Interview. Le 30e sommet de l'UA expliqué par Nasser Bourita

Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères et de la coopération internationale

Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères et de la coopération internationale . Le360 : Adil Gadrouz

A la veille du 30e Sommet des chefs d'Etats des pays membres de l'Union africaine à Addis-Abeba en Ethiopie, le ministre des Affaires étrangères et de la coopération internationale, Nasser Bourita a livré une interview à le360. En voici la teneur.

Le 27/01/2018 à 20h23

Le360: Le plus important événement en politique africaine de 2017 a été le retour en janvier de cette année-là du Maroc au sein de l’Union Africaine. Un an après, quel bilan faites-vous de ce retour?

Le retour du Maroc au sein de l’Union Africaine, et le discours mémorable de Sa Majesté le Roi, le 31 janvier 2017, ont retenti comme un son de cloche dans tout le continent. C’était un Maroc résolument africain qui a quitté l’OUA il y a 34 ans. Et c’est un Maroc plus africain que jamais qui a regagné sa famille institutionnelle.

Comment s'est concrétisé ce retour? Et quel rôle a joué le Maroc depuis?

La participation marocaine dans les instances de l’UA a été riche et diversifiée. Le Souverain s’est ainsi exprimé au nom de l’UA au dernier Sommet UA-UE pour porter la voix du continent sur la question de la migration. Nous avons également ratifié un certain nombre d’accords nous permettant de participer aux différents organes et structures de l’UA. Nous avons aussi honoré nos engagements financiers.

La coopération sud-sud est un thème important pour la diplomatie marocaine. Comment entendez-vous la mettre en œuvre au sein de l’Union Africaine ?

Le Souverain a placé la coopération Sud-Sud au coeur de la politique africaine du Royaume. Le Maroc a développé un véritable modèle en la matière, fondé sur l'échange de connaissances, de compétences et de ressources et associant l’ensemble des sous-régions du continent et des secteurs pertinents.

Comment se traduit cette coopération concrètement?

En 15 ans, 1.000 accords de coopération ont été signés avec 28 pays africains, touchant différents domaines qui vont de l’éducation, la santé, la formation, l’infrastructure, l’agriculture...A aujourd'hui, le Maroc a formé 25.000 étudiants africains dans ses universités et instituts supérieurs. Le Royaume décline et adapte sa coopération en fonction des besoins exprimés par les pays partenaires. La finalité n'est autre que de faire de la coopération Sud-Sud un vecteur de l’émergence d’une Nouvelle Afrique, une Afrique forte et tournée vers l'avenir.

Le Maroc arrive à l’Union Africaine à un moment où cette organisation entame sa réforme. Le président Paul Kagamé a proposé un plan dans cette perspective. Qu'en pensez-vous? Et quelle est la vision du Maroc quant à cette réforme?

Comme l’a souligné le Souverain lors de son discours historique à Addis Abeba, «la réforme de l’Union Africaine constitue un chantier important, dans lequel le Maroc s’investira aux côtés de ses pays frères». Son Excellence le Président Paul Kagamé a fait incontestablement preuve de leadership et de volontarisme en s’investissant dans le chantier de la réforme de l’Union Africaine, afin d’en faire une institution qui réponde pleinement aux enjeux et aux défis qui se posent à notre continent. Il est pour le moins anormal que les trois-quarts du budget de l’UA proviennent de bailleurs de fonds non-africains. Ce sont la crédibilité de l’organisation et du projet commun qu’elle porte qui sont en jeu. L’Afrique lutte aujourd’hui pour son indépendance financière. Il en va de son autonomie décisionnelle.

Pour beaucoup d’Africains, l’Union Africaine est une institution très éloignée des peuples du continent. Et le Parlement Panafricain, qui fait partie de l’Union Africaine, n’est pas non plus perçu comme proche des populations. Que faire pour combler ce double déficit de popularité?

Il ne s’agit pas d’un déficit de popularité. Le véritable enjeu consiste à rapprocher l’UA de l’Africain et de l’Africaine. L’Union Africaine doit cesser d’être un labyrinthe où s’entremêlent les organes et doit se concentrer, notamment sur les affaires politiques, la paix et la sécurité, l’intégration économique, le développement humain et la représentativité de l’Afrique sur l’échiquier international.

Les pays amis du Maroc, majoritaires au sein de l’Union Africaine, ont permis le retour du Maroc. Mais, il y a aussi des pays qui manifestaient leur hostilité à ce retour. L’Afrique du Sud en était un...

La rencontre entre Sa Majesté le Roi et le Président Jacob Zuma lors du Sommet d’Abidjan est une déclinaison de la démarche royale. Et le ton a été donné par des visites royales dans des pays qui continuent de reconnaître la pseudo «rasd» (Rwanda, Ethiopie, Tanzanie, Ghana, Nigéria, Soudan du Sud). Le Maroc travaille avec tous les pays du continent, même si certains ont hérité des positions d’une autre époque sur le dossier du Sahara marocain. Le retour du Maroc à sa famille institutionnelle africaine inaugure une nouvelle ère dans les relations qu’entretient le Royaume avec ses frères.

La diplomatie marocaine fait sienne le concept «d’indivisibilité de la sécurité ». Comment appliquer le concept et quelles sont les causes véritables de cette permanence de conflits en Afrique?

Depuis 1960, le Royaume a déployé 60.000 hommes dans le cadre des opérations de maintien de la paix menées sous l'égide de l'ONU en Afrique. Fort de son engagement pour la paix et la sécurité internationales, le Maroc fait de la stabilité du continent une priorité. Jusqu’à juin 2017, avant que l’ONUCI ne se termine, le Maroc déployait, en effet, ses troupes en Côte d’Ivoire. Et c’est dans cette même approche d’indivisibilité de la sécurité en Afrique que les troupes marocaines sont aujourd’hui déployées dans la MINUSCA en République Centrafricaine et dans la MONUSCO en République Démocratique du Congo, avec, respectivement, un contingent de 768 et de 837 hommes. Soit un total de 1.605. Ainsi, le Maroc est classé 14e au niveau mondial sur les 125 pays contributeurs de troupes de l'ONU, 8e au niveau africain et 2e au niveau arabe.

L’expertise marocaine en matière de lutte anti-terrorisme est reconnue. Comment le Maroc aide-t-il à la lutte anti-terroriste en Afrique?

Le Maroc a fait de la lutte contre le terrorisme une priorité et un enjeu de coopération. A l’échelle continentale, le Maroc promeut la modération, le dialogue et la tolérance. Sa participation à la lutte contre le terrorisme se traduit notamment par la formation religieuse, qui a permis de former 632 imams africains en 2016, tout en participant à la promotion d’un islam modéré. La mise en place du Conseil supérieur de la Fondation Mohammed VI des Oulémas africains en 2016 s’inscrit dans cette démarche proactive. A l’échelle internationale, le Maroc co-préside le Forum Mondial contre le Terrorisme avec les Pays-Bas et s’est imposé comme un acteur incontournable de la coopération en matière de lutte contre le terrorisme et de prévention de l’extrémisme.

Par Mohamed Chakir Alaoui
Le 27/01/2018 à 20h23