Tous coupables!

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ChroniqueA 14 ans, Myriam a terminé son parcours dans la vie en saignant à mort sur la table de la maison de son violeur. Ses rêves de petite fille se sont arrêtés ce jour-là, alors qu’une sage femme et un électricien qui jouait les infirmiers, lui ont introduit des objets dans le vagin pour en extraire un foetus, résultat des viols qu’elle avait subi.

Le 18/09/2022 à 13h01

A 14 ans, on est encore une petite fille, qui parfois prend des airs de femme.

A 14 ans, certaines jouent encore à la poupée, dorment en suçant leur pouce, regardent des dessins animés.

A 14 ans, certaines ont leurs premières règles et basculent, brutalement, dans la douleur de leurs premiers cycles menstruels, dans la catégorie des procréatrices, alors que psychologiquement, elles sont encore des bébés qui ont besoin de l’amour et de la protection de leurs parents.

A 14 ans, on vit ses premiers émois, mais on a du mal à assumer ses courbes qui prennent forme, cette pilosité dont on doit paraît-il se débarrasser pour se conformer aux diktats de la féminité, vue par les autres.

A 14 ans, certaines travaillent déjà et ont bien d’autres sujets de préoccupation en tête… Elles sont femmes avant l’heure parce que la société dans laquelle elles vivent leur impose que la féminité –et ce que cela incombe– commence à la puberté. Cela ne les empêche pourtant pas de rêver et d’être encore des petites filles que l’on veut faire grandir trop vite.

A 14 ans, Myriam, elle, a terminé son parcours dans la vie en saignant à mort sur la table de la maison de son violeur. Ses rêves de petite fille se sont arrêtés ce jour-là, alors qu’une sage femme et un électricien qui jouait les infirmiers, lui ont introduit des objets dans le vagin pour en extraire le fruit des viols qu’elle avait subi. Ce jour-là, Myriam est morte, en pleine hémorragie, sous les yeux de sa propre mère et de son violeur qui assistaient, complices, à son avortement.

Cette scène est si atroce qu’on a du mal à la concevoir. Comment pourrait-on ne serait-ce que comprendre qu’une gamine de 14 ans soit enceinte? Comment pourrait-on cautionner qu’elle se fasse violer régulièrement par cet homme, âgé de 25 ans, sans que cela n’émeuve personne? Comment peut-on comprendre que cette mère se soit rangée aux côtés du violeur de sa fille, pour lui faire endurer le pire des supplices, au nom d’un objectif commun: préserver l’honneur?

Tant de questions qui ne ramèneront pas à la vie cette enfant à qui l’on a infligé la pire des morts. Le triste sort de Myriam, elles sont malheureusement nombreuses à le vivre au Maroc. Ça s’appelle un avortement clandestin, et c’est horrible à vivre. Car quand on ne peut pas se payer un aller-retour pour l’Europe et se faire avorter dans le confort d’une clinique, quand on ne peut pas se rendre en cachette dans un cabinet privé et débourser des sommes folles pour se faire avorter dans des conditions un tant soit peu hygiéniques bien que dangereuses, on subit comme Myriam un calvaire sans nom.

On vous introduit dans le vagin toutes sortes d’objets tranchants pour en extirper un foetus de vos entrailles, des aiguilles à tricoter, des herbes pour provoquer une fausse couche, des fois des médicaments aussi… Bien sûr, tout ça sans anesthésie, ni hygiène. Et parce que la douleur est insupportable, ils sont là, autour de la table, à vous maintenir immobile. A vous tenir les bras, les mains, la tête, les pieds, à vous maintenir les cuisses bien écartées… Si vous ne mourez pas d’une hémorragie, vous mourez d’une septicémie. Et si vous faites partie de celles qui survivent à ce cauchemar, vous resterez traumatisées à vie, avec la hantise de retomber un jour enceinte. Marquées à jamais dans votre corps violé, brutalisées, meurtries, par une société et un Etat qui le piétinent sans vergogne dès lors qu’il s’agit de sauver les apparences.

Sur Twitter, un homme réagissait à la mort de Myriam en décrétant: «en rendant l’avortement légal, vous facilitez la tâche du violeur en le débarrassant du fardeau de son crime. L’avortement est un crime autant que le viol. On ne remédie pas à un crime en en légalisant un autre».

A cet homme qui à aucun moment n’a une pensée pour cette enfant qui est tragiquement morte et a laissé son humanité au même endroit que son cerveau, à tous ceux qui pensent de la sorte et n’ont donc jamais dû passer par la souffrance tant physique que psychologique causée par un avortement, à tous ceux qui s’opposent à la légalisation de l’avortement alors qu’on ne leur demande pas leur avis… A tous ceux là, on leur rappelle qu’il n’y a pas lieu de débattre quand la vie d’une femme, d’une citoyenne, d’un être humain est en jeu. On leur rappelle que cette décision de légaliser, ou non, l’avortement ne leur appartient pas, peu importe les opinions sentencieuses qu’ils peuvent nourrir à cet endroit. Qu’ils se les gardent, ne serait-ce que par respect pour la mémoire de cette victime –une de plus de l’intolérance et de la violence des Hommes.

On s’en remet aujourd’hui à l’Etat, à nos députés, à nos ministres, à tous ces élus, qui sont directement responsables de la mort de cette petite fille en laissant traîner volontairement l’abrogation de la loi contre l’avortement et la percée d’une nouvelle loi, tout simplement plus humaine qui tiendrait compte des mille et une situations qui font qu’une femme, qu’une fillette, sont contraintes un beau jour de se faire avorter.

Avorter n’est pas un plaisir. Ce n’est pas un caprice. Ce n’est pas un acte inconsidéré. C’est une terrible souffrance. Mais pour peu que nous ayons, nous les femmes, le pouvoir de créer la vie, il nous appartient aussi, parce que c’est notre corps et qu’il nous appartient, de mettre fin à ce processus. Nos corps, nos choix. 

Par Zineb Ibnouzahir
Le 18/09/2022 à 13h01