Pourquoi les médias publics algériens ont passé sous silence l’entretien entre Macron et Bouteflika

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A la veille d’une visite aux troupes françaises basées à Gao, nord du Mali, où il s’est posé en chef des armées, le nouveau président français, Emmanuel Macron, a eu un entretien téléphonique avec le président Bouteflika dont la teneur n’aurait pas plu à ce dernier. Les raisons.

Le 20/05/2017 à 17h06

Jeudi 18 mai, le nouveau président français, Emmanuel Macron, a eu avec le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, un premier entretien téléphonique qui n’a pas été, visiblement, du goût de ce dernier. En atteste le silence de marbre observé par les supports médiatiques officiels algériens. En effet, ni l’agence de presse officielle algérienne (APS), ni les chaînes nationales n’ont rendu compte de cet entretien, alors que le moindre geste de Bouteflika est relayé de façon systématique dans les médias publics du voisin de l’est.

L’échange du président Macron avec son homologue algérien a eu lieu à la veille de son premier déplacement à l’étranger, consacré aux troupes françaises basées à Gao, nord du Mali. Compte non tenu de sa visite à la chancelière allemande Angela Merkel, il s’agit en effet du premier déplacement à l’étranger du président français depuis son investiture le 7 mai. Le chef de l’Etat français accorde de l’importance à son rôle de chef des armées. Les signes qui vont dans ce sens ne manquent pas, à l’instar du véhicule militaire qu’il a choisi lors de son investiture en tant que président pour se rendre de l’Elysée à l’Arc de Triomphe. Et aussi son déplacement au nord du Mali pour marquer son soutien aux militaires français, mobilisés dans le cadre de l’opération «Barkhane».

Selon Reuters, Emmanuel Macron a haussé le ton vendredi sur l’application de l’accord de paix au Mali, où la France est présente militairement, prévenant qu’il ferait preuve d’une «exigence renforcée sur le respect de l’accord de paix malien par les pays du Sahel concernés et l’Algérie».

Vous avez bien lu: «exigence renforcée» envers les pays du Sahel concernés mais aussi et surtout l’Algérie, «dont le régime, toujours selon l'agence Reuters, est soupçonné d'apporter son soutien à Iyad Ag-Ghali, chef du mouvement djihadiste malien Ansar Dine». Un soutien déjà mis en évidence par des rapports émanant à la fois des services de renseignements et des instituts internationaux spécialisés dans les études géostratégiques, établissant clairement l’implication avérée des services algériens dans le soutien et la protection des chefs des groupes jihadistes, notamment le touareg malien Iyad Ag-Ghali, émir des «Ansar Dine», à l’origine de l’attaque en 2013 contre Bamako qui a précipité le déclenchement de l’opération militaire française baptisée «Opération Serval», décidée alors par le président socialiste François Hollande. Ce soutien de l’Algérie aux groupes armés qui menacent la stabilité des pays du Sahel est également souligné en des termes à peines voilés par l’AFP qui a rendu compte de l’entretien téléphonique entre Emmanuel Macron et Abdelaziz Bouteflika. «Il (Macron) a aussi indiqué avoir évoqué jeudi au téléphone avec le président algérien Abdelaziz Bouteflika, la situation au Mali, alors que l'Algérie, principal médiateur dans la crise, dispose de nombreux relais d'influence dans ce pays, notamment auprès des groupes armés», indique l’AFP.

Quatre ans plus tard après l’intervention de l’armée française au nord du Mali, la situation demeure explosive, notamment à Gao, nord de ce pays sahélien, où sont pourtant déployés 1.700 soldats français engagés dans l'opération antiterroriste «Barkhane». L’accord de paix conclu en mai et juin 2015 entre le gouvernement malien, des mouvements armés et la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), est également resté lettre morte.

Ce que Macron a dit à Bouteflika

C’est donc en tant que chef suprême des armées françaises que le chef de l’Etat français a eu son premier échange avec le président Bouteflika, dont le pays, faut-il encore le rappeler, est pointé de l'index pour ses accointances avec les groupes terroristes essaimant dans la région sahélo-saharienne, avec comme QG la ville de Gao, frontalière du sud algérien. «J’ai fait part au président Bouteflika (…) de mon souhait de pouvoir en parler avec l’Algérie de manière très franche», a révélé le chef des armées françaises, le président Macron, cité par Reuters, tout en indiquant n’avoir pour l’heure «aucun élément permettant d’étayer» le soutien d’Alger au groupe «Ansar Eddine» («les défenseurs de la religion»), dirigé par le terroriste malien Iyad Ag-Ghali, recherché mais «protégé» par les services algériens autant que l'Algérien Mokhtar Belmokhtar, né à Annaba, surnommé «Al Aâwar» (le borgne) ou encore «Mister Marlboro» en raison de son pedigree bien garni dans le narco-terrorisme, les actes de kidnappings, les prises d’otages sanglantes, les trafics de toutes sortes (armes, drogues, cigarettes de contrebande et voitures volées).

