Vidéo. Algérie: ténors du régime Bouteflika, Ouyahia et Sellal en prison, mais est-ce assez?

De gauche à droite: Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal.

De gauche à droite: Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal. . DR

Il y a quelques mois, ils régnaient en maîtres. Anciens puissants Premiers ministres sous Abdelaziz Bouteflika, Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal sont en détention dans la plus (tristement) célèbre prison algérienne. Assez pour calmer la colère populaire? Rien n'est moins sûr.

Le 13/06/2019 à 14h18

Il ne se passe désormais plus un jour sans que la chronique algérienne ne soit alimentée par l’emprisonnement de tel ou tel ex-gros bonnet du régime de l’ancien président Bouteflika. Hier mercredi 12 juin, Ahmed Ouyahia, tout puissant ancien Premier ministre en Algérie, a été placé sous mandat de dépôt par un juge d’instruction de la Cour suprême et transféré à la prison d’El Harrach, l’équivalent de notre Oukacha de Casablanca.

Il lui est notamment reproché: du blanchiment d’argent, des transferts de biens obtenus par des faits de corruption, de la dilapidation de deniers publics, de l’abus de pouvoir. Le tout, sur fond de l’affaire Mahieddine Tahkout, du nom d’un homme d’affaire, également proche des Bouteflika et poursuivi, lui aussi, pour corruption.

Ce jeudi matin, un deuxième coup de tonnerre s’est fait entendre à Alger: l'incarcération, également à la prison d’El Harrach, de Abdelmalek Sellal, Premier ministre de 2012 à 2017, épinglé, quant à lui, dans le cadre de l’affaire Haddad-Kouninef, deux noms ayant largement profité des largesses de l’ancien président aujourd’hui déchu. 

Ouyahia et Sellal ne sont que la partie visible, et disons «people», d’une vague d’arrestations et d’emprisonnements, qui sévit actuellement en Algérie. Pour les deux seules affaires précitées, comptez 39 détenus (tous des VIPs) pour la première, et 12 pour la seconde.

Ce n’est pas tout: cette liste promet de s’allonger à l’infini. «Il ne serait donc pas étonnant de voir défiler devant la justice de nouveaux clients, entre hauts responsables, commis de l’État et autres cadres intermédiaires. L’étendue du mal fait au pays et à son économie promet du beau monde devant les tribunaux», lit-on ainsi dans l’éditorial de ce jour du quotidien algérois Liberté Algérie.

Depuis la démission, le 2 avril 2019, du président Bouteflika, la justice algérienne, activée par le nouvel homme fort du régime, le général Ahmed Gaïd Salah, croule sous un nombre impressionnant d’enquêtes lancées contre de puissants hommes d'affaires, soupçonnés d'avoir profité de leurs liens avec le chef de l'Etat déchu ou son entourage, aux fins d’obtenir des avantages ou des marchés publics. Ces hommes très puissants, il y a à peine quatre mois, sont aujourd’hui placés en détention.

Si l’objectif évident du chef de l’armée, autrefois un fidèle parmi les fidèles du temps ou Bouteflika était encore au pouvoir, est de calmer la rue algérienne, qui revendique un changement radical du régime et le départ intégral de tous ses représentants, cette parade passe cependant mal. Les Algériens n’oublient pas que parmi les figures de la corruption de l’ancien système, il y a ceux-là même qui tentent aujourd’hui de les berner, en leur faisant croire à une purge.

Comptez, en tête, Ahmed Gaïd Salah lui-même, lui qui a servi Bouteflika des décennies durant, avant de décider d’abandonner le président… Pour sauver sa peau et truster le régime. Ses deux relais, soit Abdelkader Bensalah, nommé président de la République, et Noureddine Bedoui, Premier ministre du gouvernement, ne sont pas en reste. La rue, d’ailleurs, ne s’y trompe guère: l’un n’est que le reflet, bien pâle, d’un système mourant. L’autre, quant à lui, avait dans le passé bel et bien trempé dans nombre de malversations, notamment électorales. D'ailleurs, on ne les voit guère, tellement ils sont insignifiants et invisibles devant l'omnipotence de Gaïd Salah.

La purge spectaculaire n'arrêtera pas les manifestations. La politique des boucs émissaires a forcément une limite. Et «ce que l’on ne sait pas, c’est jusqu’où ira cette opération présentée comme un assainissement de la vie politique et économique? Car malgré cette mise en branle de la justice et avec la célérité qu’on lui connaît, d’aucuns ont toujours peine à convaincre qu’il s’agit d’une véritable chasse aux corrompus et non d’une opération éphémère menée dans le but d’apprivoiser la rue qui réclame inlassablement, depuis quatre mois, le changement du système pour une transition politique radicale», lit-on encore dans Liberté Algérie.

Pour l’heure, et même si elle a flanché sur la date de tenue de la présidentielle initialement prévue le 4 juillet 2019, l’entreprise de Gaïd Salah ne lâche rien sur son agenda d’une transition imposée, à l’issue de laquelle, de fait, tout change pour que rien ne change.

Le chef d’état-major table toujours sur un essoufflement de la vague de protestations, que ni le temps ni le ramadan n’ont pourtant entamés. La détermination du peuple a déjà remporté une victoire: montrer au monde que la corruption touche tous les cercles du pouvoir en Algérie.

Par Tarik Qattab
Le 13/06/2019 à 14h18