Autoroutes la nuit: conduire avec la peur de mourir

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Il y a dix jours, une femme a trouvé la mort, atteinte par un jet de pierres sur l’autoroute près de Khemisset. Au fil des années, ces agressions ont fait plusieurs victimes, à tel point que les usagers des autoroutes conduisent avec la peur au ventre. ADM dégage toute responsabilité.

Le 17/04/2018 à 16h08

Une énième victime des agressions dans les autoroutes a trouvé la mort le samedi 7 avril 2018. Une femme d’une soixantaine d’années qui revenait d’une fête avec son fils a été touchée mortellement par une grosse pierre qui l'a atteinte sur le tronçon reliant Tiflet à Allal Bahraoui dans la région de Khemisset.

Ce phénomène gravissime des jets de pierres a pris des proportions alarmantes ces dernières années. Les coupeurs de l’autoroute ont causé la mort de plusieurs personnes, en ont blessé gravement d’autres et certaines de ces victimes vivront avec des séquelles irréversibles. Ces agressions sont devenues tellement récurrentes qu’elles ont semé un vent de panique chez les usagers des autoroutes. La phobie des jets de pierres à partir des ponts surélevés ou des guets-apens sur la chaussée a poussé des automobilistes à éviter de circuler la nuit.

Cet alarmisme n’est aucunement exagéré quand on sait que le nombre de morts et de blessés graves causés par ces agressions ne cesse de croître. Tout le monde se rappelle de la tragédie qui a frappé la famille Berrada en 2014. Farida, l’épouse du PDG du laboratoire Bottu, a trouvé la mort quand elle a été touchée par un parpaing sur l’autoroute Casablanca-El Jadida.

En 2013, sur ce même tronçon, le secrétaire général de l’UMT et son adjoint ont failli laisser la vie quand leur voiture a été caillassée. En avril 2016, c’est toute une famille qui a été décimée par les criminels de l’autoroute. Un couple et leur fille ont succombé à une agression sur le tronçon reliant Marrakech et Chichaoua. Comme dans la plupart des cas, les éléments de la gendarmerie ont arrêté les bandits qui furent condamnés à mort par la cour d’appel de Marrakech en septembre 2016.

2017. Une année où l’on a dénombré un record d’agressions sur l’autoroute Casablanca-Rabat. Une famille a été surprise par un jet de pierres. Le père et ses enfants ont été légèrement blessés, mais l’épouse, grièvement atteinte, a dû subir plusieurs opérations d’urgence. Comme Michel, un Français qui venait au Maroc pour y passer les fêtes de Noël à Marrakech. Arrivé près de Casablanca, il a été surpris par un guet-apens qui lui a fait perdre un œil et lui a causé des séquelles irréversibles.

Même l’ex-ministre de l’Interieur, M’hand Laenser n’a pas pu échapper aux méfaits des bandits de la nuit. Le samedi 24 février 2018, il a été victime d’un jet de pierres sur l’autoroute de Tanger-Rabat. Plus de peur que de mal, mais cet incident a ravivé la phobie des autoroutes où les voyous sévissent par surprise. Ce phénomène a tellement pris d’ampleur qu’il a fait l’objet d’une discussion au Parlement. Le ministre de l’époque, Mohamed Hassad, avait alors préconisé d’installer des caméras tous les 2 km et de grillager les ponts surélevés.

Il faut toutefois préciser que les éléments de la gendarmerie arrivent dans la plupart des cas à élucider ces crimes. A preuve, les individus qui ont causé la mort de la femme la semaine dernière ont été arrêtés quelques heures après avoir commis leurs méfaits. Un colonel de la gendarmerie nous a affirmé que l’installation de sentinelles sur les ponts les plus névralgiques est effective depuis quelque temps. Et de préciser: «Pour éviter le problème de la compétence territoriale des gendarmes, on a mis en place un téléphone vert (177) qui oriente l’usager de l’autoroute en détresse directement vers la gendarmerie la plus proche».

Il est vrai qu’on a commencé à installer des caméras sur l’autoroute Rabat-Casa, mais peut-on le faire sur un réseau autoroutier long de 1.400 km? Si les gendarmes s’acquittent pleinement de leur mission de prévention et d’enquête, on ne peut pas dire autant pour la société Autoroutes du Maroc (ADM) qui est la première concernée. La direction d'ADM ne sent pas concernée par les agressions qui se produisent sur l’autoroute en tenant des propos surprenants: «Autoroutes du Maroc se dégage de toute responsabilité, estimant ne pas disposer de l'autorité nécessaire pour exercer un pouvoir de police et mettre en place les forces indispensables pour assurer la sécurité sur ses différents tronçons», peut-on lire sur le site de la société.

Ses dirigeants estiment que les autoroutes ne sont pas les seules concernées par les actes de violence: «Ni les routes nationales ni même les périmètres urbains ne sont épargnés par ce nouveau type de criminalité». Et d’enfoncer le clou en disant: «ADM n’avait déploré qu’un seul décès, en 2013, consécutif à un jet de pierre dans la région de Chichaoua». ADM n’est pas responsable? Si, dit la justice quand elle l’a condamnée à indemniser de 150.000 dirhams une famille qui a subi une agression sur l’autoroute Rabat-Casablanca. 

Pendant que ADM se lave de toute responsabilité, les automobilistes sont de plus en plus nombreux à éviter d’utiliser son réseau, de peur d’y trouver la mort.

Par Hassan Benadad
Le 17/04/2018 à 16h08