Affaire Bouachrine: quand le journaliste Nick Hopkins oublie les bases fondamentales de son métier

Taoufik Bouachrine.

Taoufik Bouachrine. . DR

En se limitant, depuis Londres, à la seule version des personnes qui soutiennent Taoufik Bouachrine, sans attention ni égards envers les nombreuses victimes de ses abus sexuels, le journaliste de The Guardian vient de commettre une erreur journalistique irréparable. Voici comment.

Le 30/06/2019 à 16h22

L’éminent journaliste Nick Hopkins, pourtant excellente plume du non moins très sérieux The Guardian, véritable école de journalisme, vient d’écrire un article qui ne correspond pas aux critères requis de sa publication.

Traitant de l’affaire du directeur d’Akhbar Al Yaoum et Alyaoum24, Taoufik Bouachrine, malgré l’alerte lancée par Le360 quant au risque de dérapage professionnel sur cette question, n'a pas empêché Nick Hopkins de déraper. Il n'a eu recours, en terme de sources, qu'au seul et unique témoignage de l’épouse de Taoufik Bouachrine, pour nous livrer un véritable cas d’école d’anti-journalisme.

Basé sur un récit tant décousu, monté de toutes pièces, que purement fictif, cet article signé par Nick Hopkins tente de nous faire croire que si Bouachrine est en prison aujourd’hui, ce n’est nullement parce qu’il a violé, enregistrements à l’appui, pas moins de huit femmes. Des salariées de son entreprise, réduites au rang d’esclaves, dont il abusait à sa guise et ce, dans ses propres bureaux. Non, affirme le pourtant avisé et éclairé journaliste de The Guardian, Bouachrine a été condamné pour ses idées, ses opinions sur le Maroc et celles qu'il a professées sur l’Arabie saoudite.

Le topo est tout trouvé. Bouachrine, présenté comme le dernier des Mohicans, serait au cœur d’un complot marocco-saoudien dans le but de l'incarcérer. C’est Jamal Khashoggi lui-même, le chroniqueur saoudien du Washington Post, assassiné à l'intérieur du consulat d'Arabie Saoudite d'Istanbul –parce qu’il faut bien grossir le trait– qui l’aurait averti. Et cela, c’est la femme de Bouachrine qui l'affirme. Avant elle, le conseiller juridique généreusement rémunéré de Bouachrine, Rodney Dixon, l’avait affirmé à cor et à cri. Le360 avait consacré un article à cette thèse complotiste farfelue. De ce point de vue-là, et en dépit du titre incitatif de son article, Nick Hopkins ne nous apprend rien. Il n’y a absolument rien d’ «exclusif» dans cette révélation qui revêt le caractère d’un pétard mouillé. Un journaliste aussi averti que Nick Hopkins aurait dû le savoir.

On regrettera que les huit victimes de Bouachrine n’ont à aucun moment eu le droit de donner leur témoignage dans l'article de Nick Hopkins. Il est également regrettable que les crimes de ce journaliste marocain envers ses employées, sans défense, n'aient été nullement retracés.

Pour sa seule défense, justement, Nick Hopkins dit avoir "fait son job" en envoyant des questions… à l’ambassade du Maroc à Londres. Mais est-ce là une manière de procéder? Une représentation diplomatique commente-t-elle une décision de Justice qui a condamné ce journaliste marocain à 12 ans de prison ferme, un verdict jugé clément au regard des chefs d’inculpation, entre autres viols et traite d’êtres humains? Depuis quand un journaliste est-il au-dessus des lois, dont il se réclame, et qu’il est censé défendre?

A ce sujet, le journaliste de The Guardian cite Le360 pour avoir réussi à obtenir, grâce à ses contacts, les questions adressées à l’ambassade du Maroc à Londres. Nous avons mis en garde le journaliste britannique contre le caractère subjectif et partisan de ses contacts. En vain.

Car Nick Hopkins aurait pu se donner la peine de vérifier la teneur du témoignage qu’il a reçu, nous le disions, de la part de parties résolument hostiles à ce Maroc qui évolue, se corrige et avance. Il aurait pu prendre un avion, débarquer dans un pays ouvert et qui accueille des millions de touristes, pour mener une vraie enquête. Il aurait pu, sur place, prendre une bonne bière, la meilleure qui soit ici, une Casablanca, et interroger qui il veut et nous sortir un véritable coup d’éclat journalistique lequel, là et seulement là, aurait pu faire la différence. Il aurait pu, et il en a toute la légitimité et la latitude, questionner les services de sécurité, les magistrats, les avocats des deux parties, des journalistes, et surtout les victimes de ce patron de presse. Toutes les personnes concernées, qui sont en charge ou au fait de cette histoire.

Seulement voilà, Nick Hopkins a prêté une écoute attentive à la seule épouse Bouachrine, une femme trompée, qui refuse de voir la réalité en face, à l’avocat Rodney Dixon, conseiller aussi cher que trompeur, à une certaine Afaf Bernani, quiest revenue sur ses déclarations et a publiquement changé sa version des faits, alors qu’elle fait partie des victimes, et d’un autre avocat, Mohammed Ziane. Celui-ci a même poussé l’extravagance jusqu’à tenter de soustraire à leur comparution au tribunal des témoins gênants, en les cachant dans sa propre maison. Inénarrable.

Journalistiquement, nous sommes face à un texte mono-source, soit une seule version des faits sans aucune forme de vérification. Le tiroir à excuses est grand ouvert: un e-mail avec des questions a été envoyé à l’ambassade du Maroc à Londres. Or, cette affaire ne regarde pas cette représentation diplomatique, qui dépend du ministère des Affaires étrangères, mais de celui de la Justice. 

Le plus affligeant dans tout cela, c’est qu’aucune question sur les soumissions sexuelles et autres dépravations exercées par Bouachrine sur ses salariées n'a été posée. D’ailleurs, c’est notamment à cause de ces victimes, aujourd’hui totalement anéanties, à la vie brisée et à la réputation définitivement salie, que Nick Hopkins aurait pu, et dû, adresser ses questions. Il aurait gagné à les rencontrer, les écouter, raconter leur parcours et pourquoi elles en sont arrivées à être réduites ainsi en esclavage. A servir et à assouvir les fantasmes les plus cruels d’un véritable pervers. A cet égard, Sara Lemrs et Asmae Hallaoui, deux de ses victimes, ont des faits inédits à raconter au journaliste britannique.

Si cette information avait pu aider ce journaliste, selon nos sources, Taoufik Bouachrine a émis, lors de son interrogatoire par la BNPJ, une seule, unique, mais persistante demande: que les enregistrements de ses ébats avec Asmae Hallaoui soient effacés, et au total il s'agit là de pas moins de 33 enregistrements vidéos.

Asmae Hallaoui était alors enceinte… De six mois.

Sara Lemrs, elle, a fait l’objet d’un véritable chantage de la part de l’épouse de Taoufik Bouachrine. Après des tentatives vaines dans le but de la soudoyer pour la faire revenir sur ses premières déclarations, nous apprennent nos sources, elle a été menacée jusque dans sa propre vie. Mais elle n’a rien lâché.

En accordant ne serait-ce qu’un semblant d’intérêt à ces victimes, Hopkins aurait pu faire son travail conformément à ce qu’il a l’habitude de faire. Il a, de fait, omis de poser des questions aux véritables victimes de cette affaire. 

Par Youssef Bellarbi
Le 30/06/2019 à 16h22