Autant de sujets de préoccupation donc pour la nouvelle présidence française. «C'est simple, moi j'ai nos hommes qui sont là, j'en ai la responsabilité, j'en réponds devant les Français et leurs familles», a précisé en effet le chef de l'Etat français vendredi dans la base militaire du nord du Mali, insistant sur une implication franche de tous les gouvernements concernés par la crise sahélo-sahrienne, dont le Mali se veut la matrice.

«Je n'enverrai pas nos soldats se faire tuer si tous les gouvernements qui sont responsables de la situation localement ne prennent pas l'intégralité de leurs responsabilités, c'est cela que je dirai à chacun», a souligné le président Macron. «S'il y a une inflexion (par rapport au quinquennat précédent NDLR), elle est dans cette exigence renforcée», a-t-il encore indiqué.

Une exigence qui a été signifiée apparemment sans détour dès jeudi au téléphone au président algérien Abdelaziz Bouteflika dont le régime est épinglé par moult rapports internationaux, officiels ou émanant des instituts d’études géopolitiques, pour son soutien à l'émir des «Ansar Dine». Un soutien perçu comme un «coup de poignard dans le dos» par les Français, sachant que dix-neuf militaires français ont été tués au Mali depuis le lancement de l’ «Opération Serval» en 2013. La détermination sans faille du président français a vraisemblablement heurté les oreilles de Bouteflika qui n’apprécie pas qu’on lui dise haut et fort ce que tous les pays de la région savent pertinemment. «L'opération Barkhane ne s'arrêtera que lorsque les terroristes seront éradiqués dans la région, et la souveraineté pleine et entière des États rétablie. La clé de tout ça est de construire la paix», a précisé le président Macron, cité par l’AFP.

«Il n'est pas un seul Français qui ne sache ce qu'il vous doit. Les joies de chaque jour ont un prix, celui de vos sacrifices», a dit le président Macron aux soldats français engagés au Mali, promettant la poursuite de cette opération jusqu’à ce que «les terroristes soient éradiqués dans la région».

Une «promesse» qui risque d'être compromise par des services algériens très peu coopératifs sur le front de lutte contre les terroristes (comme ne cesse de le répéter le patron du BCIJ, Abdelhak El Khayam), qui continuent de se déplacer librement à la frontière entre le Mali et l'Algérie, malgré les mandats d'arrêt émis à l'international à leur encontre.

Une impunité qui, de l’aveu même des Maliens, mettrait en évidence l’implication d’Alger, accusée «d’agir de façade» en faveur de la paix au Mali alors qu’elle se livre à un jeu de polichinelle en instrumentalisant des terroristes nés dans son propre sol, à l’instar d’Aqmi (rejeton du groupe islamique armé, GIA). «Tant que les terroristes se sentent chez eux dans cette partie du Mali (NDRL: nord du Mali), les sécuritaires algériens n’auront rien à craindre», a en effet indiqué au correspondant de le360 au Mali, le président du Collectif des élus du Nord Mali, El Hadj Baba Haïdara, visiblement très remonté contre Alger qui «fait semblant de soutenir l’effort de paix». «L’Algérie se plaît dans cette situation», charge-t-il, avant d’enfoncer le clou: «tant que cette saleté restera au Mali, l’Algérie sera en paix». 

Face au double jeu d’Alger, Macron demande des clarifications

La clarification demandée par le président Macron à son homologue Bouteflika dénote une approche française sans complaisance envers le rôle interlope de l’Algérie dans la transformation du Sahel en terreau fertile du terrorisme dans le Sahel. En homme pragmatique, Emmanuel Macron sait que la lutte contre le terrorisme qui frappe la France, l’Europe et menace de déstabiliser les pays du Sahel se mène d’abord et de façon prioritaire dans les foyers où fleurit ce terrorisme. Selon toute apparence, le fait que le président français ait rappelé cette vérité à Bouteflika n’a pas plu à la présidence algérienne et c’est ce qui explique le silence de tous les médias algériens officiels sur l’entretien téléphonique entre le chef de l’Etat français et son homologue algérien.

De toute façon, Alger est en crise ouverte avec le Maroc, la Tunisie et la Libye… Qu’une crise larvée avec la France soit en état de gémination, il ne faut pas s’en étonner tellement le voisin de l’est est de plus en plus isolé et ses méthodes surannées se retournent comme un boomerang contre ce pays qui est en train de s’édifier une place de choix au ban des nations.

Par Ziad Alami
Le 20/05/2017 à 17h06