Algérie: Arrestation du général Wassini Bouazza, l’ex-puissant chef des renseignements, prélude à un grand déballage

Les généraux Said Chengriha et Abdelghani Rachedi passant en revue des officiers de la DGSI. 

Les généraux Said Chengriha et Abdelghani Rachedi passant en revue des officiers de la DGSI.  . DR

C’est sur fond d’un scandale d’Etat inédit que le général-major Wassini Bouazza, ancien patron du contre-espionnage algérien, a été violemment arrêté hier, lundi, avec plusieurs autres hauts gradés. En cause, la fuite aux Emirats de la boîte noire de l’ancien chef d’état-major de l’armée algérienne.

Le 14/04/2020 à 12h12

Comme on l’annonçait ici même en fin de semaine dernière, le limogeage du patron de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI -les services de contre-espionnage algérien), le général-major Wassini Bouazza, était inéluctable, voire imminent.

Le mardi 7 avril dernier, le général Abdelghani Rachedi a été installé par le vice-ministre de la Défense, Said Chengriha, comme DGSI-adjoint, lors d’une cérémonie au ministère de la Défense, à laquelle Wassini n’a pas été convié. Le lendemain, mercredi 8 avril, le président Abdelmadjid Tebboune a signé un décret de nomination de Rachedi, en tant qu’adjoint de Wassini, mais doté de «larges prérogatives». La messe était donc dite, pour cet ancien bras droit de l’ancien chef d’état-major de l'Armée nationale populaire algérienne, le défunt Ahmed Gaïd Salah, auquel Tebboune n’a jamais pardonné le fait d’avoir mené campagne contre lui lors de la présidentielle de décembre dernier, en faveur de Azzedine Mihoubi, du Rassemblement national démocratique (RND).

Une animosité qu’exploite l’actuel chef de l’armée, Saïd Chengriha, en vue de s’ériger en nouvel homme fort du pays. Pour ce faire, il est en train de faire le grand ménage au sein de la grande muette, tout particulièrement au niveau de ses centres névralgiques, à savoir les différentes branches des services secrets, issues du démantèlement de l’ex tout-puissant Département du renseignement et de la sécurité (DRS).

Ce lundi 13 avril, Chengriha a organisé la seconde cérémonie d’installation de Rachedi qui, en moins de 7 jours seulement, est devenu DGSI-adjoint, puis patron de la DGSI par intérim. «Au nom de monsieur le président de la république, chef suprême des forces armées, ministre de la Défense nationale, j’installe officiellement le Général Abdelghani Rachedi dans les fonctions de directeur général de la sécurité intérieure par intérim, en remplacement du général Wassini Bouazza. A cet effet, je vous ordonne d’exercer sous son autorité et d’exécuter ses ordres et ses instructions dans l’intérêt du service, conformément au règlement militaire et aux lois de la république en vigueur, et par fidélité aux sacrifices de nos vaillants Chouhada et aux valeurs de notre glorieuse révolution», a dit Saïd Chengriha, selon un communiqué du ministère algérien de la Défense.

Cependant, en faisant un tour d’horizon de la presse algérienne pour y voir un peu plus clair dans cette affaire, diversement interprétée, on peut classer son traitement en trois tendances.

La première est celle des journaux proches, ou aux ordres du pouvoir vert-kaki, qui se sont contentés d’aborder, de façon spartiate et officielle, et donc sans le moindre commentaire, le remplacement de Wassini Bouazza.

La deuxième catégorie est représentée par un média proche de Khaled Nezzar, général à la retraite et ancien chef d’état-major de l’armée algérienne en exil en Espagne et surtout opposant à mort à Gaïd Saleh. Son média a d’abord annoncé de façon jubilatoire l’arrestation de Wassini Bouazza: «Tebboune et Chengriha ont débarrassé l’ANP d’un général inapte et comploteur». Dans un autre article du même média, Wassini aurait pris la fuite après avoir été démasqué comme étant derrière l’exfiltration hors du pays de l’adjudant-chef Ghirmat Benouira, ancien puissant secrétaire particulier d’Ahmed Gaïd Salah, à qui il aurait confié de nombreux dossiers estampillés «Secret défense».

Le média proche de Khaled Nezzar explique l’arrestation de Wassini Bouazza par sa complicité avec l’ancien secrétaire particulier d’Ahmed Gaïd Salah, exfiltré avec de très lourds dossiers aux Emirats Arabes Unis. Et ce média de rappeler que «Gharnit Benouira a dérobé des documents confidentiels du coffre-fort de l’ancien chef d’état-major et les a pris avec lui dans sa fuite à l’étranger grâce à Wassini Bouazza qui l’y a aidé, en lui permettant d’embarquer sur un vol à destination de Dubaï, le 5 mars dernier. Il devra rendre compte de cet acte qui relève de la haute trahison». Compte tenu des multiples connexions du général Nezzar avec l’armée algérienne, le scandale d’Etat lié à la fuite de la boîte noire de Gaid Salah aux Emirats est le prélude d’un déballage inédit au sein de la grande muette.

Enfin dans une troisième catégorie des médias algériens, les langues se délient pour décrire, témoignages à l’appui, ce qu'il s’est passé. Ainsi selon le site dzvid.com, «le général Wassini Bouazza, arrêté ce matin par les membres de la Direction centrale de la sécurité de l’armée (DCSA), est actuellement interrogé dans une caserne à Ben Aknoun, dans les bureaux de cette direction». Il se base ainsi sur le témoignage du journaliste Mohamed Sifaoui, qui ajoute qu’il lui est reproché «la mise en place d’un système d’écoutes contre de hauts responsables civils et militaires, dont Abdelmadjid Tebboune lui-même». Ce média ajoute que plusieurs autres officiers supérieurs, dont le général Abdelkader Lachkhem, puissant patron des transmissions au sein du ministère de la Défense, et de nombreux sous-officiers ont été arrêtés en même temps que Wassini Bouazza.

Pire, il y aurait eu une fusillade nourrie au moment des arrestations, fusillade qui aurait fait des morts et des blessés, selon la source de dzvid com. En effet, pour mener à bien la neutralisation de Wassini Bouazza et ses hommes, Saïd Chengrihaa a fait appel aux hommes de la Direction centrale de la sécurité de l'armée (renseignements militaires). Ce grave incident entre deux branches des services secrets algériens pourrait être le prélude à une purge d’autant plus violente que l’Algérie est aujourd’hui assise sur un baril de poudre: nouveau pouvoir sans légitimité, hirak, coronavirus, prix du pétrole au plus bas, armée plus que jamais divisée... Et des dossiers relevant du secret défense, entre les mains d’un autre pays.

Par Mohammed Ould Boah
Le 14/04/2020 à 12h12