Visite d’Emmanuel Macron en Algérie: chronique d’un échec inévitable

Le président français Emmanuel Macron et le président algérien Abdelmadjid Tebboune.

Le président français Emmanuel Macron et le président algérien Abdelmadjid Tebboune. . Le360 (photomontage)

Tout le monde a compris que Macron, en «choyant» Al Mouradia, cherche à déconnecter Tebboune du sérail militaire. Non pour le «légitimer» (ça serait trop dire!) mais au moins l’installer en tant qu’«interlocuteur valable», qui pourrait parler au nom de l’Algérie, puisque les «décideurs galonnés» demeurent insaisissables.

Le 24/08/2022 à 09h00

L’identification d’un interlocuteur ou un décideur crédible en Algérie relève de l’impossible, en raison même de la nature opaque du régime algérien. Les militaires ont la mainmise sur tout mais préfèrent demeurer dissimulés derrière une factice devanture civile du pouvoir. Un régime qui cultive et entretient structurellement l’opacité pour préserver l’impunité du système.

Certes, aujourd’hui, plusieurs dizaines de généraux et d’officiers (plus de quarante) sont sous les verrous. Mais cela n’a rien à voir avec la justice ou l’Etat de droit. Ce ne sont que des guerres de clans avec les perdants incarcérés. Les uns et les autres, sortent tous du même moule calamiteux.

Qui représente le peuple algérien?Qui représente le peuple algérien? Qui parle au nom du peuple? Toutes les institutions algériennes relèvent du simulacre. Avec qui parler et décider? C’est dans ce contexte politique, quasi unique dans le monde, que se déroule la visite du président français Emanuel Macron en Algérie, prévue entre le 25 et le 27 août 2022.

De plus, depuis la mort de Houari Boumédiène (le fossoyeur de l’Algérie), il y a un dogme gravé dans le marbre par l’institution militaire: «jamais le président, qu’il soit civil ou militaire… nommé et placé en devanture factice du pouvoir par les militaires… ne doit ni ne peut devenir crédible et populaire!». Le lien du président avec le peuple doit rester «insignifiant». Toute tentative d’émancipation d’un président est immédiatement neutralisée.

Le dogme du «président faible» est autant enraciné dans les mentalités des militaires que celui de la «haine du Maroc». L’ennemi extérieur, «classique», source d’une prétendue menace qui permet aux généraux de «fabuler» sur tout et de maintenir le peuple sous la menace d’une guerre a pour seule fin de se perpétuer au pouvoir.

Le président ne peut faire de l’ombre au pouvoir des militaires, ni gêner leur doctrine qui considère le peuple algérien comme un éternel mineur. Le slogan phare du Hirak, un «Etat civil et non militaire», a parfaitement identifié cette emprise.

La doctrine du président faibleUn président algérien légitime, issu des urnes est, pour le moment, une chimère. Alors que dire de ces présidents, en majorité avec des profils «très moyens» et qui ont eu tous une fin de carrière malheureuse?

Chadli Bendjedid, qui voulait tenter une relative «démocratisation», a été démissionné en janvier 1992 par des généraux putschistes «éradicateurs» (un mot horrible!) conduits par Nezzar et Toufik. Bendjedid resta assigné à résidence 7 ans après son éviction. Mohammed Boudiaf fut assassiné en juin 1992 après 5 mois d’exercice. Il a commis le «crime» de vouloir faire la paix avec le Maroc. Liamine Zeroual fut démissionné 2 ans avant la fin de son mandat, en 1998. Il avait un projet et voulait s’émanciper grâce à un parti que ses proches avaient créé, le Rassemblement National démocratique (RND). Le couperet est tombé: niet!

Bouteflika qui avait un relatif prestige a, plus ou moins, tenu tête aux généraux pendant près de 20 ans. Il les a combattu avec leurs propres armes, en provoquant une scission –publique– dans leur rang, moyennant l’installation au front d’un bulldozer, Ahmed Gaïd Salah, qui a nettoyé au kärcher l’armée des généraux qui étaient affiliés au puissant clan de Toufiq et de Nezzar. Bouteflika a réussi à briser la sacro-sainte omerta au sein de l’armée, dévoilant aux yeux du monde que l’ANP se constitue de gangs, unis par les mêmes intérêts, mais qui peuvent se livrer des guerres impitoyables pour conserver leur territoire. L’onde de choc du cataclysme provoqué par Bouteflika dans l’armée est encore perceptible et le feuilleton des vendetta loin d’être fini. Le Hirak a toutefois acculé le Système vers les ressorts de la survie, et Bouteflika a été débarqué dans des conditions rocambolesques et humiliantes.

