Algérie: l'interminable turn-over à la tête des services de renseignement

Les généraux algériens en conclave.

Les généraux algériens en conclave. . DR

Des officiers de l’ex-Département du renseignement et de la sécurité viennent d’être réengagés par les services du renseignement extérieur. Ces nouvelles nominations mettent à nu les graves dysfonctionnements du renseignement algérien.

Le 21/02/2021 à 13h29

Cette semaine, deux anciens officiers algériens de l’ex-Département du renseignement et de la sécurité (DRS), ont rejoint la Direction générale de la documentation et la sécurité extérieure. Il s’agit de Houcine Boulahia et Tarek Amarat, tous deux ex-cadres du DRS durant les années 90, une époque où plus de 200.000 Algériens ont péri dans la guerre civile qui opposait l’armée algérienne et les islamistes.

Ces nouvelles nominations sont une nouvelle preuve que les services de renseignement algériens n’en finissent pas avec leur instabilité chronique et son corollaire, le manque d’efficacité. Depuis 2015, il ne se passe plus une seule année sans que ces services ne soient chamboulés de fond en comble.

C’est le cas en particulier des renseignements extérieurs, récemment éclaboussés par un scandale, derrière lequel on retrouve le général Mohamed Bouzit, alias Youcef, patron de la Direction générale de la documentation et de la sécurité extérieure (DGDSE). Ce dernier a été pris en flagrant délit de corruption vis-à-vis du candidat favori de la présidentielle nigérienne, Mohamed Bazoum. A ce dernier, il a envoyé tout un avion militaire chargé de vivres, mais aussi une mallette de cash, dont la coquette somme s’élève à deux millions de dollars. Une vraie petite fortune, dans le but de faire figurer Brahim Ghali, le chef du Polisario, parmi les invités étrangers qui assisteront à la cérémonie d’investiture de Mohamed Bazoum à Niamey. Rappelons que c'est en ce même dimanche 21 février que le second tour de la présidentielle nigérienne a lieu.

Par ce geste, qui vise à sauver le poste où il a été propulsé il y a quasiment une année, le général Bouzit voulait se faire pardonner ses ratés en Lybie et en ce qui concerne le Sahara marocain. En effet, au moment où l’Algérie a tenté de jouer au puissant voisin incontournable dans toute solution au conflit libyen, ce sont finalement les villes de Skhirat, Bouznika et Tanger, sous la houlette de la diplomatie marocaine, qui ont servi aux frères ennemis de Tripoli et Benghazi à sceller leur entente.

Au Sahara, le manque de discernement et l’amateurisme criants des services algériens, qui ont ordonné au Polisario de «fermer durablement» le passage d’El Guerguerat, ont été contrés par l’armée marocaine, qui a définitivement sécurisé ce passage commercial reliant le Maroc à son prolongement continental en Afrique de l'ouest.

Bouzit a été remplacé au mois de janvier par le général-major Nouredine Makri, qui était à la retraite depuis 2015. On met donc à la tête la Direction générale de la documentation et de la sécurité extérieure (DGDSE), un organe très important dont les fiches servent à prendre des décisions au plus haut sommet de l’Etat, un homme, qui a cessé d’exercer ses activités depuis six ans, et dont l’embonpoint témoigne manifestement de plusieurs maladies chroniques. Le limogeage de Bouzit est emblématique de graves dysfonctionnements au sein des services algériens, fragilisés par les luttes sans merci entre les différents clans, et qui amputent aujourd’hui le pouvoir de ce qu’on appelle la profondeur de l’Etat.

Qu’il s’agisse du général Sidi Ali ould Zemerli, Direction centrale de la sécurité de l’armée (DCSA, renseignement militaire), du général Abdelghani Rachedi (DGSI), du général Nouredine Makri (DGDSE)... Tous ont été récemment nommés: en 2020 pour les deux premiers, et en cette année 2021 pour le patron des renseignements extérieurs. Ils ont ainsi remplacé les généraux mis en place par feu le général Ahmed Gaïd Salah, dont le puissant général Wassini Bouazza (ex-DGSI), actuellement en prison.

Wassini Bouazza a remplacé le général Boura Rezigue, alias Abdelkader, qui tenait les rênes des renseignements intérieurs en coordination avec Athmane Tartag, qui a, lui-même, succédé à Mohamed Médiène, dit Toufik, après le démantèlement du département du renseignement et de la sécurité (DRS) en 2015. Dans quel autre pays au monde, on peut trouver pareille valse des patrons des services de renseignements en cinq ans?!

La gravité de ces dysfonctionnements est telle que des documents du ministère algérien de la Défense, estampillés «top secret» et relatant des défections et un moral au plus bas au sein des sous-officiers de l’armée, se sont retrouvés entre les mains d’opposants algériens, un mois après leur signature, en décembre dernier.

Les dernières nominations d’anciens officiers de l’ex-DRS à la DGSE participent de cet interminable turn-over au sein du renseignement algérien. Ils portent probablement la griffe du duo Khaled Nezzar et Mohamed Médiène. A la veille de ce lundi 22 février de tous les dangers en Algérie, dont un avant-goût a été récemment donné par des dizaines de milliers de manifestants à Khenchela et Kherrata, le pouvoir algérien fait appel aux bourreaux de la décennie noire, dans l’espoir d’apeurer le Hirak

C’est dans ce sens d’ailleurs que les renseignements algériens viennent de frapper un autre coup des plus maladroits. Mercredi dernier, la télévision publique algérienne (ENTV) a diffusé ce qu’elle a présenté comme des aveux d’un présumé terroriste, connu sous le pseudo d’«Abou Dahdah». Arrêté en décembre dernier après une cavale qui dure depuis 1994 dans les maquis, Rezkane Ahcene de son vrai nom (âgé aujourd'hui de 44 ans), a été ressorti par les services algériens en vue d’accuser publiquement le Hirak d’être noyauté par les djihadistes qui visent à déstabiliser le pays.

Ce «témoignage» fabriqué de toute pièce a créé un véritable tollé sur les réseaux sociaux, puisque les Algériens ont été nombreux à dénoncer une «horrible propagande», «une mascarade», «une pièce de théâtre d’une piètre qualité». De telle sorte que cette trouvaille, qui aurait peut-être pu fonctionner avant la généralisation des réseaux sociaux, s’est retournée contre ses artisans, mettant à nu l’amateurisme des services algériens.

Par Ismail El Fassi
Le 21/02/2021 à 13h29