Ministères passés au crible – EP6: Nasser Bourita, le visage d’une diplomatie offensive et décomplexée

Nasser Bourita. 

Nasser Bourita.  . Le360 (photomontage)

Dans notre série consacrée au bilan gouvernemental, c’est le ministre des Affaires étrangères qui est passé au crible cette semaine. Constat global: s’il semble être né sous une bonne étoile, il a su ne pas perdre le nord pour une diplomatie offensive, dans la sérénité.

Le 04/08/2021 à 17h59

«Do you know Morocco? I am its Foreign affairs minister!». Cette phrase n’a jamais été prononcée, et ne le sera jamais, par Nasser Bourita, comme l’avait fait un certain Saâd-Eddine El Othmani, actuel chef de l’Exécutif, en serrant la main de Vladimir Poutine.

C’est parce que les diplomates étrangers savent déjà bien qui est Nasser Bourita, et savent surtout ce dont est capable le Maroc, puissance régionale, n’en déplaise à ceux qui veulent faire croire le contraire.

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Ce fils de Taounate, petite localité qui a donné de grands commis de l’Etat (Midaoui, Sahel, etc.), a intégré le ministère des Affaires étrangères en 1992, juste après ses études de relations internationales à l’université Mohammed V de Rabat. Il a fait ses débuts à la direction de la coopération multilatérale, avant de faire la rencontre de l’homme qui allait donner un vrai tournant, décisif, à sa carrière.

A l’école de BenmoussaFeu Abderrahim Benmoussa est peu connu du grand public. Mais il bénéficiait carrément d’une sorte de vénération auprès des cadres du ministère des Affaires étrangères, pour son aura, et surtout pour son savoir et ses connaissances. C’est cet homme, ambassadeur du Royaume en Autriche, que Nasser Bourita va avoir comme patron, lui qui rejoint Vienne, en 1995, en tant que premier secrétaire de l’ambassade du Royaume en Autriche.

«Abderrahim Benmoussa était un as des relations internationales. Il avait l’art, pour ne pas dire la manie, de dimensionner un dossier multilatéral. C’est, en gros, ce qu’il a transmis à Bourita», se rappelle une source, qui a bien connu les deux hommes.

Doté, dès le début de sa carrière, d’un fort esprit d’analyse et de synthèse, Nasser Bourita devient le principal collaborateur de Abderrahim Benmoussa. Les promotions suivent, tout naturellement: conseiller à la direction générale des relations multilatérales et de la coopération globale, en 2000, chef de service des organes principaux des Nations unies, en 2002, il est nommé, la même année, conseiller à la mission du Maroc auprès des Communautés européennes à Bruxelles.

En décembre 2003, Nasser Bourita est désigné chef de la division des Nations unies au ministère. Trois ans après, il devient directeur des Nations unies et des Organisations internationales.

En 2009, Taïeb Fassi Fihri le repère et en fait son chef de cabinet. Passé pendant plusieurs années par le poste stratégique de secrétaire général, il est nommé ministre délégué, en 2016, puis ministre des Affaires étrangères une année plus tard.

L’approche juridique d’abordBien que la diplomatie du Royaume reste un domaine régalien, réservé au chef de l’Etat, Nasser Bourita a su trouver les bons outils pour appliquer les directives et les instructions du Souverain et a su mobiliser les équipes.

«Nasser Bourita est une mécanique intellectuelle qui sait assimiler les dossiers, lui qui épluche toute note qui atterrit sur son bureau», affirme un diplomate sous le sceau de l’anonymat. Et son point fort, nous explique la même source, est «la centralité du traitement juridique de toutes les affaires». Cette même «centralité» est brandie à la face des ennemis du Maroc, surtout quand il s’agit du Sahara, la première cause du Royaume.

Quand il participait, par exemple, aux tables rondes de Genève, c’est cette approche juridique qu’il avait utilisée pour mettre KO le Polisario en lui reniant la prétendue qualité de représentant exclusif des Sahraouis. Tout à fait logique, quand la délégation marocaine est composée d’élus et de présidents de régions sahraouis.

«Le Maroc a repris sa place à l’Union africaine, mais tout le travail restait à faire et il fallait une vigilance et du travail 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7», affirme un ancien diplomate. Idem quand, au niveau de chefs d’Etat, il est décidé l’ouverture d’un consulat à Dakhla ou à Laâyoune, et qu’il faut assurer le suivi et donner du concret à de telles décisions.

