Algérie. Durant ramadan, 60% du revenu des ménages sont dédiés à la nourriture

AFP

Durant le ramadan, environ 60% du revenu du ménage partent dans des achats directement liés au mois sacré, essentiellement de la nourriture.

Le 23/06/2017 à 13h57

Le repas lors duquel les musulmans rompent le jeûne du ramadan (ftour) tend à devenir en Algérie un moment d'excès et de gaspillage, loin de l'esprit originel de ce mois dédié à un retour aux valeurs essentielles. Traditionnellement un moment de convivialité et de partage, le ftour doit de plus en plus sortir de l'ordinaire aux yeux de certains Algériens, voire être fastueux, avec une surabondance de nourriture.

Les ménages algériens consacrent en moyenne annuellement 42% de leur budget de consommation à l'alimentation, selon l'Office national des statistiques (ONS). Mais durant le ramadan, environ 60% du revenu du ménage partent dans des achats liés au mois sacré, essentiellement de la nourriture, affirme Hadj Tahar Boulenouar, président de l'Association nationale des commerçants et artisans (Anca).

Pourtant, de nombreuses familles algériennes vivent avec un salaire qui ne leur permet pas d'excès. Mais au moment du ftour, partagé en famille ou entre amis, la table se doit d'être remplie de plats variés et copieux. "Je prépare plein de plats durant le ramadan. Trop de plats", admet Yamina Bey, 65 ans, "c'est le seul mois de l'année où on mange tous en famille alors je me lâche." Zohra, 72 ans et fan d'émissions culinaires, explique, elle, vouloir "gâter" ses enfants et petits-enfants.

Un phénomène également constaté au Maroc et en Tunisie, voisins de l'Algérie. Dans les trois pays, les magasins sont pris d'assaut tous les après-midi en prévision du repas du soir. Pour certains, c'est l'esprit même du ramadan qui est dévoyé par cette exubérance de nourriture. Dans l'islam, "les excès sont interdits toute l'année et plus encore durant le ramadan. Or, les Algériens font le contraire", souligne Saïd Djabelkheir, islamologue.

Originellement, ce mois de jeûne est censé faire ressentir aux croyants ce qu'endurent les pauvres. D'ailleurs, au début de l'islam, les croyants n'avaient le droit de manger qu'une seule fois en 24 heures, le soir, et n'étaient plus autorisés à se nourrir jusqu'au crépuscule suivant, rappelle l'islamologue.

Mais contrairement à leurs aînés, désormais, "nombre d'Algériens n'observent pas le jeûne par conviction mais par habitude, par conformisme", dénonce Djabelkheir. Yamina Rahou, sociologue au Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (CRASC) d'Oran, relève que "l'aspect culturel" du ramadan a peu à peu pris le pas sur "l'aspect religieux". "Nous sommes une société en pleine mutation et les normes changent, y compris celles à dimension religieuse", analyse-t-elle.

Professeur en psychopathologie à l'université d'Alger, Nacir Benhalla voit dans cette débauche de nourriture "un élan pulsionnel extrêmement fort" dans une société algérienne où il y a beaucoup de "désirs et de freins". Cette profusion de nourriture entraîne un important gaspillage, dans un pays qui importe une large partie de son alimentation et où l'Etat subventionne les produits de première nécessité.

En Algérie, "le gaspillage existe toute l'année mais augmente de 15 à 20% durant le ramadan", souligne Boulenouar. Plus question de transformer, comme jadis, le pain rassis en plat original: Fatima, une Algéroise septuagénaire, se rappelle avec nostalgie le temps où parmi les mets de choix du ramadan figurait la "Sfiriya", un plat de croquettes de pain rassis arrosées d'une sauce blanche.

Le 23/06/2017 à 13h57