Une page Facebook appelle au meurtre de trois influenceurs marocains

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Ils s’appellent Marouane Lamharzi Alaoui, Najib El Mokhtari, Othmane Safsafi et partagent plusieurs points communs qui, aujourd’hui, font d’eux les cibles d’une page Facebook publique, obscurantiste et résolument dangereuse.

Le 30/05/2020 à 19h31

Trois jeunes Marocains, portés sur les sciences, se servent de leur chaîne YouTube pour vulgariser les matières scientifiques et l’Histoire. Trois influenceurs scientifiques qui oeuvrent pour le rayonnement des sciences et du Maroc. Ces trois personnalités sont aujourd’hui menacées de mort par une page Facebook intitulée «le centre de l’innocence» et qui tend clairement à donner des arguments aux islamophobes en présentant l’islam comme une religion de haine.

Dans un post où est publié la photo de ces trois influenceurs, mais aussi en arrière-fond les photos du publicitaire Noureddine Ayouch et de l’acteur Rafik Boubker, l’administrateur de cette page cite des paroles du prophète et décrète: «Comment peut-on insulter le Prophète, sa religion et le Seigneur, et y voir de la liberté d'expression?»

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Puis, dans la même publication, les internautes sont appelés à visiter «les pages de ces hypocrites pour lire leurs propos» et invités ensuite à regarder «le statut de leurs partisans et de leurs fans, pour découvrir l'étendue de la tragédie».

Enfin, un verset coranique dont est faite une lecture tendancieuse est cité pour légitimer le meurtre de ces «hérétiques»…

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Sur la Toile, en réponse à ce post criminel, les internautes ont fait bloc, partageant la publication afin de dénoncer cet appel à la violence digne de Daech.

Une plainte déposée

En réponse à cette publication, Marouane Lamharzi Alaoui a publié un long post sur Facebook dans lequel il déclare: «j’ai toujours été du côté de la liberté d’expression et du côté de ceux qui ont été enfermés à cause de celle-ci. Et c’est la raison pour laquelle depuis toutes ces années sur Facebook, beaucoup de gens n’aiment pas les choses que j’ai écrites, que je fais sur YouTube. Je me suis retrouvé confronté aux insultes de certaines personnes qui ne connaissent pas les rudiments du dialogue, à tel point que certains d’entre eux ont été jusqu’à publier ma photo et m’insulter. Pourtant, je ne me suis jamais énervé et je me contentais de bloquer ces personnes», explique-t-il en préambule.

من ديما كنت مع حرية التعبير وكنتضامن مع أي واحد تشد على الهدرة ديالو. وهادشي علاش لسنوات في هاد الفيسبوك، كانو بزاف...

Posted by Marouane Lamharzi Alaoui on Saturday, May 30, 2020

«Mais je considère que la liberté d’expression a des limites, des limites d’ailleurs imposées par tous les pays et sur lesquelles ceux-ci sont d’accord. Ces limites commencent lorsque cette liberté d’expression appelle à la violence physique et au meurtre, sans oublier à la diffamation», poursuit-il avant de décréter que les personnes derrière cette page doivent penser que le Maroc est une espèce de «Wild West» (ouest sauvage) où tout leur serait permis.

Il dénonce aussi une vidéo postée précédemment par cette même page dans laquelle sa photo a été publiée, ainsi que celles de ses deux camarades et du parlementaire Omar Balafrej. A leurs côtés, dans cette vidéo, les images «d’un terroriste ayant commis un attentant suicide en Irak en 2003».

Autant de raisons pour lui, mais aussi pour Najib El Mokhtari et Othmane Safsafi, d’avoir décidé de porter plainte contre les «administrateurs de cette page et toute personne ayant explicitement menacé de nous tuer».

Othmane Safsafi s’est lui aussi fendu d’un long texte sur son profil Facebook dans lequel il explique avoir toujours su qu’en entrant dans cet espace virtuel que sont les réseaux sociaux, il serait «soumis à la critique, au mépris et même aux insultes», et ceci, il l’acceptait. «Mais ce à quoi je ne m’attendais pas et que je ne peux accepter», poursuit-il, «c’est que cela dégénère jusqu’à porter atteinte à ma sécurité».

من نهار ذخلت لهاد العالم الافتراضي، كنت عارف أنه كشخصية فالفضاء العام غانكون معرض للانتقاد، للتنقيص و حتى للسب. هادشي...

Posted by Othmane Safsafi on Saturday, May 30, 2020

Et de revenir également sur le concept de liberté d’expression, laquelle «s’arrête lorsqu’une personne appelle à votre meurtre». Celui-ci insiste aussi sur le fait qu’on peut avoir des divergences de points de vue sans pour autant vouloir tuer l’autre…

Le profil des «cibles»

A 26 ans, Othmane Safsafi, est titulaire d’un double diplôme en mathématiques et informatiques de l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm, ainsi que d’un Master en probabilité et modèles statistiques de l’université Paris 6.

Actuellement en troisième année de thèse au laboratoire de probabilité et modèles statistiques de l’université Paris 6, il s’est spécialisé dans l’étude d’algorithmes aléatoires, notamment des graphes. Récemment, Othmane a créé avec une startup marocaine un outil de prévision de la propagation de Covid-19, lequel a été mis à la disposition de l’Etat marocain.

Marouane Lamharzi Alaoui est un influenceur bien connu des Marocains. Jeune ingénieur d’Etat marocain, il s’est notamment fait connaître en 2012 en inventant une application permettant d’identifier les appels provenant de téléphones fixes marocains. Il est également le fondateur de carte.ma, un site qui gère les photographies numériques des rues au Maroc comme un service à la demande pour différents usages professionnels. Enfin, sur sa chaîne YouTube, celui-ci propose une série de vidéos sur l'histoire, la technologie, la culture, les questions sociales, la science, ainsi que des programmes satiriques sur les théories du complot.

Le troisième, Najib El Mokhtari, est également YouTubeur et ingénieur marocain. Ses vidéos de vulgarisation scientifique en Darija remportent un franc succès sur les réseaux sociaux d’autant que celui-ci traite de sujets comme l’astronomie et l’astrophysique. Sa célébrité dépasse les frontières, car il a animé des conférences de vulgarisation scientifique dans le monde. Il a par ailleurs reçu le prix de la personnalité de l’année 2016 par les Maroc Web Awards.

Des profils somme toute très loin des considérations religieuses ou d’un militantisme pour la laïcité. Pourtant, ils n’ont été épargnés par les auteurs de cette page daéchienne contre lesquels l’Etat de droit doit sévir avec la plus grande fermeté.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 30/05/2020 à 19h31