Maroc-Algérie: jusqu’où ira l’escalade? s'interroge Jeune Afrique dans une enquête

Déploiement des Forces armées royales pour faire régner l'ordre. Photo d'illustration.

Déploiement des Forces armées royales pour faire régner l'ordre. Photo d'illustration. . DR

Le magazine Jeune Afrique consacre, dans son numéro de mars 2021, tout un dossier, ainsi que sa Une, à l’escalade des tensions entre le Maroc et l’Algérie, sur fond du conflit du Sahara, prémices d’une guerre qui pourrait dégénérer entre les deux pays.

Le 02/03/2021 à 15h41

"Maroc-Algérie, jusqu’où ira l’escalade? Jamais depuis 45 ans, les deux 'frères ennemis' du Maghreb n’avaient paru aussi proches d’une confrontation directe au Sahara. Provocations, fake news, manœuvres militaires agressives, course aux armements: tous les ingrédients d’un dérapage incontrôlé sont réunis", écrit l’hebdomadaire panafricain, Jeune Afrique, dans ce numéro qui dévoile une "enquête sur une guerre (pour l’instant) invisible".

Selon JA, 'l’incident de Guerguerat, en novembre 2020, puis la reconnaissance, par les Etats-Unis, de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, ont avivé les tensions entre Alger et Rabat. Jamais, depuis 45 ans, le risque de confrontation n’avait paru aussi grand".

Le magazine panafricain revient également sur l’escalade des tensions entre le Maroc et l’Algérie qui va crescendo depuis les évènements de Guerguerat.

"Depuis le 13 novembre 2020, jour de la 'sécurisation' par l’armée marocaine des quelques centaines de mètres de route asphaltée séparant la localité de Guerguerat de la frontière mauritanienne, l’ancienne colonie espagnole du Sahara occidental nage en pleine uchronie", ce genre littéraire et cinématographique à la mode qui consiste à relater des événements fictifs en prenant comme point de départ un événement historique. Une réalité parallèle, en quelque sorte, alternative et contre-factuelle, élaborée à coups de bulletins de victoire du Polisario, de fake news…

"S’en tenir à la description de ce qui apparaît comme une pièce de théâtre aux armées pour en conclure que tout bouge pour que rien ne change au Sahara serait pourtant une erreur. S’il n’est pas à proprement parler une création de l’Etat algérien, mais plutôt une coproduction algéro-libyenne des années 1970 sur fond de nationalisme sahraoui, le Front Polisario en est depuis longtemps devenu l’instrument", observe le magazine. Pourtant, du point de vue de JA, cette "uchronie" est "un vent de sable qui masque une réalité nettement plus préoccupante: jamais, depuis la fin des années 1970, la tension n’a été aussi vive entre le Maroc et l’Algérie".

"Outre les Européens – en particulier la France et l’Espagne –, les Américains et les Russes, celui qui s’en inquiète le plus est sans doute le secrétaire général des Nations unies, António Guterres. L’ONU entretient dans la région depuis trois décennies une mission d’interposition de 462 hommes (dont 245 militaires), sous l’autorité actuelle d’un diplomate canadien et le commandement opérationnel d’un général pakistanais. Son coût: 62 millions de dollars par an", souligne la publication qui revient également sur le blocage que connait le dossier du Sahara.

"Sur ce baril de poudre, l’annonce, le 10 décembre 2020, par Donald Trump (…) de la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental ressemble fort à une mèche en attente d’allumage. Quitte à balayer au passage la fiction diplomatique qui veut que l’Algérie soit, dans l’affaire saharienne, une simple "partie intéressée" et non une "partie au conflit", l’interprétation d’Alger a été immédiate: derrière cette décision américaine et la normalisation concomitante des relations entre le Maroc et Israël, c’est elle que l’on vise", poursuit JA.

