Ali Amar: "Moulay Hicham, grand manipulateur"

Ali Amar, journaliste

Ali Amar, journaliste . DR

Le journaliste Ali Amar livre un témoignage sans concession sur Moulay Hicham et explique son projet d'exister dans les médias comme une alternative à Mohammed VI. Il le compare au prince Philippe-Egalité, duc d’Orléans, qui par son rang et par sa fortune a comploté contre Louis XVI.

Le 02/05/2014 à 18h39

Le360: Durant des années, vous avez été très proche du prince Moulay Hicham. Quels étaient vos rapports ?

Ali Amar: J’ai connu le prince au tournant du siècle. Il avait été, comme d’autres, très attiré par l’expérience du Journal, mais nos rapports ont très vite dépassé le cadre professionnel stricto-sensu. Nous nous fréquentions assez assidument lorsqu’il était au Maroc. Nous nous voyions aussi à l’étranger et nos discussions portaient essentiellement sur la situation politique du pays et, par extension, dans la région. A l’époque, l’Amérique impériale de Bush et son projet de réformer par la force des baillonnettes le monde arabe étaient au cœur des débats. Pour moi, le fait qu’un prince puisse phosphorer sur ces questions à l’extérieur des murs du Palais me paraissait intéressant. Mais très vite, ce qui devait être une rencontre autour des idées allait se transformer en théâtre des ombres où le prince, grand manipulateur, constituait patiemment une sorte de Cour où se retrouvaient pêle-mêle journalistes, hommes politiques, universitaires, salonnards de Rabat et de Casablanca. Beaucoup d’entre eux étaient subjugués par cette proximité offerte par un membre de la famille royale au point de tomber dans l’écueil de ce genre de relations, celui de se transformer en béni-oui-ouis, pendus à ses lèvres, le caressant dans le sens du poil et surtout lui servant de puissants relais contre quelques menus avantages.

Qui étaient au juste ces personnes ?

Le prince gérait savamment ses relations avec un tas de personnes d’horizons très divers et s’adaptait à leur personnalité, à leur caractère. Il donnait à chacun l’impression de cultiver avec lui une sorte de relation spéciale. Aux journalistes de renom, il parlait de haute politique, aux autres il distribuait des subsides pour qu’ils lui mangent dans la main, mais l’objectif était le même : exister dans les médias en tant qu’alternative au régime en place. Ce que raconte Ali Lmrabet aujourd’hui est tout à fait exact. Le prince a aidé financièrement des journalistes comme Taoufik Bouachrine et El Houssine Majdoubi, mais s’est arrangé pour que d’autres, dont moi le sache. Comme pour Ali Lmrabet, le prince m’a envoyé un jour un émissaire dans mon bureau pour me montrer des copies de chèques et des reconnaissances de dette signées par Bouachrine et Majdoubi. J’ai trouvé le procédé odieux car il n’avait d’autre but que de créer la suspiscion et la zizanie dans la profession.

Cela a-t-il influé sur la ligne éditoriale du Journal Hebdomadaire dont vous dirigiez la rédaction ?

Au Journal, nous avions pour ainsi dire offert colonnes ouvertes au prince. Nous pensions que sa voix devait être entendue, mais cela a pris une tournure malsaine quand il devait plus tard insister pour utiliser la crédibilité du Journal et de Assahifa, son pendant arabophone, pour faire écho d’histoires grotesques comme celle du faux anthrax ou pour valider des pseudo-barbouzeries dont il se disait la victime expiatoire. Sur ces affaires, j’avoue que nous avions manqué de perspicacité et de sens de discernement même si nous faisions attention à ne pas endosser tout ce qu’il avançait.

Quel jugement portez-vous sur son livre ?

