Algérie. 20 ans après l'assassinat des moines de Tibéhirine, leur témoignage toujours vivant

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"Personne n'avait entendu parler de ce monastère. Aujourd'hui, qui ne le connaît?" Vingt ans après l'assassinat des moines de Tibéhirine (Algérie), leur dialogue fraternel en terre d'islam est cité en exemple par chrétiens et musulmans, par-delà les ombres d'une enquête judiciaire toujours en cours.

Le 06/04/2016 à 07h10

Alors que la guerre civile fait rage en Algérie, sept frères de l'ordre cistercien de la stricte observance sont enlevés dans la nuit du 26 au 27 mars 1996 à Notre-Dame de l'Atlas, sur les hauteurs de Médéa, au sud d'Alger.

Leur mort est annoncée le 23 mai par un communiqué du Groupe islamique armé (GIA).

Deux décennies plus tard, la vérité judiciaire peine à se faire jour, la version officielle du crime islamiste restant contestée par des proches des moines. Mais "une onde spirituelle s'est propagée depuis Tibéhirine", selon dom Thomas Georgeon, moine à l'abbaye Notre-Dame de la Trappe (France).

Le film du réalisateur français Xavier Beauvois "Des hommes et des dieux", sorti en 2010, y a contribué en mettant en lumière le quotidien de la communauté trappiste dans la simplicité de sa vie avec la population algérienne, mais aussi ses doutes. Et finalement son choix de ne pas partir, en ces "années noires" de guerre civile.

"Dans notre société où la fidélité, la persévérance ne sont pas forcément les vertus les plus prônées, il y a là un exemple exceptionnel", estime dom Georgeon, qui défend le dossier de la béatification des 19 "martyrs" catholiques d'Algérie entre 1994 et 1996 - dont les sept de Tibéhirine et Mgr Pierre Claverie, évêque d'Oran.

Un ouvrage collectif, "Tibéhirine l'héritage" sort mercredi pour saisir la richesse de ce message. Le pape François en signe la préface, traçant un chemin pour son Eglise: "A Tibéhirine se vivait le dialogue de la vie avec les musulmans: nous, chrétiens, nous voulons aller à la rencontre de l'autre, quel qu'il soit, pour nouer cette amitié spirituelle et ce dialogue fraternel qui pourront vaincre la violence".

Christian de Chergé, le prieur assassiné, était devenu ami, alors qu'il était un séminariste enrôlé dans l'armée française durant la guerre d'indépendance algérienne, avec un musulman. Ce "frère bien aimé" aura protégé sa vie avant d'y laisser la sienne.

Selon dom Georgeon, "il a essayé à sa manière, plus mystique que théologique, de mener un dialogue et de conduire ses frères à le vivre également, même si cela n'a pas toujours été facile".

'L'ami de la dernière minute'Le guide spirituel de la confrérie soufie Alawiyya, le cheikh Khaled Bentounès, avait invité ses disciples de Médéa à entrer en contact dès 1979 avec la communauté cistercienne, jetant les bases d'un "ribat al-salam" (lien de paix). Le maître lui-même a plusieurs fois gagné "cette nature, cette montagne où les moines vivaient un peu retirés du monde tout en étant près du monde".

"Autour de la prière, nous étions en quelque sorte les miroirs les uns des autres, réfléchissant ensemble sur des questions spirituelles, sociales", se souvient pour l'AFP le cheikh Bentounès. "Les limites du respect et de la tolérance étaient derrière nous. Nous étions des frères en quête de l'absolu, de Dieu, chacun dans sa propre tradition".

Chez lui, le maître soufi algérien conserve sur un parchemin le testament spirituel (1993-94) de Christian de Chergé. Un texte aux accents prophétiques où le prieur salue dans son futur bourreau "l'ami de la dernière minute, qui n'aura pas su ce (qu'il) faisait".

Le 16 avril, le cheikh Bentounès doit monter se recueillir sur les tombes des sept moines. Il n'y a plus de trappistes à Tibéhirine mais Notre-Dame de l'Atlas poursuit sa vie de labeur et d'oraison, au Maroc désormais, à Midelt, autour du dernier survivant de la tragédie, le frère Jean-Pierre. Et l'esprit de Tibéhirine subsiste, notamment en France, à travers une intense activité éditoriale, des groupes engagés dans le dialogue interreligieux...

Le 06/04/2016 à 07h10