Le Covid-19 fait des ravages dans les banlieues françaises

Famille Ben Jelloun

Sans porter de masque, le président Macron a exhorté la foule, venue à sa rencontre, de rentrer à la maison et de ne pas en sortir. Il a ignoré les conditions de vie de cette population pauvre, mal aimée, mal vue et en plus, mal soignée. Pour beaucoup, cette visite avait quelque chose d’indécent.

Le 27/04/2020 à 12h00

En comptant ses morts (22.856 au 26 avril), la France s’est rendu compte qu’une majorité vient des banlieues de Paris, la Seine-Saint-Denis en particulier. Un médecin a avancé qu’en Ile-de-France, 63% de morts sont issus de ce territoire mal aimé de Paris, alors que les Parisiens ne comptent que 32% parmi les décès suite au Covid-19.

Ce constat correspond à l’état de délabrement connu et reconnu des banlieues. Cet habitat, insalubre et pathogène, ne favorise pas le confinement. Le virus a fait dans les familles des ravages. Le confinement est évidemment compliqué et même impossible dans ces territoires défavorisés avec des familles nombreuses entassées dans des petits espaces.

Dans le département du 93, –le plus pauvre de France; 27% des gens vivent sous le seuil de pauvreté– le directeur de la santé reconnaît qu’il y a «moins de médecins et moins de lits de réanimation» par rapport à d’autres régions de France. En fait, il y a trois fois moins de lits en réanimation que dans les Hauts-de-Seine (département plus riche). Cette inégalité s’est traduite par davantage de victimes qu’ailleurs. Il faut dire que les habitants sont plus exposés que d’autres dans la mesure où ils poursuivent leur activité. Ce sont des ouvriers manuels, des caissières, des femmes de ménage, des éboueurs, des aides-soignants, etc.

La crise sanitaire n’a fait qu’accroître les inégalités et la précarité qui caractérisent ces quartiers abandonnés par la République malgré des discours et des promesses qui n’ont jamais été concrétisés.

En 2005, alors que Nicolas Sarkozy était ministre de l’intérieur, ces mêmes banlieues (Aulnay-Sous-Bois; Villeneuve La Garenne; Genevilliers; Evry) s’étaient révoltées. La police avait eu beaucoup de mal à rétablir l’ordre, les échauffourées avaient duré plus de trois semaines. Aujourd’hui, les frustrations et un sentiment d’injustice croissant ont fini par faire sortir de nouveau des jeunes dans les rues manifester leur colère. Des affrontements entre ces jeunes et les forces de l’ordre ont été violents. Cela a commencé samedi 18 avril par des incendies de voitures et des attaques de biens publics. Une école a failli être entièrement brûlée dans un quartier de Genevilliers.

Animés par une haine de la police, ces jeunes réagissent violemment parce qu’ils ont perdu un père ou un grand-père sans pouvoir l’enterrer. Ils ont vite réalisé que leur situation les prédisposait davantage à la contamination. Impossible de se confiner correctement, ils descendent dans la rue réclamer justice.

Certains ont jeté des projectiles contre des agents de la police, lesquels ont riposté par des bombes lacrymogènes et des arrestations. Des vidéos circulent dénonçant la violence policière. La situation aurait été la même qu’en 2005 si ce n’est le fait qu’elle est aggravée par le Covid-19 et le manque de moyens dont dispose la France pour faire face à cette tragédie.

Il y a eu un accident d’un motard qui a percuté une voiture de police. Les réactions de part et d’autre ont été excessives et la tension monte de plus en plus. Les habitants de ces banlieues vivent déjà l’après-crise sanitaire en se trouvant sans travail et sans perspective d’en trouver.

Les banlieues sont les territoires malades de la France. Aucun gouvernement n’a réussi à trouver des solutions sérieuses et concrètes à ce délabrement d’une partie de la population française. Le 7 avril, Emmanuel Macron s’est déplacé dans le 93 pour rassurer les habitants, mais cela n’a servi à rien dans la mesure où les familles ont du mal à hospitaliser les personnes malades. Sans porter de masque, le président a exhorté la foule, venue à sa rencontre, de rentrer à la maison et de ne pas en sortir. Il a ignoré les conditions de vie de cette population pauvre, mal aimée, mal vue et, en plus, mal soignée.

Pour beaucoup, cette visite avait quelque chose d’indécent. On ne vient pas dans un territoire blessé, avec des hôpitaux sans grands moyens, chez une population où le chômage atteint les 30% des actifs, et faire une leçon pour éviter le virus.

La crise du Covid-19 non seulement a dévoilé les défaillances, les insuffisances et le manque de prévision de la France, mais elle a mis le doigt sur la partie honteuse d’un pays qui a, depuis longtemps, décidé d’abandonner les populations des banlieues à leur sort. Un problème sur lequel tout le monde est resté discret: une partie non négligeable des jeunes de ces périphéries vivent de la drogue. Le confinement empêche les dealers et leurs fournisseurs de circuler.

L’épidémie a amplifié les inégalités territoriales et sociales. Le quotidien Le Monde a titré dernièrement «Origine du fiasco de la France».

Aujourd’hui la colère s’exprime entre la peur et le deuil. Il n’est pas dit que tôt ou tard, ces populations considérées de seconde zone, composées en grande majorité d’immigrés et d’enfants d’immigrés venus du Maghreb et d’Afrique, ne se soulèvent avec une violence qui n’aura rien à voir avec celle de 2005.

Les médias ont assez démontré comment l’Allemagne voisine gère beaucoup mieux la pandémie, sans parler du cas exceptionnel du Maroc.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 27/04/2020 à 12h00