Un quartier, une histoire: Bousbir, haut lieu de la prostitution casablancaise sous le protectorat

DiaporamaIl ne reste du tristement célèbre quartier Bousbir, à Casablanca, que des souvenirs sulfureux ternis par le temps. Voici l’histoire du «quartier réservé» et de ses femmes…

Le 24/09/2018 à 15h15

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Dans les années 1920, alors que le Maroc est sous Protectorat français, les colons se plaisent à dresser la carte postale d'un pays pittoresque, exotique et poétique. Des photos et des écrits qui nous restent de cette sombre page de l’histoire marocaine, ceux de ces femmes, que l’on classe encore sous la bannière d’un style orientaliste.

Mais au-delà des scènes de vie et des clichés de femmes dénudées capturés par les objectifs de l’époque, se cache une réalité bien sombre, celle de la prostitution.

A Casablanca, au début du XXe siècle, un quartier sordide était ainsi dédié au commerce du sexe.

En 1914, les hommes en quête de plaisirs charnels se rendaient à Bab Marrakech, à quelques pas de la Medina. C’est là que des "filles de joie" faisaient commerce de leur corps sur les terres d’un Français du nom de Prosper Ferrieur. Avec le temps, on baptisa l’endroit du nom de son propriétaire et « Prosper » devint « Bousbir ».

L’endroit étant un peu trop central au goût des autorités du protectorat français, sans compter l’insalubrité qui y régnait et le manque d’hygiène qui favorisait la propagation des maladies, on décida en 1923 de transférer ces "activités" loin des regards, à Derb Soltane, dans un quartier spécialement construit à cet effet et qui serait dédié à la prostitution sous haute surveillance.

La concession est achetée par un certain M. Bouquet, représentant des Mines de Lens, et le chantier confié à l’entreprise La Cressonnière.

L’ancien bordel à ciel ouvert de Bab Marrakech se transforme alors en cliché touristique. Une petite ville enceinte de murs, des blocs d’habitations, des commerces, des ruelles bordées d’arbres, un hammam, un cinéma, des cafés… On entre par l’unique porte, gardée par un poste de police, pour passer du bon temps dans Bousbir comme on le ferait dans une médina typiquement marocaine. Une jolie carte postale, tristement poétique, dressant le portrait de femmes soit disant libérées, lascives, tout droit sorties des Mille et une nuits.

On se rend à « Bousbir » comme on visiterait un monument de la ville, on prône la beauté architecturale de l’endroit et très vite, les femmes de ce quartier "réservé" de la ville blanche deviennent une attraction pour les touristes de passage, les marins, les journalistes, les militaires, les artistes, les intellos de tout poil, qu’ils soient colons ou Marocains.

Dans les ruelles aux noms féminins tels que Fassia, Mzabia, Marrakchia, Bidaouia, des femmes de tous bords : Marocaines musulmanes ou juives, subsahariennes, françaises, déambulent, à la rencontre de clients.

Surveillées par les autorités, soumises à des contrôles sanitaires, les prostituées de Bousbir sont régies d'une main de fer par des maquerelles qui ne leur laissent aucune trêve. Elles doivent être disponibles à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, malgré la fatigue et les maladies. Pour éviter la propagation de la syphilis, comme naguère à Bab Marrakech, elles sont soumises à des visites médicales hebdomadaires. Et quand elles tombent malades, elles sont séquestrées ou bannies de la cité. Livrées à elles-mêmes, il devient impossible pour elles de penser à refaire leur vie ailleurs, différemment. Devenues des parias de la société, elles étaient condamnées à vivre dans ce bagne-bordel à ciel ouvert ou à mourir.

Certains noms de femmes ont traversé le temps, à l’instar de celui de Madame Espéron qui tenait une maison dédiée aux prostituées françaises, ou encore celui de Zohra Bent Abelkrim, qu’on appelait "la sultane" et à qui on attribuait une liaison avec le Maréchal Lyautey. Puis enfin, Archéia, sa disciple.

Il fallut attendre l’indépendance du Maroc, pour que le calvaire de ces femmes prenne fin et que la fonction de Bousbir change.

On reconvertit le quartier réservé en quartier Baladya, où étaient hébergées les forces auxiliaires et leurs familles.

On s’appliqua ensuite à gommer les noms des femmes venues de toutes les régions du Maroc qui vécurent ici. De la Fassia, la Marrakechia et la Bedaouia, il ne resta que de douloureux souvenirs.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 24/09/2018 à 15h15