Il ne peut qu’être solidaire du peuple algérien qui fait preuve d’une maturité exceptionnelle et d’une discipline remarquable. Ce peuple de 41 millions d’habitants a un capital jeunesse formidable. 40% des Algériens ont moins de trente ans. Solidaire, mais le gouvernement marocain ne peut pas le dire. Le peuple, si. Il pourrait manifester son soutien comme jadis il l’avait maintes fois fait au moment de la lutte pour l’indépendance.
La France se trouve dans la même position. Déclaration officielle : «ni indifférence ni ingérence». Macron ne peut pas soutenir les manifestants en Algérie même si au fond de lui-même il espère un changement positif du système. Il ne peut pas parce qu’il y a deux mois il avait dit en parlant des Gilets jaunes, «ce n’est pas la rue qui gouverne». Même si les rues ne sont pas les mêmes, il ne peut pas prendre position tant les intérêts de part et d’autre sont importants. L’Algérie fournit 10% du gaz consommé en France. Ce pays reste le premier investisseur et premier fournisseur de l’Algérie (plus de 10 milliards d’Euros par an). Les deux pays sont liés et ne peuvent se passer l’un de l’autre. Des manifestations contre le cinquième mandat ont eu lieu à Marseille, Paris, Toulouse et d’autres villes. Macron suit les événements et attend.
Le Maroc ne demande pas mieux que l’Algérie se développe, s’épanouisse et se démocratise. C’est en étant heureuse qu’elle cessera d’avoir à l’égard de l’intégrité territoriale de notre pays une attitude négative: ce qui bloque toute solution à un conflit créé de toute pièce. Jamais le Maroc n’a cherché à créer des difficultés à la politique de son voisin.
Avec l’avènement d’une nouvelle Algérie, libre et décomplexée, il est fort probable que la page de ce conflit sera tournée. Parce que la question du Sahara fait partie intégrante du système affairo-militariste qui gouverne l’Algérie depuis 1962. En tout cas, c’est Bouteflika, alors ministre des Affaires étrangères du colonel Boumediene qui a créé, structuré et mis sur pied le mouvement séparatiste. Toute sa politique à l’étranger a été marquée par la défense et le soutien des séparatistes. Ainsi, si effectivement il quitte le pouvoir sous la pression de la rue, c’est toute sa politique qui sera désavouée et mise à la poubelle. Il s’en ira, le Polisario dans ses bagages.
Les Algériens ne demandent pas mieux que d’entretenir de bons rapports de voisinage avec le Maroc. C’est l’appareil militaire qui s’est toujours opposé à une telle normalisation. On raconte qu’un jour quelqu’un a demandé à Bouteflika pourquoi il refusait d’ouvrir les frontières avec le Maroc, il aurait répondu «vous imaginez, tous les Algériens vont se précipiter pour aller dans ce pays!»
Le système en place est de plus en plus isolé. Ainsi, les gardiens de la mémoire de la lutte pour la libération de l’Algérie rejoignent les manifestants. Nombre de patrons dans le forum des chefs d’entreprise se sont démarqués de Bouteflika. Il n’y a pas que les jeunes assoiffés de liberté et de dignité qui sont dans la rue.
Certains espèrent une sortie de crise par une transition douce. Mais ce n’est pas dans le tempérament de l’armée et de ceux qui ont tant profité du pays. D’autres pensent que Bouteflika prendra conscience de la gravité de la situation et renoncera à se représenter. Mais des communiqués, fabriqués à Alger, lui font dire autre chose à Genève. L’écrivain Kamel Daoud a remarqué que les manifestants brandissent des cadres vides; allusion aux portraits du chef de l’Etat qui ont remplacé le président disparu. Pour lui, une digue est brisée. Il écrit: «la honte subie devient colère. Et, dans l’élan de l’inventivité, des jeunes scanderont des slogans mais s’afficheront avec de belles trouvailles: des cadres vides, comme des fenêtres brandies, donnant… sur la foule, les manifestants, la ville, le ciel, le portrait sacré est renversé par le portrait réel. Jamais on ne vit de par le monde, une guerre ouverte, ainsi campée, entre portraits. Ceux du réel, ceux de l’homme irréel.»
Bouteflika est rentré hier à Alger. Prendra-t-il la parole ? Ce serait de l’ordre du miracle.