Le 8 mars expliqué à nos hommes

Famille Naamane

ChroniqueQue représente le 8 mars pour nos hommes?

Le 11/03/2022 à 11h03

Un vieil homme, poussant une charrette de menthe d’où émane une odeur savoureuse: «la journée de la femme? La Moudawana (code de la famille) vous a rendues insolentes. L’homme est toujours en haut et la femme, sous ses pieds. La télévision nous casse les oreilles avec ça. Ce n’est pas mon affaire. Rentre préparer à manger à ton mari au lieu de traîner dans la rue».

Je me fais toute petite et le questionne sur sa famille: «j’ai 7 enfants. Et ce n’est pas la menthe qui les nourrit. J’ai deux filles ouvrières, une qui est femme de ménage et la dernière aide sa mère au foyer». Et ses fils? «Deux sont scolarisés et un traîne dans la rue.»

Je lui fais remarquer que ses filles travaillent pour lui et qu’elles méritent des droits. Fâché, il saisit sa charrette et s’éloigne en vociférant: «toi, tu n’as pas d’homme qui te commande».

Un jeune commerçant: «la journée de la femme? Pourquoi pas la journée des ânes?»

Un médecin de 45 ans: «c’est bien de rendre hommage à la femme. Mais pas au détriment des droits masculins».

Un banquier de 34 ans: «vous avez obtenu tout ce que vous voulez avec le nouveau code de la famille. Vous cherchez quoi d’autre!»

Un étudiant de 23 ans: «des droits pour les femmes, oui, mais gardons le respect des droits des hommes».

Les plus âgés des hommes s’en offusquent, les plus jeunes l’acceptent, mais avec réserve. La revendication des droits des femmes dérange nos hommes qui craignent pour leurs privilèges.

Ce qui est étonnant, c’est que quand on parle aux hommes des droits des femmes, ils ne pensent qu’aux épouses qui veulent les léser. Ils oublient que la femme c’est aussi la sœur, la fille, la mère, la tante… «Le code de la famille a déstabilisé la société. Les épouses ne respectent plus les maris. Pour un oui ou un non, elles divorcent. Les jeunes hommes refusent de se marier car ils perdent leurs droits», dit un professeur de 55 ans.

Je fais remarquer à ce père de famille qu’il a deux filles mariées: «si vos filles divorcent, vous aimeriez que la loi garantisse leurs droits?»

Il pousse ce cri du cœur: «bien sûr. Je les défendrais corps et âme».

Voilà Messieurs pourquoi il existe un 8 mars. Pas pour vous ôter vos droits, mais pour garantir l’équité des droits des hommes et des femmes afin que nous cohabitions dans l’harmonie et la justice. Mais vous les hommes, vous voulez des lois qui protègent vos filles, et d’autres qui vous laissent vos privilèges face à vos épouse, perçues comme des adversaires. 

Les lois protègent les femmes contre les abus dont elles ont souffert pendant des siècles: harcèlement sexuel, viol, violence conjugale, prostitution forcée, mariage et grossesses précoces, travail précoce… Ces lois leurs octroient également le droit à l’éducation, la scolarité, la formation, l’embauche et la protection dans le travail… Vous les hommes, vous scolarisez vos filles et ainsi vous contribuez à leur émancipation. Il faudrait alors accepter que les lois évoluent pour que vos filles vivent et travaillent dans un environnement favorable à leur sécurité et à leur réussite. 

Et nos femmes, que pensent-elles du 8 mars?

Une journée appréciée car «une fois par an, on pense à nous».

«La reconnaissance des combats des femmes pour s’imposer dans une société patriarcale.»

«Les femmes méritent plusieurs journées par an car elles endossent plus de responsabilité que les hommes.»

«Car elles portent la vie en elles. Elles doivent être honorées en tant que mères.»

Pour Amina, féministe engagée, le 8 mars est l’occasion de rappeler à la société «qu’après avoir gagné des batailles, il faut continuer. Aucun pays ne peut se développer si la moitié de sa population est marginalisée».

Pour d’autres femmes, cette journée est «ridicule. Elle nous infantilise. Le combat des femmes s’exerce tous les jours de l’année».

Samira, commerçante, 34 ans: «on doit penser à nous toute l’année, pour nous protéger dans la rue, contre la drague, le vol des sacs, la discrimination au travail, la violence…»

Que l’on soit pour ou contre, il faut reconnaître que le 8 mars a insufflé des pratiques nouvelles qui en font un jour de fête pour encourager le leadership féminin. Des institutions étatiques et privées offrent à leurs employées des fleurs, du chocolat ou autres, organisent des conférences et de l’animation artistiques. 

Cette journée est également visée par le marketing, tel la Saint-Valentin. Des hommes en profitent pour exprimer aux femmes leur amour, leur amitié, leur affection, leur respect... 

Ayez donc, Messieurs, un geste affectueux envers vos grands-mères, mères, épouses, filles, petites-filles, sœurs, nièces, tantes, cousines,

amies, collègues…

Nous ne cherchons ni la confrontation avec vous, ni à vous léser. Nous souhaitons vivre avec vous dans la confiance et la symbiose.

Si vous souhaitez avoir la journée des hommes, je serai la première à y adhérer. Il y a tellement d’hommes admirables, qui nous aiment, nous encouragent, nous comblent d’amitié, d’affection. A commencer par mon père, Allah yrahmou, qui m’a scolarisée et mon époux qui m’a toujours encouragée, sans complexe, dans la voie de l’écriture sur des thèmes sensibles, voire «honteux».

Je rends hommage à tous les hommes qui reconnaissent notre valeur et qui nous soutiennent.

Par Soumaya Naamane Guessous
Le 11/03/2022 à 11h03