Quand à Abdelmadjid Tebboune, avec lequel le président Emmanuel Macron souhaite «négocier» et «régler» les problèmes en suspens, il a été «nommé» le 12 décembre 2019 par un clan de généraux, contre un autre clan qui voulait un autre «prétendant» à la présidence, Azzedine Mihoubi. Ce dernier était secrétaire général du RND et avait exercé comme ministre de la culture. En plus de sa jeunesse, il avait des défauts rédhibitoires pour les généraux. Mihoubi est journaliste, poète, romancier et scénariste. L’horreur totale pour une brute comme Gaïd Salah.

Aujourd’hui, Tebboune ne cherche pas à contrarier les militaires. Ils l’autorisent à être médiatisé à travers d’inénarrables rencontres avec la presse qui, au contraire, l’enfoncent. Il faut bien que le régime donne l’illusion qu’il y a une présidence de la république.

«Tebboune l’usurpateur»L’accablé Tebboune est illégitime parce qu’il est «désigné»… et il est également illégitime parce que les militaires l’ont «fait passer» avec des «scores électoraux humiliants» dans des élections, en plus, pipées. Pour la présidentielle du 12 décembre 2019, ils l’ont fait «élire» avec un taux de participation de 39,9%. Et pourtant la junte qui bourre les urnes à la carte, aurait pu faire un petit geste pour préserver la «dignité» du bonhomme. Le «faire passer», par exemple, avec un taux de participation entre 50 ou 60 %. Les militaires lui ont tatoué ce petit taux de participation comme une stigmate honteuse, histoire de lui rappeler qu’il n’a aucune légitimité populaire.

Pour le référendum du 1er novembre 2020 sur la révision de la Constitution, ils lui ont fait un coup pire. Les généraux ont certes «fait approuver» le projet, soi-disant porté par Tebboune, mais en lui infligeant un taux de participation encore plus faible de 23%. Tebboune en est encore sonné! Zéro popularité! Le plus intéressant est de noter comment les généraux pianotent sur le taux de participation «trafiqué à la base» pour faire comprendre au président qu’il n’a aucune assise populaire.

On ne s’attardera pas trop sur d’autres «crasses» faites à Tebboune. Le chef d’état-major s’est opposé à un remaniement ministériel en février 2021. Le président a voulu tester son pouvoir, mais il fut rappelé à l’ordre. La junte a aussi mobilisé sa propagande pour coller à Tebboune et au Premier ministre la responsabilité de l’annulation de l’achat d’avions bombardiers d’eau espagnols pour éteindre les incendies. Or tout le monde sait que cette annulation est une réaction hystérique de la junte qui prétendait «sanctionner» l’Espagne à cause de son rapprochement avec le Maroc. Alors qu’elle a sanctionné son propre peuple.

Depuis son «investiture», Tebboune n’a lancé, ni inauguré aucun projet social, économique ou industriel d’envergure, à part quelques babioles. L’effacement est sa feuille de route! Il y a eu certes cette visite officielle en Turquie mais elle fut marquée par plusieurs couacs diplomatiques des deux côtés et surtout par les maladresses de protocole de Tebboune à tous les niveaux. Cela a dû bien faire ricaner les militaires.

C’est dans cette drôle d’ambiance que le président français va effectuer une visite officielle. Malgré les salamalecs et les coups de fils affables entre les 2 présidents, Macron, un président élu, sait probalement où il va mettre les pieds.

Dans un moment de grande lucidité, il a déclaré en septembre 2021 que Tebboune, même s’il a un bon dialogue avec lui, «est pris dans un système très dur». Il a ajouté –après des propos polémiques sur le «système politico militaire algérien» entretenant la «rente mémorielle»– que «j'ai le plus grand respect pour le peuple algérien et j'entretiens des relations vraiment cordiales avec le président Tebboune. C'est quelqu'un en qui j'ai confiance».

Tout le monde a compris que Macron en «choyant» Al Mouradia cherche à déconnecter Tebboune du sérail militaire. Non pas pour le «légitimer» (ça serait trop dire!) mais au moins l’installer en tant qu’«interlocuteur valable», qui pourrait parler au nom de l’Algérie, puisque les «décideurs galonnés» demeurent insaisissables.

Crédibiliser Tebboune reste un vœu pieux car ce n’est pas un battant. De plus, il n’a pas de légitimité populaire. S’il se risque à un bain de foule, il est plus que probable que l’un des slogans-phare du Hirak montera vers le ciel: «Tebboune Lmzawar, jabouh Laâskar» («Tebboune l’usurpateur a été imposé par les militaires»).

Et puis il y a ce dogme opposable au peuple algérien et à toute la planète, y compris à Macron et à la France, qu’aucun président de la république algérienne ne peut avoir un pouvoir de décision. 

