Le Maroc actuel vu par un Marocain...

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ChroniqueLes carnets de voyages sur la Chérifie abondent mais ils sont rarement dus à des Marocains. Il y a des exceptions et notre chroniqueur s’attarde sur l’une d’entre elles, toute récente.

Le 21/04/2017 à 11h44

Entrez dans telle ou telle librairie de Marseille, Nice ou Paris (1), spécialisée en littérature de voyages, et demandez le rayon Maroc.

Vous serez étonné de voir le nombre d’auteurs qui ont décrit, depuis deux siècles, les villes, les côtes, les djebels, les forêts, (etc.) du pays de l’Atlas: Charles de Foucauld, le marquis de Segonzac, les Frères Tharaud, le prince Aâge de Danemark, le colonel Justinard, François Bonjean, Joseph Peyré, Antoine de Saint-Exupéry, Colette, Eugène Delacroix, Mark Twain, Pierre Loti, Ruben Dario, Tristan Tzara, Henri Bosco, Elias Canetti, Arthur Koestler, Ernest Junger, Brion Gysin, Paul Bowles, etc., etc.

Arrêtez, n’en jetez plus !...

Pas un Marocain, malgré l’ombre universelle de l’illustre ancêtre voyageur Ibn-Battouta ! Lequel, il est vrai, préféra l’Orient jusqu’en Chine, au Rif ou à la Chaouïa…

Les randonnées de Si Jaouad

Aussi ai-je accueilli avec joie, et disons-le, un préjugé favorable, le petit volume de notre confrère Jaouad Mdidech, Visages et paysages au cœur du Maroc; un livre sur une vingtaine de sites, dans plusieurs cas, hors des sentiers battus, depuis le Toubkal jusqu’à Taroudant, de Moulay-Yacoub à Issaguen-du-Rif, et jusqu’à Dakhla, Demnate ou Hay-Mohammadi.

J’ai trouvé dans ces portraits de lieux, placés sous l’invocation du savant antique Pythagore («Laisse les grandes routes, prends les sentiers!»), le mélange de choses vues, cueillies sur le vif, de références historiques ou culturelles qu’on aime consulter quand on découvre un nouveau paysage, une cité inconnue. Par exemple, retrouver près de Ouarzazate les vieux murs ocres devant lesquels furent tournés des films fameux comme Lawrence d’Arabie ou Un thé au Sahara. Mdidech nous y conduit.

Le bourg de Nedali

Par le Haut Atlas, dont le sommet ne fut atteint qu’en 1881, par des Anglais, et qui suscita dès 1922 une branche marocaine du Club alpin français, nous passons par Tahanaout, le fief du romancier marocain contemporain, Mohamed Nédali, puis nous atteignons le fameux refuge du Toubkal que des randonneurs du monde entier ont vanté.

Ailleurs, à Missour, notre guide et auteur n’oublie pas de nous signaler cette curiosité faunique que sont devenues, dans la région, les outardes réintroduites, pour la chasse et la diversité, par un émir du Golfe arabo-persique.

Au-delà d’Azilal, nous écoutons le récit de sa vie par l’autodidacte Lahcène, ancien menuisier montagnard, ex-militaire aussi et qui, maintenant, reçoit des voyageurs dans le gîte rural qu’il a créé.

C’est le moment de s’informer auprès de cet homme du terroir sur la déforestation des djebels qui continue, malgré les promesses de lointains politiciens et bureaucrates de Rabat…

Le souvenir des Juifs

A Demnate qui, avec Sefrou, fut l’endroit de peuplement israélite au Maroc, où, selon les Marocains d’aujourd’hui, les «Juifs furent les plus heureux», on ne peut plus évoquer que le souvenir de cette présence hébraïque. Pourquoi a-t-elle disparu?

Certes, les services secrets de l’Etat d’Israël et le projet sioniste, encouragé au début par le gouvernement britannique, ont joué des rôles négatifs dans l’exode des Juifs marocains mais ce n’est pas la seule raison. A Tel-Aviv, je dînai, il y a quelques années, dans un restaurant tenu par d’anciens habitants israélites de Demnate, lesquels avaient apposé sur les murs de leur établissement des portraits de Mohammed V et d’Hassan II.

Pourquoi avez-vous quitté le Maroc où on dit que vous étiez heureux? Réponse du restaurateur: «Parce qu’avec l’indépendance on avait peur de devenir des dhimmis». Aux historiens non-idéologues du monde entier d’entrer dans le détail, dans le vif de cette épineuse question!

Jaouad Mdidech, lui, n’a aucun préjugé contre les lieux où il nous emmène, regrettant au passage qu’à Casablanca, le nom de l’écrivain égyptien moderniste Taha Husseïn ait été donné à la rue vouée auparavant au savant occidental Galilée, et alors que des tas d’artères casablancaises, portant des noms sans intérêt, pouvaient recevoir celui de Taha Husseïn…

On arrive trop vite à la fin de cette vingtaine de portraits de lieux; des lieux visités à fond et dont Mdidech a su, pour chacun, dégager l’âme ou au moins l’intérêt. On en lirait volontiers encore autant. Peut-être dans une prochaine édition? Puisqu’il paraît que notre confrère continue ses pérégrinations nationales.

(1) Au Maroc, non seulement, il n’y a pas encore de vrai rayon «Littérature de voyages» dans les librairies, mais il faut noter une fois de plus, pour la stigmatiser, l’attitude négative de la plupart des libraires de la place envers les auteurs marocains, à part une poignée de célébrités starisées, éditées à Paris. Sauf exception, malheur aux auteurs locaux publiés localement, ou bien en Europe mais chez de «petits éditeurs»…

Jaouad Mdidech, Visages et paysages au cœur du Maroc. Carnets de voyages. L’Harmattan. Paris. 148 pages. 2017.

Par Hugoz Péroncel
Le 21/04/2017 à 11h44