Fermeture du restaurant Foodie à Ifrane: injustice criante ou non-respect des lois?

Le restaurant Foodie à Ifrane, fermé le 24 mars 2022.

Le restaurant Foodie à Ifrane, fermé le 24 mars 2022. . DR

Depuis quelques jours, sous le hashtag #justice4foodie, une partie de la Toile marocaine s’est émue du combat mené par Otmane Barakat pour la réouverture de son restaurant, fermé par les autorités sanitaires de la ville d’Ifrane. Mais face à ce récit, la version des autorités locales apporte un autre éclairage sur cette affaire.

Le 17/06/2022 à 12h07

Depuis la fermeture le 24 mars 2022 de Foodie, un restaurant situé à Ifrane, son propriétaire, Otmane Barakat, a diffusé sur la Toile de nombreuses vidéos dans lesquelles celui-ci crie à l’injustice, dénonce la corruption des autorités de la ville, et se présente comme victime d’une véritable machination tel un David qui lutterait contre Goliath. Un récit dont les internautes ne connaissaient qu’une version unique, laquelle vient pourtant d’être contredite par un autre son de cloche, celui des autorités locales.

PréambuleL’histoire de ce jeune auto-entrepreneur, ancien étudiant de l’université Al Akhawayn, à Ifrane, a passionné la Toile. Et pour cause, celle-ci rassemble tous les éléments d’une success story dont Otmane Barakat entreprend la narration dans chacune de ses vidéos.

Il explique ainsi être originaire de Laâyoune et avoir entrepris dès 2012 ses études à l’université Al Akhawayn. Mais en cours de parcours universitaire, il se serait retrouvé dans l’incapacité de payer sa dernière année d’études au sein de la prestigieuse université. C’est ainsi, explique-t-il, qu’il aurait entrepris d’ouvrir un restaurant à Ifrane. C'est chose faite, le 31 octobre 2020. Puis, au début de l’année, poursuit-il, ayant pu bénéficier du programme Forsa mis en place au Maroc à destination des porteurs de projets, il décide de louer un entrepôt à Azrou, à quinze minutes d’Ifrane, afin d’y stocker sa marchandise.

Jusqu'ici tout va bien…Mais deux mois plus tard, la success story tourne au vinaigre. Interpellé un dimanche sur la route qui relie Azrou à Ifrane par des gendarmes, Otmane Barakat est arrêté avec seize kilos de viande de poulet transportés dans sa voiture personnelle. Premier hic, il transporte cette marchandise sans autorisation réglementaire et deuxième hic, cette marchandise provient du dépôt d’Azrou qu’il utilise sans licence d’exploitation.

Des infractions admises mais contestéesSi le jeune homme admet avoir commis ses deux infractions, il s’attache pourtant à dénoncer les conditions dans lesquelles son dépôt aurait été fermé et ses marchandises saisies, en criant au vice de procédures et en posant les bases d’une histoire de machination à son encontre.

Des gendarmes qui l’auraient attendu sur la route, une interpellation qui aurait été sciemment orchestrée, des marchandises considérées impropres à la consommation qui auraient été saisies et brûlées, avance-t-il, sans avoir été soumises à l’expertise d’un laboratoire,… Autant d’éléments narrés dans une vidéo montée par ses soins qu’il commente en voix off mais sans toutefois montrer les preuves qu’il jure pourtant avoir et qui prouveraient ce qu’il avance.

Après avoir inspecté et fermé son dépôt, la commission locale mixte et les gendarmes se rendent le jour même au restaurant Foodie pour l’inspecter à son tour. Une visite filmée par les caméras de surveillance de l’établissement et publiée sur les réseaux sociaux par Otmane Barakat qui commente la chose, en voix voix off, dans une vidéo montée par ses soins. Selon lui, son établissement aurait été fermé après que cette équipe d’inspection ait mis la main sur un paquet de six pains impropres à la consommation qui n’allaient pas être servis aux clients et qui étaient d’ailleurs dans un placard.

Le jeune homme avance n’avoir rien à se reprocher, mais aussi, avoir entrepris de nombreuses démarches restées sans réponse. Il serait seul au monde, face à un lobby visant à réduire à néant ses efforts… Puis le 11 juin, lors d’un live diffusé sur Facebook, il filme sa tentative de suicide en direct face à des internautes horrifiés, en avalant toutes sortes de médicaments et en expliquant encore une fois être une victime et ne pas comprendre pourquoi on s’en est pris à lui avec tant d’acharnement.

Fort heureusement, apprendra-t-on par la suite, le jeune homme a été transporté en urgence dans un hôpital à Fès, et serait actuellement suivi par un psychiatre.

L’autre facette d’une même histoireJusqu’à présent en retrait, la commune de Fès est sortie de son silence par le biais d’un communiqué diffusé le 16 juin. La commune y explique ainsi que la fermeture du Foodie a été décidée le 24 mars 2022 suite à un procès-verbal émis par la commission locale mixte de contrôle de la qualité et de la sécurité sanitaire, dans lequel il est fait état de plusieurs infractions, «portant atteinte à la santé des citoyens».

Et la commune d’énumérer lesdites infractions, en évoquant «des produits alimentaires impropres à la consommation», l’exploitation du dépôt d’Azrou qualifié de «clandestin», le transport des produits de consommation du dépôt au restaurant «sans le moindre respect des conditions sanitaires» ou encore, le non-respect des conditions d’hygiène et de sécurité au sein du restaurant où exerceraient par ailleurs des employés non munis de cartes sanitaires.

