Akdital: des soins et des liens… risqués avec la finance
Par Fahd Iraqi le 24/04/2022 à 09h58
Si l'argent des cliniques privées provoque d'emblée des allergies, le modèle économique du groupement Akdital peut s'avérer plus irritant. Allier les exigences de rentabilité du capital investissement à la concentration de l'offre de soins est un protocole expérimental périlleux. Scanner.
Spot télé en prime time ramadanesque, livre blanc prodiguant les bonnes pratiques du circuit de soins, conférence réunissant au moins deux anciens ministres marocains de la Santé, annonces de montages financiers et d'investissements qui s'enchaînent… Le groupe Akdital ne cesse de soigner son image, à coups de dépenses marketing, pour se positionner en tant qu'acteur privé de référence de la santé au Maroc.
«Akdital communique en tant que groupe et non pas comme groupement de cliniques. Il repousse les limites du Code de déontologie des médecins, qui interdit tous les procédés de réclame ou de publicité, mais reste dans la marge de la légalité. Il ne se vante pas de soigner telle pathologie dans tel établissement», explique un manager chevronné d'une clinique privée.
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La visibilité outrancière du groupe lui a valu une violente campagne de dénigrement sur les réseaux sociaux, en marge d'un scandale d'escroquerie à l'égard de mécènes, impliquant un des «barons du bistouri» à Casablanca. Un «bad buzz» que le groupe Akdital a espéré inverser en se payant un démenti fleuve sur l'agence officielle MAP où, bien évidemment, il dénonce les calomnies et vante sa transparence. Celle-ci reste néanmoins à relativiser: ni le service de communication d'Akdital Holding ni son PDG, Rochdi Talib, n'ont jugé utile de répondre aux questions adressées par Le360.
Cliniques & Pratiques
Il faut croire que derrière l'image aseptisée d'un groupe moderne se dissimule une galaxie alambiquée de cliniques privées où les pratiques restent symptomatiques de la gangrène répandue dans le secteur de la santé. «Les établissements du groupe Akdital ne sont pas plus exemplaires que les autres. La pratique illégale du chèque de garantie, obligatoire dès l'admission, reste monnaie courante. Et quelques prestations sont toujours facturées au noir», admet un chirurgien de la place. Il n'y a qu'à se rappeler la polémique qui a éclaté à l'époque du Covid-19: la presse faisait alors écho de patients en pleine crise respiratoire auxquels on aurait exigé une avance allant jusqu'à 100.000 dirhams, avant leur admission en urgence dans les cliniques du groupe.
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Néanmoins, les praticiens estiment que les établissements Akdital sont généralement bien équipés, avec un parcours de soins fluide et standardisé ainsi qu'un système de tarification correcte. «Cela assure un cadre de travail attrayant pour les meilleurs professionnels», indique notre source qui a usé son stéthoscope dans plusieurs cliniques casablancaises. «Akdital a pour objectif de développer un réseau d’établissements de santé permettant d’offrir des soins de haut niveau et une prise en charge globale aux standards internationaux», martèle dans toutes ses sorties médiatiques Rochdi Talib, le médecin fondateur du groupe qui devrait concentrer un lit hospitalier sur cinq au Maroc, avec quelque 2.000 lits et 180 box de réanimation.

Avant d'en arriver là, cet anesthésiste réanimateur a fait bien du chemin. Rentré de France au milieu des années 1990, il exerce à titre libéral dans différents établissements de Casablanca. En 2008, il saute le pas en lançant sa propre clinique avec son épouse, issue d'une famille aisée. Fatima Akdim, radiologue en exercice, est une des cinq enfants de Hassan Akdim, un Soussi qui a fait sa fortune dans le textile. «C'est l'épouse de Talib qui détenait 90% des parts de la clinique Jerrada-Oasis jusqu'en 2014, quand elle a accordé 25% supplémentaires à son conjoint qui avait piloté la modernisation de cet établissement de santé, quelques années auparavant», confie un ancien collaborateur de la clinique.
Dr Talib & Mister Akdim
Talib a été effectivement parmi les premiers à prendre le pouls des mutations que devrait connaitre le secteur de la santé. Révolu le temps de la niche des cliniques – villas concentrées dans les quartiers huppés où l'on retrouve une population avec une couverture médicale confortable. L'ère est aux cliniques modernes capables de faire face à des pathologies lourdes, avec une plus grande capacité et implantées dans de nouveaux centres urbains, encore mal desservis par la carte sanitaire.
