Mi Rahma, violée à 96 ans, témoigne

DiaporamaMalgré sa douleur, Mi Rahma a tenu à raconter son histoire, entre ses larmes et les tremblées de son souffle court, en précisant qu’elle voulait témoigner à visage découvert. Digne et courageuse, elle s’est confiée avec une déchirante douceur.

Le 19/03/2014 à 22h45

Madame Rahma Bent Larbi nous a accueillis dans la minuscule chambre délabrée qu'elle habite.  . Brahim Taougar - Le360

L’équipe du Le360 s’est rendue, aujourd’hui mercredi 19 mars, à Sidi Slimane ou, plus précisément dans un petit village excentré de la province, à savoir Douar Ben Lahcen, situé en pleine campagne, au bout d’un tortueux sentier, pour rendre visite à Madame Rahma Bent Larbi, victime, à 96 ans, d’un viol qui l’a dévastée physiquement et psychologiquement. Mi Rahma n’était pas chez elle, lorsque nous sommes arrivés devant la minuscule baraque bricolée et en ruines qui lui sert de domicile. Elle s’était en effet rendue à la gendarmerie où elle avait rendez-vous avec le juge d’instruction. A son âge, elle avait pris la route à pied, s’aidant du bâton qui lui sert de canne, avec l’intention de parcourir 3 kms de sentiers pour se rendre à l’audience. Heureusement, quelqu’un l’a prise en chemin, nous a-t-elle confié. Et c’est à la gendarmerie que nous l’avons rejointe. L’air égaré, les yeux embués et ensanglantés de trop de larmes, elle attendait sur une chaise, contre un coin de mur, lors même que le juge avait déjà quitté les lieux, Mi Rahma étant arrivée trop tard pour la rencontre qui devait avoir lieu à 8h pour se rendre à Kénitra, où le violeur qu’elle a reconnu est emprisonné.

"Je n’ai que Dieu"

Nous l’avons donc raccompagnée chez elle, dans le taudis où elle vit seule. Car la vieille dame est veuve et n’a ni enfants, ni famille. "Je n’ai que Dieu", murmure-t-elle de sa voix à peine audible. De ses voisins, Mi Rahma dit qu’ils ne l’aident pas vraiment. Elle reste parfois plusieurs jours sans manger. De temps en temps, quelqu’un lui apporte un bol de soupe ou un verre de lait. Elle est seule avec sa souffrance et l’infâme traumatisme qui lui a été infligé. D'ailleurs, à notre arrivée, nous avons même entendu rire certains villageois.

(Vidéo: Aberrahim Et-Tahiry et Bouthaïna Azami)

Malgré sa douleur, Mi Rahma a tenu à raconter son histoire, entre ses larmes et les tremblées de son souffle court, en précisant qu’elle voulait témoigner à visage découvert. Digne et courageuse, elle s’est confiée avec une déchirante douceur. Viol collectif ? Elle ne sait plus vraiment. Mi Rahma dit avoir perdu la notion de la réalité dans la panique qui l’a envahie. Elle se souvient de l’agresseur qui est entrée chez elle et, alors que la porte n’était pas même fermée, le violeur, dans un accès de rage, l’a démolie à coups de hache après avoir menacé et violé son innocente et fragile proie. "J’ai essayé de me cacher sous une paillasse, raconte-t-elle, mais il m’en a tirée et m’a prise à la gorge, m’étranglant. J’ai senti la vie me quitter". Et elle de lui dire encore ces mots, incroyables : "Que veux-tu ? Laisse-moi, mon petit". Un "petit" sans pitié qui a fait pleuvoir sur elle un déluge d’insultes et l'a menacée de mort, insistant sur le fait qu’elle était seule, sans personne pour la défendre, lui faisant ainsi comprendre qu’elle était sous son emprise. Hystérique, le violeur était, confie Mi Rahma, manifestement ivre. Des témoins nous ont d’ailleurs affirmé que l’eau de vie se fabriquait clandestinement à Sidi Slimane et que les psychotropes étaient devenus, de même, un véritable fléau dans la région.

Le témoignage de Mi Rahma est poignant. Elle s’arrête de temps en temps pour pleurer. Ses yeux n’en peuvent plus de brûler sous les sels amers de ce désespoir qui la ronge, désormais. Mais elle parle sans ambages, avec une sincérité et une générosité déconcertantes : "Mon pantalon est encore chez la police, maculé de sang", précise-t-elle ainsi. Malgré l’horreur qu’elle a vécue, il n’est pas question, pour elle, de quitter son village. "Je n’ai jamais quitté ce douar. On me demande d’aller à Kénitra pour le jugement de ce garçon, mais je ne sais même pas comment y aller, je me sens perdue". Son monde, c’est son village, qui a brusquement perdu de son charme car on y a souillé non seulement son corps, mais aussi son âme et sa mémoire. D’autant plus que le violeur qu’elle a reconnu est le fils d’une voisine. Pourtant, elle refuse d’aller ailleurs, et encore moins d’intégrer, comme cela lui a été proposé, une maison de retraite où elle pourrait bénéficier de soins. Et cela bien que la peur l’habite, désormais, comme elle l’avoue elle-même. Une peur panique. Et si ce viol a porté atteinte à son corps et à son âme, il a aussi sali son espace, celui de cette petite pièce où elle vit. Et cet espace, elle n’en supporte plus l’atmosphère sordide et les mémoires atroces qui l’emplissent désormais. Et ce souhait est le seul qu’elle ait d’ailleurs émis : celui d’un espace salubre où elle puisse vivre dignement, dans son village. "Ne m’oubliez pas", n’a-t-elle cessé de répéter à la fin de cette bouleversante discussion. Comment oublier ? Ne l’oubliez pas non plus.

Sidi Slimane, le deuxième viol en un moisUn cas isolé, que celui de Mi Rahma ? Même pas. Le 14 février, une femme de 54 ans, célibataire et vierge, a été victime d’un viol collectif d'une sauvagerie terrifiante. "Ils l’ont déchiquetée de partout", nous confie Jaouad El Khani, président national de l’ONG Forum marocain pour la démocratie et les droits de l’homme. Violée et rouée de coups toute une nuit durant par deux hommes, la victime s’était retrouvée à l’hôpital dans un état déplorable. Malgré son état, Fatima avait tenu à hurler sa colère et sa souffrance et avait accueilli, à l’hôpital même de Ben Slimane où elle avait été emmenée, des journalistes pour, avait-elle précisé, sensibiliser à la situation des femmes et faire que cela ne se reproduise plus. Ses vœux n’ont malheureusement pas été exaucés. Or, et nous ne cesserons de le répéter, il semble que soyons là face à une véritable pathologie sociale dont les femmes et les enfants, nous en aurons assez eu la preuve, sont les premières victimes. Qu’on en arrive jusqu’à s’en prendre à une femme de 96 ans ne fait que démontrer la gravité de cette pathologie sur laquelle il n’est pas normal de fermer les yeux.

Sur place, des habitants nous ont même confié, par ailleurs, que, hormis la violence et la psychose qui règnent et hormis les conséquences catastrophiques de la consommation d’eau de vie et de drogues, de plus en plus de jeunes se font embrigader pour servir de djihadistes en Irak et en Syrie. Quand ferons-nous face, de front, à ces réalités scandaleuses et dévastatrices, non seulement pour les victimes qui en font personnellement les frais mais pour le pays de façon plus générale ? Car il se joue ici une tragédie humaine et nationale. 

Par Bouthaina Azami
Le 19/03/2014 à 22h45