Traitements du Covid-19 par la chloroquine et l’hydroxychloroquine: où en est-on?

Le professeur Didier Raoult, infectiologue et professeur de microbiologie français, a promis publiquement de distribuer une combinaison d'hydroxycholoroquine et d'azythromicine à "tous les patients infectés". 

Le professeur Didier Raoult, infectiologue et professeur de microbiologie français, a promis publiquement de distribuer une combinaison d'hydroxycholoroquine et d'azythromicine à tous les patients infectés.  . DR

Etudes, essais, usages : que sait-on de la chloroquine et son dérivé l'hydroxychloroquine, actuellement expérimentées dans plusieurs pays, aux côtés d'autres molécules, contre le Covid-19?

Le 02/04/2020 à 08h34

C'est un dérivé synthétique de la quinine prescrit depuis plusieurs décennies contre le paludisme, un parasite véhiculé par le moustique.

La chloroquine est commercialisée sous plusieurs noms selon les pays et les laboratoires: Nivaquine ou Resochin par exemple.

Il existe un dérivé, l'hydroxychloroquine, mieux toléré, connu en France sous le nom de Plaquénil, utilisé contre le lupus ou la polyarthrite rhumatoïde.

Dans l'attente d'un hypothétique vaccin, sans doute pas disponible avant au moins un an, des scientifiques testent des médicaments existants et leur combinaison pour trouver au plus vite un traitement.

Par rapport à d'autres molécules, la chloroquine et l'hydroxychloroquine ont l'avantage d'être déjà disponibles, bon marché et bien connues.

Avant même la pandémie de SARS-CoV-2, leurs propriétés antivirales ont fait l'objet de nombreuses études, in vitro ou sur des animaux et sur différents virus.

"Il est connu depuis bien longtemps que la chloroquine (C) et son dérivé l'hydroxychloroquine (HC) inhibent in vitro la réplication" de certains virus, rappelle Marc Lecuit, chercheur en biologie des infections à l'Institut Pasteur.

"Comme attendu", des tests ont confirmé récemment qu'elles avaient bien "une activité antivirale sur le SARS-CoV-2 in vitro" poursuit-il.

Mais "cela n'implique pas nécessairement que ces drogues ont une activité antivirale in vivo chez l'être humain", note-t-il, citant "moult essais décevants" sur le virus de la dengue (pas de bénéfice) ou du chikungunya (la molécule "aide" le virus à se développer).

Plusieurs publications, chinoises et françaises, font part de résultats positifs sur des patients atteints du Covid-19.

En France, le Pr Didier Raoult et son équipe à l'Institut Hospitalo-Universitaire (IHU) Méditerranée infection ont conclu, dans deux publications (sur une vingtaine de patients puis 80), à "l'efficacité de l'hydroxychloroquine associée à l'azithromycine dans le traitement du Covid-19".

Mais de nombreux scientifiques et l'Organisation mondiale de la Santé pointent les limites de ces études, car elles n'ont pas été menées selon les protocoles scientifiques standards: tirage au sort des patients, médecins et patients ignorant qui reçoit le traitement, résultats publiés dans une revue scientifique à comité de lecture indépendant, etc.

Preuve de la complexité du sujet, deux études cliniques chinoises (une début mars et une mardi) arrivent à des conclusions différentes: pas d'efficacité particulière pour la première, tandis que la deuxième affirme que l'hydroxychloroquine a bien un "potentiel" dans le traitement du Covid.

"Ces interrogations ne veulent absolument pas dire que l'HC n'a pas d'intérêt dans le traitement du Covid" mais "pour le savoir, il faut l'évaluer scientifiquement en suivant la méthodologie des essais cliniques", souligne Marc Lecuit.

Mercredi, l'Agence européenne du médicament a souligné que l'efficacité de la chloroquine et de l'hydroxycholoroquine "restaient à démontrer dans des études".

Une partie de la communauté scientifique et les autorités sanitaires mettent en garde contre un engouement précipité pour ces substances.

"Une des conséquences inattendues peut être une pénurie de chloroquine pour les gens qui en ont besoin contre leur polyarthrite rhumatoïde par exemple", relève Peter Pitts, un ancien responsable de l'agence américaine du médicament Food and Drug Aadministration (FDA).

