Ahmed R. Benchemsi nègre de Moulay Hicham

Le360

Le livre du prince Moulay Hicham, dont la sortie est annoncée pour le mois d’avril aux éditions Grasset, a été écrit en collaboration avec le journaliste Ahmed Reda Benchemsi.

Le 28/03/2014 à 01h16

Le livre du prince Moulay Hicham, dont la sortie est annoncée pour le mois d’avril aux éditions Grasset, a été écrit en collaboration avec le journaliste Ahmed Reda Benchemsi (ARB), a appris Le360 d’une source sûre. ARB aurait prêté sa plume pour donner corps à un livre que le prince projetait d’écrire depuis plusieurs années, mais qu’il n’a pas réussi à aboutir faute du concours d’un "nègre" "soumis et dévoué". Interrogé avec insistance par Le360, ARB n’a pas voulu commenter cette information. Sa non-réponse est sans surprise : le propre d’un "nègre" est de faire de la sous-traitance dans l’anonymat. Et quand bien même l’intéressé aurait formellement démenti avoir contribué d’une quelconque façon à la rédaction du journal du prince, le film des événements et des faits donne beaucoup de crédibilité à l’affirmation de notre source.

ARB panégyriste du prince

Tout commence par un article de 8 pages publié dans le magazine Tel Quel, daté du 18 au 24 décembre 2010. Intitulé "La nouvelle vie de Moulay Hicham", cet article, signé par "Ahmed R. Benchemsi, envoyé spécial à Princeton (New Jersey) et Palo Alto (Californie)", a fait l’objet de la couverture de l’hebdomadaire. Il s’agit d’un article qui tient à la fois du portrait et du reportage sur le prince Moulay Hicham, sa famille et son mode de vie. Le prince est décrit comme dans une cité idéale avec des mots qui excluent ne serait-ce que l’ombre d’une critique. Tout est parfait : le cadre, les amis, la famille, l’argent, la santé. La carte postale rappelle les odes des poètes arabes qui redoublaient de superlatifs pour faire l’éloge d’un protecteur.

ARB, qui connaît le métier, devait savoir qu’un article de ce genre -où il revêt le costume du laudateur de la première jusqu’à la dernière phrase- n’est même pas envisageable de la part d’un élève en première année de journalisme. ARB n’avait cure de respecter les règles les plus élémentaires du journalisme. En tressant des lauriers au prince, il avait d’autres plans. Il savait qu’il signait publiquement un pacte d’allégeance, un pacte où il se soumet au prince pour servir ses intérêts et tirer à boulets rouges contre ses ennemis et les institutions de l’Etat. D’ailleurs, une semaine après la publication de cet article, ARB va prendre tout le monde de court en disant "adieu et merci" aux lecteurs de Tel Quel, laissant au passage un goût amer aux journalistes de la rédaction dont certains ont été "ahuris par le pacte de soumission au prince".

Comme dans tout madih (panégyrique), l’ode d’ARB au prince va donner lieu à une récompense : un poste de chercheur invité dans le cadre d’un programme, financé exclusivement par la fondation Moulay Hicham, à l’université Stanford en Californie. Grâce à la générosité de son protecteur, ARB s’installe en Californie avec femme et enfants.

ARB devient membre du "programme réforme et démocratie arabe" mis en place pour une durée de 5 ans à l’université de Stanford. Ce programme, qui a été inauguré en 2009, touche donc à son terme cette année. Et si le prince ne renouvelle pas son "don généreux", selon les termes de Larry Diamond, directeur du "Centre sur la démocratie, le développement et la règle de droit", qui abrite la structure du prince, le programme-phare de la fondation Moulay Hicham tomberait à l’eau. Mais ARB ne risque pas de se retrouver dans une situation précaire, car il a une autre mission qui est d’ailleurs la vraie raison de sa présence à Stanford. Nous y reviendrons.

Restons encore un peu avec les huit pages dithyrambiques de ARB sur Moulay Hicham où il a longuement parlé de la "la fortune colossale" du prince. Des dizaines de millions de dollars sont cités par-ci, investis par-là. Une question de bon sens : pourquoi un prince aussi riche cherche-t-il à emprunter par tous les moyens de l’argent aux banques marocaines ? Le dernier emprunt en date, d’une valeur de 90 millions de dirhams, a été consenti par la Banque Populaire moyennant l’entremise d’une personnalité à qui il est difficile d’opposer une fin de non-recevoir. Et quand on apprend que la CNSS a attaqué en justice (dossier 897-8-2006) Maha Développement, une société appartenant à Moulay Hicham, pour récupérer près de 2 millions de dirhams (exactement 1.922.63,57 DH) de cotisations patronales non payées, le modèle de société dont se prévaut le prince dans son portrait par ARB s’écroule comme un château de carte. ARB aurait mieux fait de s’inspirer des romans de Zola qui dénoncent l’exploitation ouvrière au XIXe siècle plutôt que de se laisser aller aux élans laudatifs des poètes arabes aux princes et khalifes.

