Samia Tawil: "A la beauté de mon grand-père"

Dr Nabil Tawil et Madame Anita Tawil, Damas.

Dr Nabil Tawil et Madame Anita Tawil, Damas. . DR

"C’est au Liban que mon grand-père a finalement trouvé sa patrie de cœur, celle où il s’est adonné durant sa retraite à l’écriture de poèmes à la tiède nostalgie ainsi qu’aux feux de l’indignation politique. C’est au Liban aussi que mon grand-père a trouvé, avant-hier, le repos."

Le 04/05/2020 à 19h44

Au sein de l’Organisation mondiale de la Santé, plus de 28 ans durant, j’ai rempli mes obligations avec un constant sentiment d’empathie pour les populations et, notamment, pour les malades. Ce n’est pas une faveur de ma part, mais un devoir que j’ai essayé d’accomplir avec rigueur et un sentiment de proximité avec les gens. Dr Nabil Tawil (Mémoires douces et… amères, 2020, extrait, traduction de Mohamed Jibril)

Il y a deux jours, mon grand-père, Nabil Tawil, est décédé à Beyrouth.

Un grand-père qui m’a apporté, entre autres, la détermination et l’engagement que je porte, lui qui, né en Syrie, dans le village de pêcheurs de Latakié, a su par son goût pour les études et pour la justice, devenir un médecin reconnu dans son pays, au point d’accéder au poste de ministre de la Santé en Syrie, qu’il quitte en 1963, menacé par le coup d’Etat mené par les Al-Asad. Il vivra ensuite dans les quatre coins du monde durant une trentaine d’années de son travail avec ONUSIDA, que ce soit au Pakistan, au Soudan, ou encore au Laos. N’ayant jamais pu retourner en Syrie, ce n’est qu’à travers les journaux télévisés qu’il a pu, parfois les larmes aux yeux, revoir les dédales des rues de sa jeunesse. Et c’est au Liban qu’il a finalement trouvé sa patrie de cœur, celle où il s’est adonné durant sa retraite à l’écriture de poèmes à la tiède nostalgie ainsi qu’aux feux de l’indignation politique, forgée non seulement par les événements qui, au Moyen-Orient, dessinent nos vies malgré nous, mais aussi par l’éducation de son père, qui lui-même, en son temps, s’était illustré au Parlement par ses interventions féministes, militant pour un accès égal à l'éducation. C’est au Liban aussi que mon grand-père a trouvé, avant-hier, le repos.

Ma grand-mère, Suisse, a grandi à Bâle et a tout quitté à l’âge de 18 ans pour vivre l’aventure d’une jeune fille au pair, à Londres, où elle rencontra mon grand-père et partit s’installer avec lui en Syrie. La seule et unique personne que je connaisse qui s’exclame tout naturellement en arabe avec l’accent allemand, qui cuisine des feuilles de vigne avec des vol-au-vent à la crème, qui trépignait d'enfin voir de ses yeux les fresques de Michel Ange à Rome à l'âge de 70 ans, alors qu'elle avait connu le Taj Mahal, les Bouddhas de Ventiane, les terres rouge-sang de Khartoum et la cohue des marchés de Bangkok, mais aussi l'exil et ses angoisses solitaires, et je souhaite ici aussi par ce message lui envoyer toute la chaleur possible, elle qui, à cause de la crise du covid, ne peut pas nous avoir auprès d’elle pour traverser ce deuil, et ce n’est pas faute d’avoir cherché toutes les solutions imaginables pour trouver un vol et pouvoir la serrer dans mes bras comme j’aurais tant voulu le faire.

C’est ainsi que par ce petit texte, je rends non seulement hommage à la beauté et à la bonté mon grand-père Nabil, médecin, ministre, humanitaire et poète, dont je suis si fière d’être la descendante, mais aussi à mon arrière-grand-père, ce féministe avant l’heure, ainsi qu’à mon oncle Ayman, qui a porté tous les événements de ces derniers jours à bout de bras et, surtout, à ma grand-mère, Anita, grande rebelle d’une force incroyable. Tiens bon, je t’en prie, nous serons bientôt là.Samia Tawil

Par Le360
Le 04/05/2020 à 19h44