Après avoir observé des "difficultés d'accès" à l'hydroxychloroquine pour les malades chroniques, les autorités françaises ont même dû encadrer par décret sa vente et son usage.

De plus, les effets secondaires sont nombreux: nausées, vomissements, éruptions cutanées mais aussi atteintes dermatologiques, ophtalmologiques, cardiaques, psychiatriques... Un surdosage peut être dangereux, voire mortel.

Or la publicité faite à la substance peut inciter à l'automédication si des personnes en ont acheté avec des ordonnances de "complaisance" ou si elles avaient des médicaments à base de chloroquine ou d'hydroxychloroquine au fond de leur armoire à pharmacie.

Des cas d'hospitalisation en urgence après l'absorption de trop fortes doses ont aussi été signalés par exemple au Nigeria et, aux Etats-Unis, un homme est mort après avoir ingéré une forme de chloroquine destinée aux aquariums.

En France, l'Agence du médicament (ANSM) a averti lundi que les traitements testés contre le Covid-19 pouvaient entraîner des effets indésirables graves et ne devaient "en aucun cas" être utilisés en automédication, que ce soit l'hydroxychloroquine ou le Kaletra (un antiretroviral associant lopinavir/ritonavir).

L'ANSM a recensé une trentaine" d'effets indésirables graves, la plupart intervenus à l'hôpital, dont "trois décès" suspects suite à l'utilisation d'un de ces traitements.

L'organisme a aussi mis en garde "en particulier" contre "l'association de l'hydroxychloroquine avec l'azithromycine pour traiter la maladie Covid-19, qui à ce jour n'a pas fait la preuve de son efficacité et expose à un risque majoré d'anomalie du système électrique du cœur".

Compte tenu de l'explosion de demandes de chloroquine et d'hydroxycholoroquine depuis plusieurs semaines, on peut supposer que des médecins dans le monde entier en ont prescrit contre le Covid.

De fait, elles sont administrées à des malades du Covid-19 dans plusieurs pays du monde, en général à l'hôpital, selon des modalités différentes.

Mais elles ne devraient "être utilisées que pour des essais cliniques ou des programmes d'urgence" dans le cadre de protocoles stricts validés dans chaque pays, selon l'Agence européenne du médicament mercredi.

Aux Etats-Unis, où le président Donald Trump, très enthousiaste, a évoqué un "don du ciel", la FDA vient d'autoriser l'utilisation, uniquement à l'hôpital, de la chloroquine et de l'hydroxychloroquine contre le Covid-19, "de manière adaptée, quand un essai clinique n'est pas disponible ou faisable".

Au Sénégal, la moitié des malades recensés du coronavirus, soit une cinquantaine de patients se sont vus prescrire de l'hydroxychloroquine en milieu hospitalier, tandis que la Grèce a relancé sa production et que le Maroc souhaite y recourir pour "les cas confirmés", l'Algérie pour les "cas aigus".

En France, le Pr Raoult a promis publiquement de distribuer une combinaison d'hydroxycholoroquine et d'azythromicine à "tous les patients infectés" et certains médecins et responsables politiques appellent à administrer largement cette molécule au nom de l'urgence sanitaire.

Mais les autorités sanitaires françaises ont restreint l'usage de l'hydroxychloroquine (mais aussi des antiviraux lopinavir/ritonavir) à l'hôpital uniquement et seulement pour les cas graves.

Parallèlement sont lancés des essais cliniques destinés à tester son efficacité selon un protocole respectant la stricte orthodoxie scientifique.

Le CHU d'Angers en France va lancer ainsi une étude sur 1.300 patients (Hycovid), menée avec 32 autres hôpitaux nationaux.

Un essai européen baptisé "Discovery" a été lancé dans plusieurs pays, pour tester quatre traitements, dont l'hydroxycholoroquine, sur 3.200 patients dont 800 cas graves en France. De premières évaluations sont attendues en fin de semaine.

L'OMS doit aussi lancer un vaste essai clinique international.

Le 02/04/2020 à 08h34