Des accusations graves auxquelles n’a pas encore réagi Otmane Barakat qui, s'il affirmait ne pas comprendre les raisons de cette interdiction injustifiée n’ayant obtenu aucune réponse à ses nombreuses demandes, se voit aujourd’hui débouté par ce communiqué dans lequel la commune affirme que «le propriétaire de l’établissement n’a pas entamé les démarches nécessaires» pour remettre son établissement aux normes et permettre sa réouverture.

Autre entorse à la version du jeune entrepreneur, s’il affirme de son côté n’avoir reçu aucun avertissement de la part des autorités avant fermeture de son établissement, la commune, elle, indique avoir bien adressé un avertissement suite au procès-verbal établi par la commission locale mixte. Et d’après la commune, la réouverture du restaurant Foodie serait conditionnée par la mise en œuvre des conditions requises par cette même commission. En effet, est-il expliqué, dès lors, la commune procèdera aux mesures nécessaires pour autoriser le concerné à reprendre son activité.

La province d’Ifrane enfonce le clouAprès la commune, c’est au tour de la province d’Ifrane de sortir de sa réserve avec une mise au point publiée le 16 juin dans laquelle celle-ci taxe de «fallacieuses» les accusations portées contre les autorités locales suite à la fermeture du restaurant Foodie. La province dénonce ainsi la diffusion sur les réseaux sociaux d’une vidéo «comportant des déclarations truffées de contrevérités, à travers lesquelles un individu accuse les autorités locales de la province d'Ifrane de la fermeture d'un local qu'il exploitait, d'abus et de favoritisme, entre autres allégations et contrevérités sans fondements».

Revenant point par point sur le récit avancé par le restaurateur, la province d’Ifrane explique que l’intéressé a bien été arrêté en mars dernier «au niveau d'un barrage judiciaire», et non de façon arbitraire comme il l’avance, parce qu’il était «en possession de denrées alimentaires et de viandes d'origine douteuse», qu’il transportait de surcroît «en l'absence des conditions d'hygiène requises pour le transport de ces produits».

«En conséquence, et sur la base des instructions du ministère public, la commission provinciale mixte compétente a été convoquée pour inspecter le magasin où devraient être acheminés ces produits périmés», poursuit-on dans cette mise au point.

Puis, la province d’Ifrane revient sur les faits qui ont précédé la fermeture du restaurant de Otmane Barakat. S’agissant de l’entrepôt d’Azrou, fermé abusivement selon son occupant par les autorités, on apprend ainsi, dans cette deuxième version d’une même histoire, qu’«il a été procédé au contrôle d'un local destiné à la préparation et au stockage des denrées alimentaires sis dans la ville d'Azrou, ayant fait l'objet d'une série de manquements, dont l'absence de la licence d'exploitation délivrée par les services communaux concernés et le non-respect des normes sanitaires, techniques, d'hygiène et de sécurité nécessaires à l'exercice de ce type d'activités, ainsi que d'autres infractions liées à l'embauche des employés sans déclaration et sans documents sanitaires nécessaires à cet égard».

Pour ce qui en est des marchandises saisies et brûlées tout aussi abusivement selon Otmane Barakat, la province explique qu’«étant donné que les denrées saisies, soit dans le véhicule utilisé par l'intéressé soit à l'intérieur du magasin concerné, constituent un danger pour la santé des citoyens, il a été procédé, sous la supervision du parquet compétent, à la destruction de ces produits conformément aux procédures et méthodes en vigueur».

Enfin, s’agissant de l’inspection réalisée au restaurant Foodie et dont la scène, filmée par les vidéos de surveillance du restaurant a été divulguée par Otmane Barakat qui crie à la machination en dénonçant des vices de procédure, la province d’Ifrane apporte là aussi son éclairage: «de surcroît, et sur la base des instructions du ministère public, des procédures ont également été activées pour mener une inspection dans le local que l'intéressé exploite dans la ville d'Ifrane, où une série de manquements ont été constatés, notamment le non-respect des normes sanitaires, techniques, d'hygiène et de sécurité, outre le fait de faire travailler des employés sans les déclarer et sans documents sanitaires. Des produits alimentaires, dont la date de préemption a expiré, ont été également saisis et détruits».

In fine, conclut-on dans cette mise au point, «vu que les infractions constatées à l'encontre de l'intéressé représentent une menace grave à la santé des citoyens, une intervention des autorités communales à Azrou et à Ifrane a été ainsi demandée pour prendre des mesures préventives portant sur la fermeture des deux locaux dans l'attente d'une décision des autorités judiciaires».

Epilogue…Enfin, précise la province d’Ifrane, «étant donné que les faits liés à cette affaire font actuellement l'objet de procédures devant la justice, il importe de se limiter, actuellement, aux explications qui suivent, dans le but d'éclairer l'opinion publique à cet égard et de démentir les contrevérités véhiculées par l'individu dans ladite vidéo». 

Otmane Barakat fait quant à lui actuellement l’objet d’une poursuite judiciaire sur la base d’une décision du Parquet. Il lui appartiendra alors d’apporter les preuves irréfutables de ce qu’il avance, sans quoi ses accusations demeurent pour le moment, estime la province d’Ifrane «de vaines allégations» qui «n'ont aucun rapport avec la réalité».

Par Zineb Ibnouzahir
Le 17/06/2022 à 12h07