La preuve par le style 

Toute personne un tant soit peu familiarisée avec les écrits de Moulay Hicham ne peut être que très surprise par la différence de ton et de style entre les publications anciennes du prince et son texte, "L’autre Maroc", publié dans la revue Pouvoirs (n°145, 2013) où il prédit la révolution du cumin en 2018 au royaume. La distance de la terre au ciel sépare l’écriture raide, sèche, cherchant par tous les moyens à avoir l’apparence du traitement objectif et académique des publications antérieures de Moulay Hicham et le style imagé, épicé, coloré de "L’autre Maroc". Quelle révolution s’est produite dans la tête du prince pour changer de fond en comble son écriture ? Qu’est-ce qui a bien pu se passer pour qu’il renonce à son exercice favori consistant à commenter et analyser l’actualité avec un jargon universitaire pour faire dans le récit d’anticipation ? Qu’est-ce qu’il l’a poussé à décoller du réel pour se livrer à un exercice de science-fiction ?

Le genre auquel appartient le texte futuriste de Moulay Hicham est très prisé par ARB. Avant qu’il ne vende ses parts à Tel Quel, ARB s’est livré selon ses propres termes à "un exercice inédit au Maroc : le journalisme d’anticipation" dans le numéro du 31 juillet au 3 septembre 2010. Il a fait un dossier "spécial politique-fiction" dont il a assuré le "scénario et la rédaction". Intitulé "Mohammed VI, 20 ans de règne", ce dossier nous décrit le Maroc en 2020. Donc, nous avons d’un côté un article signé par le prince qui nous invite au Maroc en 2018 et de l’autre un article signé par ARB qui nous propose une virée dans le Maroc de 2020.

La similitude entre l’article du prince et celui de ARB n’est pas seulement manifeste du point de vue du genre auquel appartiennent l’un et l’autre des écrits. La parenté entre les deux articles est évidente jusque dans des tournures de phrases communes aux deux publications. Sans parler du fond commun aux deux articles : décrire le Maroc non pas tel qu’il est mais selon le fantasme qu’on s’en fait. De là à en déduire que ARB est derrière la révolution stylistique du prince et qu’il lui a servi d’auxiliaire pour faire de la sous-traitance, il n’y a qu’un pas qu’on franchit vite quand on se convainc que les deux articles sont des frères jumeaux. D’ailleurs, ce n’est pas une révélation que d’affirmer qu’ARB fait le "nègre" pour le prince Moulay Hicham. Le site demainonline.com a déjà qualifié ARB de "porte-encrier" de Moulay Hicham.

Mais personne n’avait jusque-là dévoilé la vraie raison de l’intérêt témoigné par le prince pour ARB et son recrutement en tant que chercheur invité à l’université de Stanford : l’aider à écrire le livre avec lequel il espère faire trembler les institutions de l’Etat. C’est à la lumière de cette information que l’on peut aussi interpréter le tournant résolument hostile au Maroc et à ses institutions des écrits et interventions d’ARB qui sont postérieurs à sa résidence aux USA. Ce qui remet sévèrement en question l’indépendance du journaliste dont chaque intervention semble conforme à la ligne éditoriale dictée par le prince. Interrogé récemment par Tel Quel (14 juin 2013) sur sa proximité avec Moulay Hicham, ARB répond : "Que Moulay Hicham est un démocrate sincère, dont je m’honore de l’amitié. Et que depuis 18 ans que je fais du journalisme, je n’ai jamais eu besoin de personne pour me tenir la main quand je tape sur un clavier". Il est évident que Moulay Hicham ne tient pas la main d’ARB quand il tape sur un clavier, mais c’est lui qui montre les personnes, les parties et les institutions sur qui taper. A la faveur de cela, il faut toujours chercher la main du prince derrière chaque sortie d’ARB.

Un titre qui ment

"Journal d’un prince banni", tel est le titre du livre dont Moulay Hicham multiplie les teasing. Le prince qui se targue d’être un chercheur, et qui devrait être précis sur l’usage des mots, doit sans doute connaître le sens exact du verbe bannir. Selon le dictionnaire Le Petit Robert, "Bannir : condamner (qqn) à quitter un pays, avec interdiction d’y rentrer". Or, personne, ni aucune autorité au Maroc n’a condamné Moulay Hicham à l’exil. D’ailleurs depuis qu’il a élu domicile aux USA, le prince rentre comme il veut et quand il veut au Maroc. Pour avoir une petite idée de la fréquence de ses déplacements au Maroc, il suffit de consulter son ardoise d’impayés à la RAM (près de 4 millions de dirhams). En approuvant un titre racoleur, Moulay Hicham place d’emblée le mensonge à l’orée de son livre. Un titre qui ment augure sinon d’un contenu mensonger, du moins d'un sévère discrédit jeté sur les "vérités" que va nous rapporter le prince dans son journal. Il ne faut donc pas être surpris que les pages intérieures du livre soient aussi approximatives que le titre qui les coiffe.

Même si un journal autobiographique se définit comme le récit rétrospectif qu’une personne fait de son existence, les récits d’anticipation sont tellement prisés par ARB, le nègre du prince, qu’il aura beaucoup de mal à renoncer à sa propension à raconter ce qui va se produire et non pas ce qui a eu lieu. Cette année, le mois d’avril risque d’apporter, en plus de son lot de mensonges, un genre hybride.

Par Le360
Le 28/03/2014 à 01h16