La sacro-sainte liberté d’expression au secours de Zemmour

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On s’y attendait. Le sacro-saint principe de «liberté d’expression» est venu au galop au secours d’Eric Zemmour après son éviction de l’émission «Ça se dispute», suspendue par iTélé.

Le 21/12/2014 à 23h05

C'est décidé, iTélé arrête la programmation de l'émission "Ça se dispute". Et pour cause: cette émission, qui se voulait un espace de débat, étouffe depuis un moment, bien avant les derniers propos islamophobes d'Eric Zemmour, sous la dictature de ce «polémiste», comme on se plaît à l’appeler. Un titre pompeux qui souvent ne sert qu’à justifier les pires des provocations et des arrogances, et ce dans, justement, le mépris de l’autre, de sa liberté et de sa dignité. «Nous sommes très soucieux de respecter la liberté d’expression. Et nous avons défendu celle d’Eric pendant plus de dix ans, pour que ses idées soient prises en compte, contredites et débattues. Mais aujourd’hui, on a l’impression que c’est lui qui fixe les règles et de quoi on parle. On a de moins en moins le sentiment qu’on peut. Le dialogue est devenu de plus en plus difficile, voire impossible. On a l’impression qu’il se parle à lui-même et à son public», déclarera en effet au Monde Céline Pigalle, directrice de la rédaction d’iTélé. Et, «par souci de cohérence», dira-t-elle encore, et au vu de la gravité des propos tenus par Eric Zemmour, dans un entretien accordé au quotidien italien Corriere della Sera, sur les musulmans de France, la chaîne a choisi d'arrêter l'émission. «Nous avons vu le journaliste du Corriere della Sera, puis nous avons sollicité et filmé un entretien avec Eric Zemmour, pour qu’il puisse exposer ses arguments. Mais les réponses qu’il a apportées n’ont pas dissipé le trouble », confiera encore Céline Pigalle qui fera de même part de l’indignation du personnel de la chaîne télévisée.

La sacro-sainte liberté d’expression, pour nous empêcher de penserMais ne voilà-t-il pas que messire Eric Zemmour se met à crier, suite à sa suspension et à celle de l’émission où il sévissait, laissant à Nicolas Domenach le soin de désamorcer les bombes de plus en plus brûlantes et puantes qu’il lançait à tout va, à une «manipulation fantastique». Et ne voilà-t-il pas que le FN montre les crocs en hurlant à «la censure» et à l’atteinte à la liberté d’expression. Prévisible, et si facile. Mais monteront au créneau, aussi, certains que l’on n’attendait pas là. Cohn Bendit et Mélenchon. Oui, Mélenchon, celui-là même qui postait, le 15 décembre, sur son blog, une note intitulée: «Zemmour se lâche en Italie: déporter cinq millions de musulmans? Ça peut se voir!» Mais non; personne pour assumer. Il faut non seulement laisser courir les discours haineux, mais les accueillir chez soi, dans son salon, et la fermer… au nom de la liberté d’expression. De qui se moque-t-on? iTélé n’a pas contraint Eric Zemmour au silence. Elle lui a juste demandé d’aller parler ailleurs. On lui aurait fait moins de problème si elle s’était avisée d’ôter le micro à un islamiste extrémiste. Hypocrisie, quand tu nous tiens. On en arriverait à oublier que la liberté d’expression est avant tout un principe investi de grandes valeurs. Des valeurs qui sont celles du respect d’autrui, de sa dignité, dans la conscience des valeurs démocratiques d’équité, de justice. Le grand danger de la démocratie? Celui d'avoir fait de principes nobles tels ceux de la liberté de penser et d'expression, censés protéger les minorités et les opprimés, des principes réversibles à souhait, ouverts à tous les dérapages et les excès. "La liberté des uns s'arrête là où commence celle des autres". Simple à comprendre, cette phrase qu'on serine aux enfants et avec laquelle nous avons tous grandi? Pas tant que ça, manifestement. Plus, en tout cas, à une époque où haine et provocation se revendiquent de la tournure d'esprit.

Par Bouthaina Azami
Le 21/12/2014 à 23h05