L'histoire des bordels au Maroc

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Revue de presseQuand la réalité dépasse la fiction. Au Maroc, les bordels ont nourri toute une littérature orientaliste qui vantait la sensualité arabe et véhiculait une image exotisante et sublimée de la femme.

Le 12/10/2013 à 11h53

"L’histoire des bordels ou quand la prostitution était légale au Maroc". Tel est le dossier du quotidien Al Massae de cette fin de semaine (daté du samedi 12 octobre). Le journal remonte le temps et nous propose de revivre une époque charnière de l’Histoire du Maroc, celle du protectorat et de son impact profond sur la structure sociale. On apprend ainsi que les bordels ont vu le jour entre 1907 et 1934. Ces établissements ont connu la gloire en 1936 dans la région du Nord lors de la guerre civile espagnole. Les bordels étaient des passages incontournables pour les soldats en quête de repos et désireux de passer du bon temps, rapporte Al Massae.

Le dossier Al Massae révèle aussi plusieurs ancedotes dont celles liées au célèbre bordel le Sphinx à Mohammedia. Un bordel très connu grâce aussi à la chanson "Jeff" de Jacques Brel, qui dit : "On ira voir les filles chez la Madame Andrée". Or, Andrée était une fille très célèbre du Sphinx. Selon les fins connaisseurs de Jacques Brel, le souvenir de cette femme a marqué le chanteur belge. De grandes célébrités sont d'ailleurs passées prendre un verre au Sphinx, dont Dalida et Edith Piaf. Car le Sphinx est une maison close de luxe, abritée par une magnifique villa enroulée dans floraisons de lys et bougainvilliers. "C'était simplement le plus célèbre bordel de la planète, un endroit hors classe avec toujours 20 très jolies demoiselles sur les rangs, toutes nées chrétiennes ou juives, suivies de près par un médecin attitré", rapporte Jean Pierre Péroncel-Hugoz, ancien journaliste correspondant au Maroc. Interdit à l’époque aux marocains musulmans qui devaient se contenter des machines à sous extérieures à l'espace réservé auxdites demoiselles et à leurs clients, le Sphinx attirait foule d'étrangers installés au Maroc ou de passage, et des noms de grandes vedettes lui sont restés associés.

Du Sphinx à Bousbir

Mais le glauque l'emporte évidemment sur les paillettes distillées par les stars de passage et les mythes qui ont pu se construire. Ainsi, durant le protectorat, en 1914 plus précisément, c'est un bordel à ciel ouvert qui sera érigé à Casablanca pour quadriller l'espace et contenir les prostituées de peur de voir se propager la syphilis. Des capitaux privés permettront la réalisation de ce bordel circonscrit dans le quartier Bousbir que desservira une ligne de bus spécialement aménagée pour relier le centre-ville au quartier chaud de Casablanca, un espace de 24.000 m2 où oeuvrent des centaines de prostituées.

Quand la réalité dépasse et nourrit la fiction. Car ces bordels ont nourri toute une littérature orientaliste qui vantait la sensualité arabe et véhiculait une image exotisante et sublimée de la femme. Auteurs d'une étude sur Bousbir, Mathieu et Maury vont à l'encontre de ce mythe en affirmant que si "peintres, journalistes, navigateurs, militaires stationnés à Casablanca ont créé une légende sur Bousbir" qui "chante les charmes de la femme voilée et reprend à son compte toutes les fabulations des Mille et une nuits et tous les poncifs de l'Orient, la réalité est tout autre". Elle est, comme elle l'est toujours aujourd'hui, celle de la misère. Qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler, pour interpeller une tout autre littérature excavant le réel occulté qui dérange, le roman Hawa de Mohamed Leftah. Une littérature, cette fois, ancrée dans une réalité casablancaise et qu'il n'aurait sans doute pas été besoin de censurer si les travers dont souffrent la société étaient plus interrogés et pris en compte, plutôt que tus. Et manifestement à taire.

Par Bouthaina Azami
Le 12/10/2013 à 11h53