Je m’attendais à un livre plus puissant, mieux bâti, plus élevé dans l’analyse. Il manque de force de proposition. Il se résume à un almanach d’anecdotes soit insignifiantes, soit cousues de fil blanc. Il se drape dans la posture de la victime et fait appel à sa mémoire de façon sélective pour graver ses thèses dans le marbre. J’ai été très déçu qu’il torde le cou à la vérité pour se forger cette image de prince martyr qui ne rêverait que d’un "royaume pour tous". Je trouve d’ailleurs l’opinion de Frédéric Rouvillois très juste lorsqu’il développe dans Causeur.fr le parrallèle du "prince rouge" et de Philippe-Egalité, ce duc d’Orléans qui par la puissance de son rang et par sa fortune a comploté contre Louis XVI. Comme lui, il donne l’impression d’être un opposant déclaré, mais contrarié par le fait que le sens de l’Histoire ne retienne de lui que sa complotite aiguë. Comme lui, il se voit en grand ordonnateur d’une révolution de Palais, mais ne supporte pas que la régence ne puisse pas lui échoir. Le duc d’Orléans avait déçu Robespierre, le prince Hicham aura déçu les démocrates marocains qui ne militent pas comme lui dans la perspective d’une passation de trône comme il le souhaitait lorsqu’il surinait que le principe de la succession royale par primogéniture devait être mise à plat au profit d’un Conseil de famille dans lequel il se positionnerait en sauveur providentiel. C’est à travers cette grille de lecture qu’il faut comprendre pourquoi il regrette tant que la presse libre n’ait pas "fait chavirer le navire" et c’est de cette manière qu’il faut comprendre ce qu’il entend par "démanteler le Makhzen".

Pensez-vous qu’il s’est coupé de ses anciens soutiens ?

Je crois très sincèrement qu’il a irrémédiablement endommagé son image de prince intellectuel qui apporte sa part constructive au débat sur les nécessaires réformes devant assurer l’ancrage du Maroc dans la démocratie. Il a essayé de surfer sur la vague des "printemps arabes" en distillant un discours qui n’a pas convaincu sur l’avenir des institutions marocaines. Sa vision apocalyptique d’une "révolution du cumin" a laissé un goût de cendre dans la bouche des jeunes du Mouvement du 20 Février qui y ont décelé la volonté cachée du prince de jouer un rôle messianique à l’affût d’une opportunité de carrière dirait-on dans d’autres circonstances. Je ne m’étonne pas de voir qu’il est aujourd’hui autant critiqué par ceux qui l’ont soutenu hier que par ses éternels détracteurs. Les seuls qui le suivent encore le font par la seule reconnaissance du ventre.

N’est-il plus pour vous ce prince démocrate et réformateur dont vous chantiez les louanges ?

Je n’ai jamais chanté les louanges du prince. Je croyais qu’une amitié sincère nous liait jusqu’au jour où j’ai déchanté en comprenant que l’autoritarisme était pour lui une constante, que ce soit dans les relations humaines ou lorsqu’il s’agit d’imaginer une réforme constitutionnelle pour le Maroc. Cela transparait dans son ouvrage lorsqu’il se mesure avec fascination à Feu Hassan II ou lorsqu’il tente de fustiger l’entourage royal avec qui il a longtemps frayé à son avantage. Son projet politique est clair : il donne la fausse impression de vouloir éradiquer les relents du féodalisme oriental qui caractérise un aspect de la Couronne tout en défendant bec et ongles un avatar de régime monarchique habillé des oripeaux d’un républicanisme tout aussi dépassé. Je pense que personne aujourd’hui ne le suivrait dans cette aventure à hauts risques, tant elle est exclusivement taillée à sa mesure. On ne peut pas s’affirmer démocrate et désinteressé du pouvoir et œuvrer dans l’ombre en postulant à un rôle pour lequel on n’est pas légitime.

Partagez-vous le qualificatif d’Iznogoud dont d’aucuns l’affublent ?

C’est une caricature qui n’est pas si loin de la vérité. Comme ce personnage de bandes dessinées, il ronge son frein en attendant un Grand soir qui ne vient pas pour lui. Il l’avoue dans son livre lorsqu’il dit : "Si l’occasion se présentait, j’apporterai ma contribution". De quelle occasion parle-t-il au fond ? D’un événement qu’il appelle de ses vœux pour rentrer au bercail en sauveur du peuple ? Quelle que soit la volonté du peuple marocain qui est souverain de ses choix, je suis loin, très loin de penser qu’il puisse faire partie des équations politiques actuelles ou à venir. Le Maroc n’est pas encore une démocratie, mais elle se bâtira sans lui aux manettes.

Par Mohamed Chakir Alaoui
Le 02/05/2014 à 18h39