L'ouverture des capitaux des cliniques irréversible
Les discussions autour de la loi 113-13, ouvrant le capital des cliniques aux non-praticiens, va donner au médecin de nouvelles perspectives. Dès 2014, Talib crée avec son beau-père, Hassan Akdim, une structure dénommée Taliak (Talib & Akdim), qui pose les jalons de ce qui va devenir le groupe acronyme Akdital (Akdim & Talib).
Créée en 2016, cette entreprise est détenue initialement à parts égales par le couple de médecins ainsi que les deux frères Brahim et Ahmed Akdim. Les fonds propres de la famille vont servir de levier financier pour mobiliser des crédits auprès de la banque CIH afin de se lancer dans la création de cliniques ex-nihilo, mais aussi dans le rachat d'établissements existants. Quatre ans plus tard, le groupe Akdital comptait déjà cinq cliniques totalisant 550 lits et affichait des ambitions de croissance aguichantes.
Crise & Opportunité
C'est qu'en cette année 2020, marquée par la crise sanitaire du Covid-19, le secteur de la santé devient plus attractif que jamais. Un fonds de capital investissement, Mediterrania Capital Partners, va même intégrer le tour de table d'Akdital en payant un ticket d'entrée de 310 millions de dirhams pour 20% des parts.
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C'est que le développement d’opérateurs privés dans le domaine de la santé est devenu un enjeu essentiel pour l'amélioration de l’accès à ce service de base. Et pour cause, le Maroc fait face à une insuffisance manifeste de ses infrastructures de santé. «Le pays dispose de moins d'un lit d'hôpital pour 1.000 habitants, alors que ce ratio atteint 6,4 lits et 2,1 lits respectivement en France et en Tunisie», recadre un connaisseur du secteur.
Le besoin d'élargissement de l'offre de soins se pose avec plus d'acuité à l'aune du vaste chantier de généralisation de la protection sociale, avec sa composante assurance maladie. Laquelle va forcément se traduire par une floraison de cliniques privées. «Les pouvoirs publics auront beau investir des milliards de dirhams en construisant des hôpitaux dont la gestion risque de se heurter aux défaillances administratives, un jour ou l'autre, ils se résigneront à nouer des partenariats avec le secteur privé de manière à soulager et optimiser l'intervention de l'hôpital public», nous explique un ancien directeur de CHU.
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Dr Talib est d'ailleurs le chantre de cette approche de sous-traitance au privé des prestations de soins, dont le déploiement se heurte jusque-là à l'élaboration d'un système de tarification équitable. En attendant, le groupe Akdital prend le soin de se positionner sur les populations les mieux couvertes. Une convention avec la Fondation Mohammed VI des œuvres sociales de l'éducation a été signée fin mars, ouvrant les cliniques Akdital à un corps composé, entre autres, de 260.000 enseignants avec leurs familles à charge.
Cliniques & partenaires
Une aubaine, sachant que la holding est en cours d'extension de sa couverture sur le territoire national. Après les ouvertures opérées à El Jadida en 2021, puis récemment à Tanger, de nouvelles cliniques Akdital devraient apparaître, telle une éruption cutanée, aux quatre coins du Royaume: Agadir, Safi, Salé, Mohammedia, en plus de deux autres projets à Casablanca et un autre à Fès, voire même à Dakhla. Les ambitions du groupe ne s'arrêtent pas là. Le nom de Rochdi Talib apparaît en tant que gérant de plusieurs sociétés comme Khouribga Immo et Kenitra Santé, ce qui laisse augurer de futurs projets.
Pour ces nouveaux chantiers, le groupe a d'ailleurs opté pour une approche considérée comme novatrice. Il a choisi de s'appuyer sur des spécialistes de la gestion foncière et de la construction pour les futures cliniques, autour d'une nouvelle structure baptisée Akdital Immo. Celle-ci devrait posséder les murs des cliniques Akdital et empocher un confortable loyer à même de satisfaire les exigences de rentabilité de ses actionnaires.