Du lustre pour les générauxAlors avec qui faut-il traiter en Algérie? Le pays des slogans, des revirements, des décisions contradictoires, des déclarations qui disent la chose et son contraire. Et ces sanglantes luttes de clans souterraines, ces stratégies de dissimulation dans un Etat (?) noyauté par une dictature militaire violente et répressive.

La finalité de la visite pour les Français est diamétralement opposée à celle des généraux. Ils veulent aussi cette visite mais pour d’autres raisons. Les généraux visent des objectifs en lien étroit avec leurs intérêts personnels, leurs démons et leurs hantises. Le peuple est absent de leurs calculs. Ils cherchent à soigner leur image nationale et internationale, endommagée par leur barbarie, leur racisme et leur antisémitisme. Et aussi leur mauvaise gouvernance économique. Ils veulent la visite de Macron et les images l’accompagnant pour soi-disant conforter leur respectabilité. Comme si la junte pouvait prétendre à la respectabilité. Des images qui seront exploitées comme des trophées, accompagnée par ces discours triomphalistes et auto-gratulations relatifs à une supposée diplomatie conquérante, d’une «force plus frappée que frappante»…

Ils espèrent par cette visite faire sortir le régime algérien du statut de paria, pays voyou allié de l’Iran, de la Syrie, du Venezuela, de Cuba, du Hezbollah et incubateur de toutes les hordes terroristes au Sahel. Un régime qui fait tout pour évincer la France du Sahel mais sans faire mieux qu’elle. Pour semer encore plus le désordre arrangeant les intérêts, les slogans et la propagande de la junte. Y compris par le soutien aux milices Wagner.

Ils veulent aussi vendre à l’Afrique cette visite comme une reconnaissance de leur statut de «puissance régionale». Instrumentaliser également cette visite pour le prochain et très ordinaire sommet arabe à Alger, dévolu au régime algérien grâce à la rotation alphabétique des Etats membres, mais qui a été transformé en enjeu majeur, avec une série de ratés, dont le plus retentissant est l’incapacité de la junte à organiser ce rendez-vous à ses dates habituelles au mois de mars.

Faire oublier le scandale des incendies et l’absence ne serait-ce que d’un seul Canadair dans un pays qui brûle mais dont l’armée possède près de 530 aéronefs entre Mig, Sukhoi et Iliouchine et autres 1800 chars, sans compter l’armement du Polisario, le bataillon appendice de l’ANP.

Jouer dans la cour des grands pays gaziersSeules les images «du moment» compteront pour la junte car les alliances funestes se poursuivront après la visite de Macron. Rien ne changera! Une visite détournée en opération de com en faveur de la junte. Une manipulation politico médiatique qui ne réglera aucune crise, ni mémorielle, ni économique et ni géopolitique ou autre.

D’ailleurs la junte s’agrippe au statu quo. Elle acceptera certainement de négocier la question du gaz. Avec le pétrole, c’est leur source de cash et qui permettra aussi de déployer toutes les futures formes de chantage. Même si le gaz en Algérie tarit et que la consommation domestique absorbe les deux tiers de la production, l’électricité en Algérie étant intégralement produite à base de gaz naturel, le régime va bomber le torse et tenter de jouer dans la cour des grands pays gaziers, sans doute conforté par une Europe qui connaît très bien les capacités gazières du pays, mais cherche désespérément le moindre mètre cube pour rendre moindre douloureuse une potentielle raréfaction du gaz russe l’hiver prochain.

Certains disent que la France consciente de fragilité de la position internationale de l’Algérie chercherait à en profiter. Certes, les généraux sont prêts à sacrifier et brader leur gaz (comme ils l’ont fait avec l’Italie), mais ils ne sont plus en capacité d’en fournir davantage, à moins de détourner une partie de la consommation domestique vers l’export. Ce qui ne sera certainement pas du goût du peuple et fera certainement allumer la mèche d’un Hirak plus virulent.

Il est évident que la visite de Macron ne changera rien. L’ancien ambassadeur de France en Algérie Xavier Driencourt, un fin connaisseur des stratagèmes, artifices et roueries de la junte vient de déclarer qu’il ne voit «pas bien l’intérêt d’une telle visite actuellement. Il n’y a pas de changement récent dans les relations avec l’Algérie».

Tant que le président Macron ou un autre chef d’Etat n’aura pas devant lui les réels décideurs, c'est-à-dire les représentants des différents «clans de généraux» qui composent la nébuleuse militaire algérienne, aucun dialogue et aucune avancée ne seront possibles avec l’Algérie.

Par Jalal Drissi
Le 24/08/2022 à 09h00