La France toujours marquée, un an après les attentats de Paris

Victimes allongées sur le sol après les attaques terroristes, le 13 novembre 2015 à Paris.

Victimes allongées sur le sol après les attaques terroristes, le 13 novembre 2015 à Paris. . DR

Revendiqués par Daech, les attentats de Paris du 13 novembre 2015 qui ont fait 130 morts, ont entraîné un virage sécuritaire en France et durablement marqué la population. D'ailleurs la menace est plus que jamais présente comme l’ont rappelé les attentats de Nice et l’assassinat d’un prêtre cet été.

Le 13/11/2016 à 17h45

Une population traumatiséeL'équipée sanglante des jihadistes a fait 130 morts. Les autorités ont recensé 2.800 victimes. Environ 1.800 étaient sur les lieux, plus de 400 ont été blessées, une vingtaine restent hospitalisées, 600 reçoivent encore un soutien psychologique. Sans oublier celles et ceux qui ont perdu un enfant, un mari, une soeur, un père... Voici quelques fragments de leur parcours, "le jour d'après".

- "Il y a des jours où j'ai peur, des jours où j'ai envie de fuir, des jours où j'ai envie de tout casser, comme tout le monde. J'essaie de dominer ces sentiments". La femme d'Antoine Leiris est morte au Bataclan, le laissant seul avec un fils de 17 mois. "Vous n'aurez pas ma haine", avait-il écrit après le carnage dans un message qui a fait le tour du monde.Aujourd'hui, cet homme de 35 ans estime que ces mots ne lui "appartiennent plus", qu'il revient à chacun "d'essayer de les faire vivre". Lui s'efforce désormais de "relever la tête". D'abord, il s'est "replié", sur lui, sur son fils. "Après ce premier réflexe, il a fallu recommencer à s'ouvrir au monde", raconte-t-il.

- Pendant six mois, "je suis restée chez moi à ne rien faire", "comme dans une boîte", raconte Estelle Arzal, 28 ans, qui a vu mourir cinq clients dans un bar. Elle a des crises de larmes, "n'importe où, n'importe quand", elle se stabilise à coup d'anxiolytiques, tente d'autres thérapies comme l'acupuncture. Elle prend du poids, se sépare de son compagnon, déménage "dans une résidence très sécurisée".Paris, où elle travaille, devient "une grosse angoisse": "les transports en commun, les bars... tout ça me pose problème... Je suis devenue parano". Employée dans un collège, elle travaille désormais à mi-temps. "Je suis en décalage, je me sens en handicap". Et d'ajouter : "je ne veux pas rester une victime".

- Rescapée du Bataclan, Maureen Roussel se dit "dans un équilibre hyper-précaire". Dans un lieu public, "je repère les sorties, les évacuations". Elle dit vivre comme sous "anesthésie": on a envie de s'énerver, de crier, de pleurer, de profiter, de se laisser aller... Mais ça ne vient pas." Le salut, outre sa fille, réside dans son engagement dans l'association Life for Paris qu'elle a créée et qui réunit 650 adhérents. "Avant je gardais des petits gamins. Maintenant, j'ai l'impression d'aider plein de grands enfants.""Une des choses qui m'a aidée à tenir le coup, c'est de remplir les dossiers administratifs, j'avais le sentiment d'avoir prise sur quelque chose".

- Anne et son compagnon, parents d'une fillette de 18 mois, étaient au Bataclan le soir des attentats. Elle en est sortie vivante, lui non. Rapidement, elle lance des démarches pour que sa fille soit reconnue "pupille de la Nation" et trouve là "comme une béquille".Outre sa fille, ce statut a été accordé à 68 victimes du 13 novembre. Plus largement, 90% des 2.800 personnes affectées par les attentats ont reçu une indemnisation.

La France s'est durcieConséquence immédiate des tueries du 13 novembre: l'état d'urgence, toujours en vigueur. Du jamais vu depuis la guerre d'indépendance de l'Algérie il y a soixante ans.

Ce régime d'exception permet à l'autorité administrative de restreindre les libertés sans passer par l'autorité judiciaire. Perquisitions, assignations à résidence, écoutes, surveillance des sites sensibles...

