Vidéo. Jamal Eddine Mechbal: "voici pourquoi l'affaire Ghali est une occasion de chasser la Rasd de l'Union Africaine"

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Auteur de plusieurs livres en espagnol sur le Sahara, et ex-diplomate dans plusieurs capitales, dont Madrid, Jamal Eddine Mechbal est membre de plusieurs organismes et centres de recherche. Ministre plénipotentiaire à la retraite, il analyse l’affaire Brahim Ghali, le chef du Polisario arrivé en Espagne pour y être hospitalisé une fausse identité.

Le 29/04/2021 à 15h35

Pour l’ex-diplomate marocain, aujourd’hui installé à Malaga, il faut d’abord faire une lecture de l'affaire Brahim Ghali en relation avec l’Algérie et la situation générale que vit le voisin de l'Est.

«C’est un pays qui vit une situation économique difficile et le régime a un sérieux problème de légitimité», affirme d'emblée Jamal Eddine Mechbal. Et de s'interroger: «dès lors, comment le citoyen algérien Lamba, qui poireaute une heure pour pouvoir acheter un litre de lait, pourrait-il accepter que le régime, qui «loue» Tindouf aux séparatistes, se permet de mobiliser un avion spécial, à ses frais, et de négocier [avec les autorités espagnoles, Ndlr] pour évacuer Brahim Ghali en Espagne?».

Pour Jamal Eddine Mechbal, Brahim Ghali doit aussi être poursuivi pour usurpation d’identité, puiqu’il s’est fait passer pour un diplomate algérien dénommé Mohamed Benbatouche. «Il n’y a que les barons de la drogue et les terroristes à recourir à ce genre de pratiques (…) Et cela me rappelle le cas du célèbre terroriste Carlos, qui était toujours reçu à bras ouverts en Algérie», commente l’ex-diplomate marocain.

Sur un autre registre, Jamal Eddine Mechbal estime que cette affaire doit aussi être soumise à l’Union africaine. «Comment un tel organisme panafricain accepte-t-il en son sein le soi-disant représentant d’un Etat qui se balade avec un passeport étranger? C’est une raison de plus d’étudier l’éventualité d’expulser la RASD de l’UA», affirme notre interlocuteur.

Pour notre interlocuteur, la diplomatie marocaine doit travailler dans ce sens. «Il est vrai que les textes fondateurs de l'Union africaine ne prévoient pas un tel cas de figure, mais cela ne doit pas nous empêcher de pousser à une refonte de ces textes», explique Jamal Eddine Mechbal.

«Cela nous renforce dans la conviction, et c'est une évidence, que l'entité séparatiste ne peut faire prévaloir le statut d'un Etat. Avec ce genre d'agissements, les sépératistes portent un coup fatal à la crédibilité de cette organisation continentale», affirme l'ex-diplomate.

Perdo Sanchez, comme un parfait bleuJamal Eddine Mechbal se dit très étonné que Pedro Sanchez et son gouvernement soient tombés, de manière aussi stupide, dans le piège algérien. «Ou alors ils [les Espagnols, Ndlr] ont fait une lecture erronée de bout en bout», commente l’ex-diplomate, qui salue la clarté et la fermeté des arguments contenus dans la réaction du ministère marocain des Affaires étrangères.

En effet, si les responsables espagnols avaient mis en avant des «raisons humanitaires» pour expliquer le «refuge» qu'ils ont accordé au chef des séparatistes, le Maroc a répondu que ce n’était pas de cette manière qu’on se doit de traiter un voisin par ailleurs volontiers qualifié de «partenaire stratégique». A cet égard, la série de questions soulevées par la diplomatie marocaine prend tout son sens, et Madrid n’a d'ailleurs su y fournir aucune réponse convaincante.

Des voies de recours pour les victimes de Brahim GhaliQuel recours resterait-il donc aux victimes de Brahim Ghali, qui se comptent par centaines, s'il n’était pas inquiété par la justice espagnole?

Jamal Eddine Mechbal répond que la justice espagnole est, en principe, indépendante du pouvoir exécutif. Mais il fait observer que l’Espagne étant membre de l’Union européenne, les victimes de Brahim Ghali ont tout autant le droit de saisir la justice européenne, voire la justice internationale.

L'ex-diplomate a toutefois tenu à attirer leur attention sur une spécificité bien particulière de la législation espagnole.

En effet, en vertu de dispositions spéciales liées à ce qu’on appelle la «prévarication» (Art 545 du Code pénal), un membre du gouvernement pourrait être poursuivi en justice s’il s’avère qu’il est intervenu pour empêcher autrui de faire valoir et jouir de ses droits. Une disposition du droit espagnol, qui s’applique aussi au chef du gouvernement.

La coopération, oui, mais dans les deux sens et dans le respectQu'en est-il, alors, de l’avenir de la coopération entre les deux pays, devant les tous derniers développements qui ont eu lieu entre les deux pays, tout particulièrement en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme?

«Feu Hassan II disait [à propos de l’Espagne, Ndlr] qu’on était condamné à coopérer (…) Malheureusement, avec ce genre d’affaires, se pose un problème de confiance et de manière très dangereuse», affirme Jamal Eddine Mechbal, qui évoque une «approche sélective» des question bilatérales par les autorités espagnoles. «Ils sont très préoccupés par les terroristes, mais semblent oublier que 300 familles canariennes ont fait les frais du terrorisme du Polisario, comme en ont fait les frais des milliers de Sahraouis», explique-t-il. 

Dernière remarque et non des moindres, l'ex-diplomate marocain affirme aussi que ce coup de froid entre Madrid et Rabat risquerait bien de déteindre sur la coopération sécuritaire, non seulement maroco-espagnole, mais aussi entre le Maroc et d'autres pays européens. 

Par Mohammed Boudarham et Youssef El Harrak
Le 29/04/2021 à 15h35