Rajae Ghanimi : Un médecin, un prix, une imposture!

DiaporamaLe "prix du meilleur médecin arabe" décerné au Dr. Rajae Ghanimi n’a aucune valeur scientifique. Il est organisé par une société d’événementiel basée à Londres. Enquête sur un "sacre" qui a dupé beaucoup de monde.

Le 15/09/2014 à 08h59

Rajae Ghanimi avec Nissrine Koutroubb, une ancienne miss cerise de Sefrou, a été désignée meilleur mannequin du monde arabe. . DR

"Rajae Ghanimi primée meilleur médecin arabe!" La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre et a enflammé la Toile. Le Dr. Ghanimi devient la coqueluche des réseaux sociaux, elle est l’incarnation de la femme marocaine qui réussit à l’international. Elle est hissée au rang d’exemple, de modèle: un hommage lui est rendu par la wali de sa région natale, Zineb El Adaoui. Elle est reçue par le ministre de la Culture, Mohamed Amine Sbihi. Même le cabinet royal se laisse prendre par cette fierté nationale euphorique en rendant public un message de félicitations pour Rajae Ghanimi…

Dans les faits, le prix de "meilleur médecin arabe" n’a aucune valeur scientifique. Une médaille en toc décernée au cours d’un dîner de gala payant, dans un palace londonien, organisée par une société spécialisée dans l’événementiel et le marketing viral.

Un prix de pacotille

The Arabs Group qui a attribué ce prix le 30 août est une société privée londonienne. A sa tête, un certain Dr. Shawkat Spahi-Shoaib et son épouse. Le personnage est très controversé: selon un tabloïd anglais, l’homme d’origine syrienne aurait été condamné à la prison pour des affaires de harcèlement sexuel… L’édition 2014 de "The Group Achievement Awards" n’est que la deuxième du genre après l’édition 2012. Par contre, The Arabs Group organise souvent des défilés de mode. C’était le cas lors de cette soirée du 30 août, au Hilton London Metropole qui a consacré Rajae Ghanimi mais aussi d’autres compatriotes qui, eux, n’ont pas eu droit à la même résonnance médiatique. En effet, Nissrine Koutroub, une ancienne miss cerise de Sefrou, a été désignée meilleur mannequin du monde arabe. Autre marocain primé ce soir-là: Karim Tabit, élu meilleur artiste plasticien arabe. "C’est un jeune garçon très sympathique, explique un galeriste casablancais. Mais de là à dire que c’est le meilleur artiste peintre marocain, c’est une blague!". Effectivement, la liste des prix et des lauréats peut vous arracher le sourire: Sachez que, dans le monde arabe, le meilleur DJ est Koweïtien et le meilleur sportif est Libyen….

Dans ce concours de pacotille, les candidats s’autonominent sur une page Facebook dans la catégorie qu’ils choisissent eux-mêmes. Un irakien de 13 ans s’était même présenté pour le prix du plus jeune acteur de théâtre arabe. Il y a eu, aussi, des prétendants pour le meilleur mécanicien et le meilleur coiffeur. Mais ceux-ci ne sont pas allés jusqu’au bout. Peut-être n’ont-ils pas eu de quoi se payer un séjour à Londres. Car The Arabs Group ne prend rien en charge. Par contre, la société commercialise propose une formule touristique autour de la soirée: Un séjour de sept jours à Londres pour 1.500 euros, aérien non compris.

Les modalités de vote tiennent plus du télé-crochet que des critères de sélection de fondations scientifiques. Le plébiscite des facebookers compte pour 25% des voix, ainsi que les appels surtaxés, tandis que le vote du jury, qu’on ne met que peu en avant, (voir diapo) compte pour 30%, et les voix des personnes qui assistent à la soirée pour 20%. Ces dernières doivent néanmoins débourser entre 50 et 200 livres sterling, hors taxes, pour être de la partie…

Notre meilleur médecin n’a jamais exercé!

Même s’il ne vaut que le prix d’un dîner de gala, le prix du "meilleur médecin arabe" représente une fierté pour Rajae Ghanimi. Sur les photos de la soirée, on la voit tout émue sur scène avec son caftan et drapeau national de rigueur, comme si elle recevait un wissam… Sauf que le jeune médecin est loin d’être une grosse pointure dans notre pays. Rajae Ghanimi est chef de service au sein de la Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale (CNOPS). Médecin contrôleur, elle l’est devenue dès l’obtention de son diplôme de médecin généraliste et n’a donc jamais exercé si ce n’est au cours de son internat. Ses collègues de bureau lui reconnaissent une certaine compétence, mais pas un talent extraordinaire. "A la CNOPS, ils n’ont d’ailleurs pas organisé de réception pour fêter son "sacre". Ils savent que son prix ne vaut pas grande chose. Ils sont même gênés de la voir survaloriser, sur son CV, son rôle dans certains dossiers où sa contribution a été très modeste», nous confie une source proche de cet organisme public. Contacté par Le360, Rajae Ghanimi n’a pas souhaité répondre à nos questions…

Pourtant, depuis l’obtention de son prix, le Dr. Ghanimi multiplie les sorties médiatiques où elle se présente comme une chercheuse et une consultante internationale. Ses travaux restent néanmoins très limités: Son ouvrage qui traite de l’observation d’un cas de cancer du rectum est une version éditée de sa thèse de doctorat de médecin généraliste. Et les autres publications mentionnées dans son CV sont des articles de presse, parus dans des journaux nationaux à tirage confidentiel. Nous sommes donc bien loin du profil de la grosse pointure internationale en médecine. La starification du Dr. Ghanimi est loin d’être justifiée. Mais dans un pays où le "star system" en est encore à ses balbutiements, la moindre petite réussite est bonne à valoriser.

Par Fahd Iraqi
Le 15/09/2014 à 08h59