Aujourd’hui, Dakhla et Laâyoune abritent une vingtaine de consulats, dont l’Américain, et le surnom qu’on a donné à Bourita, «Moul lmqess» («L’homme aux ciseaux») est emblématique à la fois du nombre d’inaugurations de consulats au Sahara, et de l’aspect tranchant du chef de la diplomatie marocaine, qui a porté les coups les plus durs au Polisario et à son parrain algérien, depuis le début du conflit du Sahara.

Pas de tabous et certainement pas l’autre joueLors de l’une de ses récentes sorties, Nasser Bourita avait affirmé que, pour les intérêts du Royaume, il était prêt à s’allier avec le diable, en réponse à une question sur la reprise des relations avec Israël. Autrement dit, notre diplomatie a fait du pragmatisme l’un des credo de son action, qui ne perd jamais de vue les intérêts du Royaume.

Et quand ces intérêts font l’objet de manigances, la diplomatie marocaine ne tend pas l’autre joue, ou encore regarde ailleurs. C’est cette fermeté qui a été mise en avant lors de la crise avec l’Iran, avec l’Allemagne et surtout avec l’Espagne, qui a accueilli l’ennemi numéro Un du Maroc, soi-disant pour des raisons humanitaires.

Nasser Bourita dit à qui veut l’entendre que l’ère du paternalisme est révolue, et que celui qui veut traiter avec le Maroc doit le faire dans le respect de ses intérêts et de ses institutions. Des deals d’égal à égal, win-win, sinon on ne joue pas.

Quand l’Allemagne a décidé d’ignorer le Maroc lors de la rencontre Berlin 1, sur la Libye, Rabat a décidé, à son tour, d’ignorer l’invitation qui lui a été faite pour Berlin 2. Bourita est aussi connu pour son sens de la répartie et de la phrase assassine.

«Il n’y a pas de solution berlinoise à un problème en Afrique du Nord», c’est ainsi que notre chef de la diplomatie a sanctionné le deuxième sommet sur la Libye, organisé dans la capitale de l’Allemagne. Et il sait bien de quoi il parle, lui qui a assisté à d’innombrables rencontres au Maroc (Skhirat, Bouznika et Tanger) entre les protagonistes de ce conflit.

Réhabiliter le diplomate de carrièreQuand Nasser Bourita a pris les rênes du ministère des Affaires étrangères, il a (re)trouvé un bon paquet de ses camarades de parcours, mais aussi quelques poches de résistance. «Il y a des gens que le changement effraie, mais il fallait donner un coup de pied dans la fourmilière», affirme ce fin connaisseur des rouages du ministère. Et il fallait aussi rattraper, ou ne pas répéter, des énormités faites auparavant et restées gravées dans les annales de ce département.

Un ancien ministre, par exemple, qui a décidé d’un large mouvement de quelque 70 diplomates sans les avertir, alors que la règle consiste en une longue concertation avec tous les concernés. «Feu Alem Menouar, après s’être battu comme trente hommes dans les couloirs de l’UE pendant 11 ans, s’est retrouvé ambassadeur à Istanbul, lui qui rêvait de rentrer à Rabat préparer sa retraite», expliquent nos sources. Il y a pire encore: une autre personnalité hispanophone a été désignée ambassadeur dans un pays anglophone de poids… Celle-ci a eu le courage d’écrire au Cabinet royal pour s’excuser de ne pas pouvoir servir dans un pays où il ne servirait à rien. D’autres ambassadeurs, issus des partis ou de la société civile, ont été nommés, avec, au bout du compte, zéro résultat.

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Tous ces dysfonctionnements, avec Nasser Bourita, c’est désormais de l’histoire ancienne. Il a œuvré à réhabiliter des diplomates de carrière qui se sentaient déconsidérés. La méritocratie passe en premier lieu, et pour assumer une haute responsabilité, il faut passer par un concours en interne et se soumettre à un cahier des charges drastique, avec une obligation de résultat.

Sous son mandat aussi, il a entrepris de féminiser les effectifs du ministère et à tous les niveaux. De son ancien poste de directeur de cabinet et de secrétaire général, Bourita a gardé une capacité, décrite comme «peu commune», d’abattre une impressionnante quantité de travail. Le volume de boulot dont il s’acquitte l’impose donc comme un workaholic.

«On ne sait pas vraiment quand il dort. Il répond parfois à un SMS à 4 heures du matin», affirme un cadre du ministère. Mais il est sûr qu’il lui arrive de piquer une petite sieste à bord d’un vol entre deux capitales. Comme il est sûr que le jour où il quittera le ministère, il sera millionnaire… en miles parcourus.

Par Mohammed Boudarham avec Y. El Harrak et A. Ettahiry
Le 04/08/2021 à 17h59