Ecoles françaises. Douche froide: pas de réduction, pas de réinscription pour les mauvais payeurs et augmentation en vue

Le lycée Lyautey, sis sur le boulevard Ziraoui à Casablanca, avait été inauguré en 1963. 

Le lycée Lyautey, sis sur le boulevard Ziraoui à Casablanca, avait été inauguré en 1963.  . DR

Jeudi soir, les parents dont les enfants sont inscrits dans les écoles françaises du réseau AEFE ont reçu une sacrée douche froide. Après trois mois de bras de fer, un courrier leur a annoncé qu’aucune réduction des frais du 3e trimestre ne sera appliquée et autres bonnes nouvelles en prime...

Le 05/06/2020 à 09h35

Circulez, y'a rien à voir, ni rien à attendre d’ailleurs! Voilà, en somme, la teneur du mail envoyé par Claude Thoinet, Proviseur du lycée Lyautey, et chef du Groupement de gestion Casablanca–Mohammedia.

Alors que les parents d’élèves gardaient espoir et se serraient les coudes en espérant un geste de la part de l’AEFE, l’Agence pour l'enseignement français à l'étranger, avec une remise de 30 à 50% des frais de scolarité du 3e trimestre, l’AEFE et ses écoles au Maroc viennent de doucher leurs espérances.

Outre les familles disposant de bourses ou en ayant fait la demande à titre exceptionnel, compte tenu de la situation économique grave dans laquelle elles se trouvent, les parents, dans leur ensemble, s’attendaient à des frais de scolarité revus à la baisse, en adéquation avec un enseignement à distance lui aussi revu à la baisse, et les économies réalisées par les établissements français, compte tenu de la diminution de leurs charges pendant ces trois mois de confinement.

Une facture toujours aussi saléeBalayant d’un revers de main ces demandes, le proviseur du lycée Lyautey annonce ainsi d’emblée: «je vous demande d'en effectuer le paiement dans les meilleurs délais car la facturation des droits de scolarité du 3e trimestre ne sera pas modifiée».

Une fois n’est pas coutume –tant les parents et les associations des parents d’élèves se sont habitués au manque de transparence de l’AEFE quant à la gestion des budgets des établissements–, Claude Thoinet a enfin daigné apporter quelques chiffres pour appuyer son «argumentation».

«Appliquer une réduction générale à l’ensemble des responsables, quelle que soit leur situation financière, mettrait non seulement l'établissement en difficulté (30 % de réduction sur les droits de scolarité du 3e trimestre représenterait une diminution de 30.700.000 DH des recettes», avance-t-il ainsi. Et selon lui, ces réductions, pourtant accordées dans d’autres établissements AEFE à travers le monde, pousseraient le réseau marocain de l’AEFE «à prendre des décisions ayant un impact dévastateur sur le fonctionnement des établissements». Mais pas seulement, cela «laisserait aussi certaines familles sans autre choix que de déscolariser leur enfant» et mieux encore, selon Monsieur Thoinet, cette réduction demandée par les parents «quelle qu'elle soit», n'arrangerait «en rien leur situation».

Depuis quand une réduction de facture dessert-elle des personnes en difficulté financière? C’est la question qu’on se pose.

Pour cette maman d’élève, cette lettre est encore une fois à côté de la plaque et de surcroît des plus déplacées. «Je n’ai même pas besoin de lire entre les lignes. Ce que nous dit ce monsieur c’est qu’étant donné que cette réduction ne vous sauvera pas de la banqueroute qui vous menace, autant vous faire payer plein pot! On savait que ces gens-là ne font pas de cadeau, mais un tel degré de mauvaise foi est juste dégoûtant et décevant. Que ce monsieur le sache, je ne vais pas attendre qu’il déscolarise mon fils, je le déscolarise moi-même de ce pas!». 

Même son de cloche chez ce couple de parents qui en recevant ce courrier malvenu a pris une décision radicale: «hors de question de réinscrire nos enfants dans des établissements de ce type qui considèrent qu’on doit se saigner pour payer leurs investissements immobiliers. Nous payons pour l’éducation de nos enfants, pas pour remplir les caisses de l’Etat français, ni financer leurs projets immobiliers dans le monde. Du coup, nous avons opté pour le CNED, enseignement à distance, dès la rentrée prochaine».

