Il a suffi de quelques jours de pluie pour que Casablanca retrouve un état complètement anarchique. C’est le retour du sauve-qui-peut comme au temps des pionniers. Vous pouvez crier au scandale, au loup, au secours, il faudra vous débrouiller tout seul pour enjamber les flaques d’eau sur votre chemin.
Nous sommes comme dans «Un jour sans fin», où le héros revit le même jour, indéfiniment. Casablanca aussi est condamnée à revivre les mêmes séquences de cauchemar, quasi à l’identique. Un peu d’eau tombée du ciel et tout redevient anarchique, boueux, impraticable, ingérable.
La pluie, comme dit le dicton populaire, rend nu. Mais l’eau de pluie, comme tous les éléments naturels, n’est qu’un révélateur.
Qui gouverne Casablanca? En tout cas, ce n’est pas la pluie. Ni les élus qui dilapident les budgets colossaux de la ville dans des projets stupides (refaire les mêmes trottoirs, les mêmes égouts, à l’infini), coûteux mais ne rimant à rien (un théâtre ultra luxueux ou un espace vert finis mais jamais ouverts, pratiquement laissés à l’abandon).
Ce n’est pas l’eau de pluie qui a rasé les lieux de mémoire de Casablanca (immeubles classés, hôtels historiques, salles de spectacle) mais la spéculation et la prédation financière. Qui contrôle quoi, qui protège les intérêts de la ville et de ses habitants, surtout qui est prêt à assumer et à rendre des comptes? Ne cherchez pas, vous ne trouverez personne. Maire, wali et élus se renvoient la balle et assurent: «Ce n’est pas moi, c’est lui… C’est eux».
Regardez le spectacle des bâtiments qui s’effondrent. Le dernier en date est un immeuble à Derb Moulay Chérif, Hay Mohammadi. La vidéo qui circule, montrant l’effondrement subit du bâtiment de trois étages, est apocalyptique. C’est l’eau de pluie qui a «tué» l’immeuble et envoyé ses habitants dans la rue?
D’autres facteurs ont davantage tué l’immeuble de Derb Moulay Chérif et des centaines, des milliers d’autres immeubles. L’eau de pluie, les vents et les intempéries arrivent en dernier. Les incriminer, c’est comme imputer le drame à «pas de chance».
En réalité, ce qui tue c’est les permis de construire ou de casser accordés à tort et à travers. Ce qui tue, c’est l’absence de réhabilitation/renforcement de l’existant.
Ce qui tue, c’est l’incompétence et le laisser-aller. A Casablanca, cela fait longtemps qu’ils ont atteint des sommets.
En ce moment même, ce qui bloque réellement la ville, ce n’est pas l’eau de pluie mais les centaines de travaux qui charcutent tous les passages, dans tous les quartiers, et les font ressembler à des zones de guerre. A quoi servent donc ces «projets» polluants, interminables et extrêmement coûteux, si la ville n’est toujours pas capable de canaliser l’eau qui lui tombe sur la tête?