Voici pourquoi l’Algérie retire ses passeports aux Sahraouis de Tindouf

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Revue de presseL’Algérie multiplie les retraits aux Sahraouis, résidant dans le sud de son territoire, des passeports qu’elle leur octroyait au compte-gouttes. Une pétition circule dans les camps de Tindouf pour exiger l’annulation de cette énième entorse à la liberté de circulation. Mais le problème est ailleurs.

Le 16/05/2019 à 02h35

Qu’ils débarquent en Algérie à partir des ports ou aéroports, les Sahraouis rentrant d’un voyage à l’étranger sont surpris ces derniers temps par la confiscation systématique des passeports algériens qui leur servaient de documents de voyage.

En plus des résidents à Tindouf qui manifestent depuis plusieurs semaines contre l’imposition manu militari de l’interdiction de sortie des périmètres des camps de Tindouf vers la Mauritanie voisine, voilà que les Sahraouis résidant ou travaillant en Europe sont interdits de sortie du territoire algérien, faute de passeports.

Cette situation a obligé un groupe de victimes de ces mesures de retraits de passeports, confisqués au mois d’avril dernier au port de Mostaganem, à signer une pétition exigeant des autorités algériennes de mettre fin à cette nouvelle forme de restriction à la liberté de circulation des Sahraouis. Mais il faut reconnaître qu’une véritable cacophonie a toujours prévalu en matière de délivrance des documents de voyage au profit de cette catégorie d’étrangers installés dans les camps de Lahmada.

Normalement, si l’Algérie avait respecté le droit international, elle aurait confié dès le départ à l’ONU, à travers le Haut-Commissariat aux réfugiés, la mission de recensement, et donc d’identification de tous les habitants des camps sahraouis de Tindouf. Ces derniers, au cas où ils seraient considérés comme des réfugiés, seront dotés de cartes d’identité individuelles ad hoc. L’Algérie, pays hôte, serait alors tenue, en vertu de la Convention de 1951 sur les titres de voyage des réfugiés, qu’elle a ratifiée avec 144 autres Etats, de leur fournir un document, intitulé «Livret de voyage» qui tient lieu de passeport pour chaque réfugié. Un tel livret est reconnaissable grâce à la mention «Le 28 juillet 1951», date de la convention sur les réfugiés. Fourni sur la base d’une carte «réfugié HCR», il est accepté, souvent sans nécessiter le moindre visa, par plusieurs pays à travers le monde, pour une durée de séjour bien déterminée.

Des entorses à ce principe de libre circulation avec le «Livret de voyage» existent cependant. Comme le cas du Canada qui n’accepte pas l’entrée sur son territoire des titulaires de ce titre de voyage, mais le délivre lui-même aux réfugiés établis sur son territoire. A contrario, la Suède, par le biais de son Office national des migrations, délivre, non pas un «Livret», mais un «passeport étranger» suédois, qui permet aux réfugiés établis sur son sol de voyager à travers le monde comme les citoyens scandinaves, la nationalité en moins.

L’Algérie est un autre cas d’école. Afin d’éviter toute implication du HCR, et donc toute divulgation du nombre exact des «réfugiés» de Tindouf, elle a choisi de procéder par sélection pour octroyer un certain nombre de ses passeports aux Sahraouis de Tindouf. A commencer bien évidemment par les dirigeants du Polisario, titulaires le plus souvent de passeports diplomatiques pour leur «loyalisme» au système en place, en passant par leurs proches, pour arriver aux «espions» envoyés par les services algériens. Le Maroc avait d’ailleurs interdit, depuis octobre 2015, l’entrée sur son territoire de Sahraouis porteurs de passeports algériens, après en avoir soupçonné certains d’espionnage et autres intentions subversives.

C’est dire que les passeports algériens, tout en servant d’alibi contre tout recensement des Sahraouis, ne sont jamais délivrés sans contrepartie (service commandé à l’étranger), ou sans condition, comme celle qui veut que tout titulaire de ce document doit «laisser» à Tindouf toute sa famille. Un gage de son retour à la fin de sa «mission».

A signaler aussi que la récente tentative d’utiliser des passeports estampillés «RASD» a rapidement fait chou blanc puisqu’aucun pays au monde ne les a jamais acceptés, avant que l’Algérie, qui les avait pourtant imprimés en format biométrique, ne les interdise purement et simplement.

L’on se rappelle qu’en 2016, 17 Sahraouis ont tenté d’entrer par le port d’Alicante en Espagne avec des passeports de la «RASD». Au moment où les autorités espagnoles allaient les refouler vers le port d’Oran d’où ils avaient embarqué, ils ont sorti des passeports algériens. Face à cette entourloupe, la police des frontières espagnoles les a contraints à détruire sur place leurs passeports de pacotille pour les laisser accéder à son territoire.

Les derniers retraits de passeports algériens ne sont en réalité que la suite d’une longue série de confiscations, commencée dès février 2017. Une date qui coïncide avec un tournant majeur dans le dossier du Sahara marocain.

D’une part, le 1er janvier 2017, le Portugais Antonio Guterres prend officiellement ses fonctions de nouveau secrétaire général de l’ONU, en lieu et place du Sud-coréen Ban Ki-moon, dont les derniers mois à l’ONU ont été marqués par de graves dérapages à Tindouf même. Or son remplaçant au palais de verre de Manhattan n’est autre que l’ancien Haut-commissaire aux réfugiés qui avait déclaré, le 11 septembre 2009 à Rabat, après une visite à Tindouf: «Nos interlocuteurs algériens (et pas du Polisario, Ndlr) nous ont signalé que notre aide aux camps de réfugiés sahraouis de la région de Tindouf était insuffisante. Nous leur avons répondu qu’il fallait procéder à un recensement. L’Algérie n’a pas accepté et nous n’avons pas changé nos estimations.» Avec leur revendication d’une aide internationale accrue, mais sans le moindre recensement, les Algériens savent désormais à qui ils ont affaire à l’ONU.

D’autre part, ce même début 2017 est marqué par le retour du Maroc au sein de l’Union africaine, qu’il a réintégrée le 30 janvier 2017. Mieux, l’organisation panafricaine décidera, lors de son 31e sommet à Nouakchott, des 2 et 3 juillet 2018, de laisser l’exclusivité de la résolution du problème du Sahara au seul Conseil de sécurité de l’ONU.

Dernier fiasco en date qui pourrait lui aussi expliquer ce «ramassage» de passeports: à l’instar des Algériens qui manifestent depuis le 22 février dernier pour abattre le système militaro-affairiste en place à Alger, les Sahraouis de Tindouf manifestent eux aussi régulièrement depuis plusieurs semaines pour mettre fin aux restrictions draconiennes qui entravent leur liberté de se déplacer en dehors des camps de Lahmada. L’Algérie craint certainement de se retrouver avec de nouveaux citoyens dans le cas d’une débâcle–inéluctable au demeurant– du Polisario.

Par Mohammed Ould Boah
Le 16/05/2019 à 02h35