Du côté du réseau des écoles françaises de Casablanca-Mohammedia, on explique par ailleurs que «l’option de réduction générale n’a été privilégiée ni par l’établissement ni par l’AEFE ni par l’Etat français».

Ce serait donc «un principe de solidarité» qui aurait dicté les décisions prises par l’Etat français en prévoyant «une avance de 100 millions d’euros pour soutenir les établissements dans leur aide aux familles», et en dotant «l’enveloppe des bourses scolaires de 50 millions d’euros».

Une fausse bonne nouvellePar ailleurs, certaines associations de parents d’élèves ont envoyé un e-mail aux parents affiliés en exprimant leur joie, considérant en effet avoir remporté une manche.

Et en guise de victoire, voilà le topo. «L’AEFE qui a décidé de réduire l’augmentation des frais de scolarité initialement prévue, en la fixant à 2% au lieu des 7% annoncés pour le Groupement d’établissements en gestion directe de l’AEFE de Casablanca–Mohammedia, et de reporter ainsi les projets immobiliers des établissements»…

«De quoi dois-je me réjouir exactement?», s’insurge cette autre maman, qui considère que ces associations de parents d’élèves qui crient victoire sont à côté de la plaque ... Quand elles ne travaillent pas à la solde des chefs d’établissements. «Dois-je sauter de joie et dire "merci", poliment, parce que l’augmentation injustifiée dont on nous gratifie chaque année sera cette année revue à la baisse? Cela n’enlève en rien le fait qu’elle soit toujours injustifiée! Comment peuvent-ils continuer d’augmenter leurs frais alors que nous n’en sommes qu’aux prémisses d’une crise économique gravissime!»

Mais pour le proviseur du lycée Lyautey, ces augmentations et ce refus de diminuer les frais du 3e trimestre permettront, selon lui, d’accomplir trois objectifs: «retrouver tous nos élèves scolarisés à la rentrée», «offrir à tous nos élèves de bonnes conditions de travail» et enfin «dégager les moyens nécessaires pour mettre en place des dispositifs de soutien pour les élèves qui auront connu des difficultés scolaires dues au confinement».

Avec une finalité: «préserver la pérennité des établissements en gestion directe».

Le couperet et la menaceEnfin, la conclusion de cette lettre mérite le détour et autant dire que celle-ci a pris de court plus d’un parent.

Alors que ceux-ci se plaignent d’un enseignement très allégé avec des cours qui n’ont plus lieu dans le cas de certaines matières -notamment en sport, en musique et en arts plastiques pour ne citer que ceux-ci- avec des professeurs aux abonnés absents qui ne daignent même pas répondre aux e-mail de leurs élèves, avec des devoirs posés sur une plateforme sans même prendre la peine de poster des leçons… Voici la réponse qu’ils ont reçue: «une continuité pédagogique a bien été assurée et les services administratifs ont fonctionné le plus régulièrement possible, et je {le} précise, pendant la période de confinement», affirme sans se déboulonner Monsieur Thoinet.

Quant à tous ceux qui ont demandé à ces écoles de puiser dans les économies réalisées pendant la période de confinement pour alléger la facture du 3e trimestre, le chef de groupe du pôle Casablanca-Mohammedia argue que «les économies réalisées par l’établissement pendant ces mois de fermeture sont minimes (de l’ordre de 500 000 DH par mois), contrairement à ce qui est parfois avancé, et sont ainsi bien en-deçà de ce que l’établissement consacrera au dispositif d’aide des familles en difficulté».

«Sans la contribution des familles, c’est l’avenir d’un système et la scolarité de tous les enfants -même ceux dont les parents ont réglé les frais de scolarité- qui seraient fragilisés», poursuit-il, avant de conclure sa lettre avec une menace pas même voilée: «je ne peux conclure ce message sans rappeler que si la régularisation n'est pas effectuée avant la date indiquée, votre enfant ne pourra être réinscrit l’année scolaire prochaine».

«Ce sera sans nous!», voilà la réponse de nombreux parents, qui démissionnent d’un système éducatif dans lequel ils n’ont plus foi.

«Comme disait notre défunt Roi Hassan II: "il ne faut pas perdre son temps à avancer des arguments de bonne foi face à des gens de mauvaise foi"», conclut ce papa.

Par Leïla Driss
Le 05/06/2020 à 09h35