La sommation d’Abdelmadjid Tebboune aux entreprises met à nu son incapacité à s’élever à la fonction présidentielle

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune. 

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune.  . DR

La récente décision du président algérien, menaçant les entreprises de son pays qui traiteraient avec le Maroc et autres prétendus «lobbies hostiles à l’Algérie», a mis à nu l’incapacité d’Abdelmadjid Tebboune à s’élever au niveau de la fonction présidentielle. Analyse.

Le 12/05/2021 à 17h04

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a distribué, le 25 avril 2021, aux membres du gouvernement un document dont le contenu, éventé dimanche dernier, est plus que surprenant. Il y enjoint à ses ministres et aux entreprises algériennes, publiques ou privées, de rompre immédiatement tous les contrats signés avec des entreprises marocaines.

D’aucuns se demandent la raison de ce prurit marocain. En tout cas, les justifications de l’instruction de Tebboune tiennent de l’expédient: établir «des contrats avec des entreprises d’origine marocaine», nouer «des relations contractuelles avec des entités étrangères sans considération des intérêts économiques et stratégiques du pays» ou encore une prétendue dilapidation de devises que l’Algérie est censée pouvoir économiser.

Ce document porte bizarrement la mention «Instruction présidentielle n° 01», comme si Tebboune venait juste d’accéder à la fonction de Président, alors qu’il est à la tête de l’Algérie depuis maintenant 17 mois.

Le document n’en reste pas moins troublant, puisqu’il n’a été rendu public que plusieurs jours après sa distribution aux membres du gouvernement lors du Conseil des ministres du dimanche 25 avril dernier. Il n’a pas non plus eu droit de cité dans les médias publics officiels, pourtant prompts à se délecter de tout ce qui peut porter atteinte au Maroc. Ceux dits indépendants, mais proches des «services» de l’armée, l’ont cependant largement repris et commenté lundi dernier.

Pour certains analystes algériens, cette «instruction présidentielle» est non seulement scandaleuse dans son contenu et sa forme, mais donne clairement la preuve qu’Abdelmadjid Tebboune occupe un poste trop grand pour lui. Car signer un acte de ce genre est indigne d’un chef d’Etat. Même un préfet y aurait trouvé à redire. Mais décidément les longues années que Tebboune a passées en tant que wali déterminent sa façon de travailler, même quand il a été catapulté chef d’Etat.

Dans quel autre pays du monde un chef d’Etat descendrait-il aussi bas pour nommer des entreprises de son pays, certaines petites par leur taille, et les sommer comme un contremaître de résilier des contrats avec un fournisseur? Tebboune doit se tourner les pouces et être bien oisif pour taper du poing sur la table en s’immisçant dans les choix des prestataires d’entreprises algériennes.

Plus scandaleux encore, Tebboune a décrété dans son «instruction» que le non-respect de la rupture des contrats dans un délai de 10 jours exposera les contrevenants à de lourdes sanctions pénales pour cause d’«atteinte à la sécurité de l’Etat» et autres «concussion» et «complicité» avec l’ennemi. Tebboune blâme, Tebboune menace, Tebboune crie, Tebboune gesticule, mais Tebboune ne décide pas. Car cette sortie intempestive cache une crise d’autorité que le président illégitime et impopulaire a bien du mal à cacher.

Est-ce que les contrats incriminés par Tebboune ont été résiliés, puisque l’instruction présidentielle date du 25 avril et que l’ultimatum de 10 jours, fixé par le président, est dépassé? Rien n’est moins sûr, car deux des entreprises citées par Tebboune, la SAA et la CAAR, sont des sociétés étatiques d’assurance, et qu’il leur sera impossible de remplacer le logiciel fourni par une société «d’origine marocaine» dans un délai aussi court, sous peine de mettre à l’arrêt leurs activités.

Cette instruction est à l’image du mandat d’un président qui gouverne par des instructions péremptoires, laissées souvent sans suite. Et même quand l’exécutif tend à honorer l’ordre présidentiel, il le fait seulement pour la photo, à l’instar de l’instruction donnée par Tebboune le 20 décembre 2020 pour lancer la campagne de vaccination avant le 31 janvier 2021. Ce 12 mai, la campagne de vaccination n’est toujours pas effective en Algérie et aucun chiffre fiable n’est disponible sur le nombre d’Algériens qui ont reçu une dose contre le Covid-19.

Si Tebboune souffre d’une crise d’autorité, c’est que les généraux décident presque de tout. L’«instruction présidentielle n° 01» est le cri de rage d’un Président qui se sent très à l’étroit dans le petit espace que la junte militaire lui a laissé pour s’exprimer. Cette instruction 01 sera-t-elle suivie par des sœurs portant numéros 02, 03, etc.? Rien n’est moins sûr. Car les généraux peuvent interdire à Tebboune même le droit de crier sa rage dans des ordonnances qui couvrent le pays de ridicule.

Par Mohammed Ould Boah
Le 12/05/2021 à 17h04