BFO Partners, créée en 2018, par Mohamed Bouzoubaâ, fondateur de TGCC –qui avait déjà mis en chantier certaines cliniques du groupe– possède 17% des actions de cette nouvelle structure qui détient les murs de cinq cliniques (El Jadida, Tanger, Agadir, Salé, Safi). Son contrôle est néanmoins assuré par Aradei Capital, une foncière marocaine cotée à la Bourse de Casablanca, qui a payé 120 millions de dirhams pour 51% des actions d'Akdital Immo. En plus de fonds internationaux, Aradei compte dans son tour de table le groupe Best Financière-Label Vie, dont les actionnaires (les frères Bennani) sont parmi les plus importants fournisseurs d'équipements médicaux au Maroc à travers la société Best Health.
Rentabilité à améliorer
En s'appuyant sur des spécialistes du foncier, des bâtisseurs et des équipementiers, le groupe Akdital Holding opère une intégration inédite dans le secteur de la santé privée au Maroc. Sauf que les exigences de rentabilité des partenaires de la galaxie Akdital risquent d'être bien plus ambitieuses que les réalisations d'antan.
D'ailleurs, les bilans financiers de six cliniques opérationnelles du groupe, consultés par Le360, laissent apparaître une subite amélioration de la marge nette moyenne: des bénéfices cumulés de près de 30 millions de dirhams, pour un chiffre d'affaires dépassant le demi-milliard de dirhams en 2020, alors que, une année auparavant, le taux de rentabilité était des plus médiocres, ne dépassant guère les 1,4%.

Il faut néanmoins préciser qu'entre le fisc et les cliniques privées, il a fallu plusieurs années de négociation avant d'aboutir à une convention avec la Direction générale des impôts pour la régulation de la situation fiscale par déclarations rectificatives. Signée en décembre 2020, cette amnistie prévoyait un minimum à payer de 700.000 dirhams par an pour les cliniques réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions de dirhams, comme c'est le cas des établissements Akdital.
De leur côté, les comptes sociaux d'Akdital Holding laissent entrevoir une certaine vulnérabilité financière. En 2020, c'est à peine si la holding a atteint l'équilibre, alors que son chiffre d'affaires dépasse les 16 millions de dirhams. Rien que les charges de personnel dépassent les 10 millions de dirhams, alors que, dans la caste des dirigeants, on retrouve les enfants du couple Talib et leurs cousins Akdim. Quant à l'endettement de la holding, il culmine à plus de 90 millions de dirhams et ses charges financières deviennent de plus en plus pesantes. Même le niveau de trésorerie satisfaisant devait être englouti par les investissements réalisés durant les 15 derniers mois.

Avec des partenaires financiers dans le tour de table, la rentabilité du groupe est censée se redresser (pour ne pas dire monter en flèche) durant les prochaines années. Mediterrania Capital Partners avait eu la main heureuse sur l'opération TGCC en opérant une sortie partielle via la Bourse de Casablanca. En cédant 8% des 20% qu'il détenait de la société de construction, le fonds de capital investissement a pu récupérer 300 millions de dirhams, en trois ans seulement, sur sa mise initiale estimée à 370 millions de dirhams.
Les niveaux d'exigences de ce fonds risquent d'être les mêmes pour le groupement de cliniques d'Akdital Holding. Rochdi Talib a d'ailleurs déjà annoncé le lancement des préparatifs pour une introduction en bourse, programmée au plus tard pour 2026. Entre temps, le médecin devra trouver le moyen d'améliorer le rendement de ces établissements de soins, où les faibles marges avaient tempéré les ardeurs de plusieurs investisseurs non médecins. «Le niveau de marge nette d'une clinique rentable est situé entre 5 et 10%, mais tout le business model repose sur la ressource humaine, sur la capacité d'attrait de praticiens de renommée», explique notre manager de clinique.
Faire dans l'offre de soins en s'aventurant à développer des liens avec la finance est certes une approche audacieuse et inédite au Maroc de la part du groupe Akdital. Mais se livrer au diktat des exigences du marketing et de la rentabilité pourrait s'avérer périlleux. Avec ses propres mots, Dr Talib faisait ce diagnostic dans ses premières interviews en 2016. «La médecine n’est pas un simple commerce où l’on peut se permettre de se contenter d’un raisonnement coût de revient versus marge», expliquait-il à un magazine économique. Pourvu qu'il reste encore convaincu que la santé, n'ayant pas de prix, ne doit surtout pas devenir hors de prix...