Le durcissement est également visible dans les rues, où l'on croise des patrouilles de militaires armés jusqu'aux dents. Des policiers ont même été déployés sur les plages cet été tandis que des foires et évènements sportifs ont été annulés en cascade.

L'état d'urgence a permis d'effectuer plus de 4.000 perquisitions administratives et de multiplier les gardes à vue (426), selon un bilan fourni par Bernard Cazeneuve.

Une vingtaine de mosquées ont été également fermées pour leurs prêches radicaux et 430 interdictions de sortie du territoire (IST) ont été signées à l'encontre de Français soupçonnés de vouloir rejoindre les djihadistes au Moyen-Orient.

Parallèlement, des centaines de personnes ont été assignées à résidence. Quatre-vingt-quinze le sont toujours.

Un nouveau texte de loi permet de retenir une personne pendant quatre heures après un contrôle d'identité pour vérifier sa situation et de pratiquer des perquisitions de nuit lors des enquêtes préliminaires. Il prévoit aussi une assignation à résidence d'un mois pour les personnes de retour de zones de combats comme la Syrie.

Montée du racismeParallèlement, l'image du vivre-ensemble s'est fissurée. Fini le "tous unis" brandi par des millions de Français lors d'un rassemblement historique après les attaques de janvier 2015 contre le magazine satirique Charlie Hebdo, des policiers et un supermarché casher (17 morts).

Une vive polémique cet été, sur le port du burkini, a illustré les crispations identitaires. Au nom de la laïcité, certains maires du littoral méditerranéen ont interdit cette tenue de bain intégrale adoptée par certaines musulmanes avant que la justice ne s'y oppose.

La parole raciste s'est libérée au fil des mois avec une radicalisation des discours politiques dès le début de la campagne pour la présidentielle de 2017. Propulsé au centre de tous les débats: l'islam.

Décrivant son "chagrin et une impuissance totale", l'écrivain marocaine Leïla Slimani, nouvelle lauréate du prestigieux prix Goncourt, résume avec amertume "l'ambiance qui s'est installée: les musulmans français ne sont donc plus chez eux".

En septembre, l'ex-Premier ministre Alain Juppé, favori à la primaire de droite, a appelé à "apaiser le climat" : "Le simple mot de “musulman” sucite une hystérie disproportionnée !" Et d'ajouter: "Si nous continuons comme ça, nous allons vers une guerre civile".

Mais le thème de l'identité fait florès dans les débats à droite et à l'extrême droite, la définition de la laïcité suscite d'interminables débats.

Le tourisme en berneEn un an, Paris et sa région ont perdu près de deux millions de visiteurs. Le musée du Louvre, le plus fréquenté du monde, a vu sa fréquentation baisser de 20% depuis les attentats.

Hôtels et restaurants tablaient sur l'Euro-2016 de football cet été, pour repartir. Mais l'attentat de Nice, sur la côte d'Azur, le 14 juillet (86 morts) a douché les espoirs.

Le tourisme est essentiel pour la France, destination la plus prisée au monde et représente 9% du produit intérieur brut. L'objectif gouvernemental est d'accueillir 100 millions de visiteurs internationaux en 2020, contre 85 millions en 2015.

Mais depuis le début de l'année, les arrivées internationales ont chuté de près de 8%. Les Japonais ont été les plus nombreux à se détourner (-39%) de l'Hexagone, suivis par les Chinois (-23%), les Allemands (-11%) et les Américains (-4%).

Résultat, les hôtels peinent à faire le plein. A tel point que certains grands palaces parisiens ont dû fermer des étages entiers en août, en plein pic estival. La côte d'Azur, très prisée, a vu fuir la clientèle étrangère.

A Paris, les grands magasins ont vu également leur fréquentation baisser depuis les attentats. Le tourisme de shopping ne revient pas et les visiteurs chinois sont aussi rebutés par le risque d'agressions, après l'attaque d'un car cet été près d'un des aéroports. En octobre, le braquage de la starlette Kim Kardashian a aussi fait trembler le tourisme du luxe.Pour autant, la Ville Lumière n'a pas perdu tout son attrait.

