Homosexualité au Maroc, ce grand tabou

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La question de l’homosexualité au Maroc reste un sujet tabou, dans une société qui progresse vers la modernité mais dont les coutumes et la religion musulmane s’opposent avec force au libertinisme.

Le 22/05/2013 à 22h28, mis à jour le 24/05/2013 à 20h37

Les pouvoirs publics viennent une nouvelle fois de rappeler à travers deux procès contre l’homosexualité que bien que l’arsenal juridique national garantit la liberté individuelle, celle-ci s’oppose toujours à des lois du code pénal qui répriment et punissent des délits portant sur le non respect en public du jeûne, la consommation de l’alcool en public, l’homosexualité et les relations hétérosexuelles hors mariage, estiment les observateurs.

Scandale à Souk Larbaa

A Souk Larbaa, 140 km au nord de Rabat, la justice a sévi en condamnant quatre hommes à la prison ferme ainsi qu’à des amendes pour homosexualité. Dans cette ville, ce sont les deux épouses qui ont dénoncé au parquet leurs époux après avoir découvert ces derniers en flagrant délit de relations sexuelles. Les deux femmes sont tombées des nues, affirmant au tribunal qu’elles n’avaient "jamais eu le moindre" soupçon que leurs époux étaient des homosexuels.

Ce scandale a conduit les deux hommes derrière les barreaux pour trois ans. Contacté par Le360, un habitant de Souk Laarba a estimé que la religion musulmane est "contre l’homosexualité, l’islam l’interdit. Oui, l’homosexualité est pratiquée par des personnes mais dans la stricte confidentialité, et ce depuis des temps lointains".

A Témara, à 15 km au sud de la capitale, le verdict est de quatre mois de prison pour les deux hommes. Si la sentence a été jugée clémente, le procès en lui-même a fourni des signaux, confirmant que la société punit l’homosexualité, commentent les observateurs. Les familles ont boudé le procès préférant éviter un soutien public à leur progéniture. Les avocats des prévenus ont refusé de décliner leurs identités à la presse souhaitant être cités mais sous couvert de l’anonymat. Après le procès, les deux avocats ont éteint leurs téléphones portables, refusant de commenter le verdict. Enfin, un fonctionnaire du tribunal s’est déclaré surpris par l’intérêt de la couverture que la presse a accordé à ce sujet : "c’est une honte, que Dieu vous pardonne !" a-t-il lancé à la face du correspondant de Le360.

"Au Maroc à l’instar de toutes les sociétés du monde, l’homosexualité existe, mais la loi réprime et crie fort : gare à ceux et celles qui s’affichent en public. La clandestinité la plus stricte ou la prison pour longtemps, c’est à choisir", estime un juriste ayant refusé de fournir son identité.

Un autre argument avancé par un cadre administratif à Rabat, très convaincu, il affirme : "En France, pays laïc, pays chrétien, pays libertin, les Français n’arrivent toujours pas à s’en sortir avec ce problème qui les plombe". Dans les milieux associatifs, on reconnaît la difficulté et la sensibilité de ce problème. "Imaginez qu’un homme s’aventure à manger devant le public pendant le ramadan, il sera lynché, c’est la réalité", souligne un acteur.

Dans son parcours militant, l’écrivain homosexuel marocain, Abdellah Taïa, est l’un des très rares à défendre publiquement l’homosexualité marocaine. Il vient de réaliser, en France, un film d'inspiration autobiographique qui adapte son roman "L’armée du salut" paru en 2006 et dans lequel l’auteur raconte ses souvenirs d’enfance et d’adolescence, ainsi que son éveil sexuel.

Il y a d’autres priorités

Le nouveau président de l’Association marocaine des droits humains (AMDH), Ahmed El Haiej, rappelle que "l’homosexualité est un phénomène présent dans l’histoire de l’humanité, qui se pratique mais sans être reconnue". "Cela constitue une problématique pour l’opinion publique, incapable d’expliquer ce phénomène. Pourtant, les discussions publiques l’évoquent, il fait l’objet de nombreuses anecdotes, mais il restera toujours dans les sociétés qui ont un référentiel islamique un sujet tabou que la loi punit".

Actuellement, le Maroc est très préoccupé par d’autres priorités, et il a raison estiment plusieurs personnes interrogées par Le360. Celles-ci font notamment allusion à la parité entre les deux sexes, la lutte contre le viol ou la pédophilie…ou encore le développement socio-économique.

Najat Anwar, présidente de l’Association "Touche pas à mon enfant" se réjouit que le combat contre la pédophilie commence à donner ses fruits. "On commence à voir le bout du tunnel mais il y a un retard dans la mise en œuvre d’une disposition de la nouvelle Constitution qui insiste sur le rôle de la société civile comme étant un partenaire officiel des institutions du gouvernement". "Il faut harmoniser les lois du Maroc avec les conventions internationales en matière des droits de l’enfant", a-t-elle conclu.

Par Mohamed Chakir Alaoui
Le 22/05/2013 à 22h28, mis à jour le 24/05/2013 à 20h37