"Et quand El Djeich, la très influente revue de l’ANP (Armée nationale populaire algérienne), évoque 'les menaces imminentes que font peser certaines parties ennemies sur la sécurité de la région', c’est à cela qu’elle fait allusion. Qu’ils y croient ou pas, la narration servie par les dirigeants algériens est claire: à travers le royaume chérifien, c’est 'l’entité sioniste' qui désormais se profile aux frontières de la République. D’où leur double réaction. Diplomatique tout d’abord, avec l’envoi de messages en direction de Moscou, destinés à vérifier si le soutien de la Russie, traditionnel fournisseur d’armements à l’ANP, est acquis au cas où, et la multiplication de démarches auprès de la nouvelle administration américaine afin qu’elle annule le décret Trump reconnaissant la marocanité du Sahara", commente le magazine.

"Complémentaire de celle-là, l’autre réaction algérienne se veut ouvertement menaçante. Les 17 et 18 janvier, des manœuvres militaires de grande ampleur (Opération Al-Hazm) et largement médiatisées ont été organisées par l’ANP dans la région de Tindouf, à quelques dizaines de kilomètres de la frontière avec le Maroc", ajoute JA.

Selon le magazine, "la volonté affichée d’être la puissance militaire majeure de la région n’explique qu’en partie cette addiction, particulièrement onéreuse en période d’assèchement de la rente pétrolière. Il y a aussi (…), le souci d’asphyxier financièrement un rival marocain contraint de suivre sans disposer, loin de là, de la même marge de manœuvre financière", ainsi que "le jeu opaque d’une haute hiérarchie militaire très impliquée dans la conclusion des gros contrats".

Selon JA, "l’historique des affrontements armés directs entre armées marocaine et algérienne ne nous renseigne guère sur ce qu’il adviendrait en cas de conflit. Militairement remportée par le Maroc de Hassan II et diplomatiquement gagnée par l’Algérie de Ben Bella, la "guerre des Sables" d’octobre 1963 fut une succession d’escarmouches le long d’une zone très peu peuplée, entre Tindouf et Figuig. (…) Treize ans plus tard, les deux batailles d’Amgala, au nord du Sahara occidental, se soldèrent par un match nul, l’oasis étant prise par les FAR en janvier 1976, puis reprise par les Algériens en février. Même si l’on craignait alors que cela ne débouche sur une conflagration généralisée entre les deux voisins, les combats – sanglants – demeurèrent géographiquement très limités".

"Serait-ce encore le cas aujourd’hui, si l’irréparable devait survenir?", se demande JA. "Rien n’est moins sûr, car, à en juger par la configuration des dernières méga-manœuvres de l’armée algérienne, c’est à une guerre conventionnelle de haute intensité que l’on se prépare", estime le magazine.

"Ce conflit, potentiellement catastrophique sur le plan économique et sur le plan humain, opposerait d’abord deux doctrines militaires différentes. La "soviétique", côté algérien, fondée sur l’engagement massif de blindés appuyés par l’aviation dans le cadre d’offensives à la fois stratégiquement souples et tactiquement rigides. La "franco-américaine", côté marocain, privilégiant le combat mobile, la contre-offensive et l’initiative manœuvrière des chefs d’unités.

Elle opposerait aussi deux armées aux effectifs équivalents, l’une – l’algérienne – incontestablement mieux dotée quantitativement en matériels modernes. L’autre – la marocaine – bénéficiant d’un taux de professionnalisation plus élevé, d’un encadrement qualitativement supérieur et d’une logistique mieux organisée", relève le magazine. "Supériorité quantitative algérienne versus avantage qualitatif marocain? L’équation n’est pas intangible, mais elle résume assez bien la situation", souligne JA, qui revient en détail sur la course aux armements que se livrent le Maroc et l’Algérie.

"Comme les Américains et les Soviétiques au cœur de la guerre froide, les deux frères séparés du Maghreb se préparent donc à une guerre chaude, qu’ils espèrent ne pas faire tant elle serait suicidaire, mais dont ils n’ont jamais été aussi proches depuis les batailles d’Amgala il y a 45 ans. 'Si vis pacem, para bellum' est une maxime bien dangereuse sous ces latitudes…", affirme JA.

Par Rahim Sefrioui
Le 02/03/2021 à 15h41