Moi, je ne parle pas arabe!

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ChroniqueA chaque échec, le Marocain répétait: «Moi, je ne parle pas arabe». L’Égyptienne soupirait: «Et moi, je ne comprends pas le français».

Le 30/09/2017 à 17h19

Il faut imaginer le monde arabe comme une table. Oui, une table. Autour de laquelle sont rassemblées des femmes et des hommes représentant plusieurs nationalités arabes. Tous ces gens essaient de dialoguer mais ils n’y arrivent pas. Alors ils se regardent en chiens de faïence, se font des apartés et se ratent.

C’est triste et c’est même rageant. L’impression, alors, est que les frères arabes se noient, se noient…jusqu’à ce qu’une bouée de sauvetage, comme nous allons le voir, leur tombe du ciel...

J’ai été au cœur d’une table comme ça. Il y avait un Marocain qui ne parlait pas arabe, et une Egyptienne qui ne parlait qu’égyptien et anglais. Les deux avaient des choses à se dire mais comment les dire?

Le Marocain disait: «Moi, je parle couramment français, pas toi?». L’Egyptienne disait: «Moi, je parle anglais, pas français». Lui: «Chacun parle la langue de celui qui l’a colonisé». Elle: «Oui, mais aujourd’hui tout le monde parle anglais, alors pourquoi pas toi?»

Début de fâcherie. Le Marocain est déjà sur le point de mettre fin au débat et de quitter la table… L’Egyptienne tente malgré tout de renouer le dialogue: «Et si on parlait arabe…Ne sommes-nous pas Arabes après tout?». Lui: «Parlons darija alors». Elle: «La darija n’est pas une langue mais un dialecte, et ce n’est pas le mien». Lui: «Toi non plus tu ne t’exprimes pas en arabe mais en dialecte égyptien, ce n’est pas une langue. Et ce n’est pas ma langue». Elle: «Mais tous les Marocains connaissent ce dialecte pour avoir regardé, au moins dans leur jeunesse, des feuilletons égyptiens». Lui: «Je n’ai pas grandi au Maroc!».

Même dans cette atmosphère extrêmement tendue, les deux ont essayé de faire chacun un pas vers l’autre. Lui expliquait son métier, ce qu’il faisait. Il parlait avec les mains et les doigts. A un moment, il s’est même arrêté de parler et faisait des mimiques, comme s’il était muet.

Elle, pendant ce temps, essayait de s’en sortir en comptant sur son instinct. Elle cherchait plus à deviner qu’à comprendre. Elle avait du mal à suivre… Puis elle s’est mise à son tour à expliquer son métier et ses passions. Elle disait les choses et les répétait. Elle s’aidait de ses mains et de ses doigts aussi. Mais elle savait que la moitié au moins de ce qu’elle expliquait partait en fumée…

Le Marocain et l’Egyptienne étaient simplement en train de se rater. J’étais aussi impuissant qu’eux, je compatissais avec des sourires figés à lui et à elle, incapable de faire le lien entre ces deux personnes arabes qui n’arrivaient pas à se parler.

A chaque échec, le Marocain répétait: «Moi je ne parle pas arabe». L’Egyptienne soupirait: «Et moi je ne comprends pas le français».

Et la providence apparut! Une Française a rejoint la table du «monde arabe». Elle se présente et, tout de suite, elle tend l’oreille et comprend le dialogue de sourd entre le Marocain et l’Egyptienne. Par chance, elle parle un peu l’anglais et comprend plus ou moins la darija.

La Française s’est naturellement glissée dans la peau de la médiatrice–traductrice, dans un sens et dans l’autre. Elle traduisait les mots du Marocain et de l’Egyptienne. Elle modérait aussi leur propos.

D’un coup, c’est toute la table du «monde arabe» qui se mêla de ce débat rendu possible et même agréable grâce à la Française. Il a fallu qu’elle soit là pour que nous puissions, enfin, nous parler… Je n’en revenais pas. Je me prêtais, moi aussi, au feu de la discussion.

Chaque fois que la Française se levait et quittait la table, nous nous taisions et nous regardions en silence, comme si nous n’avons plus rien à nous dire. A son retour, nous reprenions comme si nous parlions la même langue et, mieux encore, le même langage.

Par Karim Boukhari
Le 30/09/2017 à 17h19