Un réseau en partie démantelé,

un organisateur identifié

Le réseau derrière les attaques de Paris revendiquées par le groupe Etat islamique (EI) a été en grande partie démantelé, des suspects ont été incarcérés en France et en Belgique et un organisateur identifié.

Le commando du "Stade de France" (un mort) comprenait un Français résidant en Belgique et deux Irakiens, venus de Syrie dans le flux de réfugiés, tous morts en kamikazes près du stade où se jouait un match de foot.

Le commando du Bataclan (90 morts): trois Français rentrés de Syrie sont morts pendant l'assaut des policiers après deux heures de prise d'otages sanglante en plein Paris.

L'enquête a révélé le vaste organigramme d'une cellule aux multiples ramifications. En France, huit suspects ont été mis en examen et écroués. Outre Salah Abdeslam, seul survivant connu du commando du 13 novembre, il s'agit de trois personnes soupçonnées de l'avoir aidé dans sa fuite, remises à Paris par Bruxelles, du logeur de Saint-Denis et son intermédiaire avec la cousine d'Abdelhamid Abaaoud (tuée à ses côtés dans l'assaut de Saint-Denis), et de deux individus soupçonnés d'avoir été missionnés pour, eux aussi, attaquer ce soir-là.

En Belgique, véritable plaque tournante du jihadisme, ce sont au total, 19 personnes soupçonnées d'avoir été mêlées à des degrés divers aux tueries de Paris qui ont été inculpées depuis un an.

Quatre autres suspects sont incarcérés en Italie, au Maroc, en Algérie et en Turquie. Les investigations récentes conduisent en Hongrie, sur la route des Balkans empruntée par des jihadistes de retour de la zone irako-syrienne.

Le Belgo-Marocain Oussama Atar, 32 ans, parti rejoindre l'EI en terre de jihad, aurait joué un rôle de premier plan sous le nom de guerre d'Abou Ahmad. "Il est le seul coordinateur depuis la Syrie à avoir été identifié en l'état des investigations", selon une source proche de l'enquête en France. Il est soupçonné d'avoir missionné deux des assaillants de Paris et le commando arrêté en Autriche.

Une chose est sûre, le ou les chefs se trouvent en Syrie, où les enquêteurs ne peuvent pas se rendre.

La menace perdure

Le 13 juin 2016, un policier de Magnanville et sa compagne employée au commissariat de Mantes-la-Jolie (Yvelines) sont assassinés chez eux par Larossi Abballa, qui avait revendiqué son action sur Twitter et Facebook au nom de Daesh. Le terroriste est abattu par le Raid.

Le soir de la fête nationale, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, au volant d’un camion, fonce dans la foule quelques instants après le feu d’artifice du 14 juillet sur la Promenade des Anglais à Nice. Le bilan est de 86 morts et plus de 300 blessés. L’attaque est revendiquée par Daesh.

Le 26 juillet, un prêtre est tué lors d’une prise d’otages pendant la messe dans une église catholique à Saint-Etienne-du-Rouvray. Les auteurs, deux djihadistes sont abattus par les forces de l’ordre. Cette attaque est aussi revendiquée par Daesh..

En septembre, la découverte à Paris d'une voiture chargée de bonbonnes de gaz a entraîné le démantèlement d'un "commando de femmes" aux ordres du groupe Etat islamique. Plusieurs adolescents ont été arrêtés, soupçonnés de vouloir passer à l'acte sous l'influence d'un jihadiste français recrutant par messagerie cryptée depuis la zone irako-syrienne.

"On a assisté à une addition de peurs singulières et, en même temps, à une montée en puissance de ceux qui vivent sur la peur", souligne l'historien Benjamin Stora. Mais en dépit des "annonciateurs de l'apocalypse", "la France continue d'avancer".

Le 12 novembre, un an après l'attaque jihadiste qui y a fait 90 morts, le chanteur Sting se produira dans la salle de concert parisienne du Bataclan pour sa réouverture.La recette de la soirée sera reversée aux associations Life For Paris et 13 Novembre : Fraternité et Vérité, a précisé le site du chanteur britannique.

Par Driss Douad (avec AFP)
Le 13/11/2016 à 17h45