La folie marocaine des vide-dressing: le luxe à portée de deuxième main

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Au Maroc comme ailleurs, la tendance des vide-dressing bat son plein. Sites web, réseaux sociaux, ateliers, showrooms… tous les moyens sont bons pour vendre et pour acheter des articles de luxe à prix réduits; quitte à faire l’impasse sur l’authenticité et céder aux sirènes de la contrefaçon.

Le 06/04/2019 à 10h01

En matière de shopping d’articles de luxe au Maroc, il y a désormais un avant et un après. Avant l’implantation du Morocco Mall, et le foisonnement de boutiques de luxe sur l’axe Casablanca-Rabat, la bourgeoisie marocaine avait coutume de faire son shopping ailleurs. En France pour la majorité des nantis, en Italie ou aux Etats-Unis pour d’autres… Ce temps-là est aujourd’hui révolu …ou presque.

Aujourd’hui, à Rabat ou Casablanca, l’offre proposée par les grandes enseignes parvient plus ou moins à satisfaire les envies coûteuses et pointues d’une clientèle à la recherche de tendances actuelles. De la même manière, dans la vieille médina de Casablanca, on continue de proposer depuis des décennies les meilleures imitations de marques. Gucci, Louis Vuitton, Prada, Dior… au Maroc, on se sigle des pieds à la tête qu’on vive à Anfa Sup’ ou à Hay Mohammedi.

Le luxe, ou du moins l’impression du luxe, on aime ça, quitte à se parer d’articles contrefaits ou d’acquérir des articles de deuxième main, moins chers et en bon état.

Dans les coulisses d’un vide-dressing casablancaisUne fois tous les deux mois, S.R. organise dans son appartement une vente privée d’articles de prêt-à-porter de luxe de deuxième main. Un sac Gucci usagé à 500 dhs, une paire de Valentino à 2000 dhs, un manteau Dior à 3000 dhs, une veste Joseph à 1500 dhs… Dans son petit studio casablancais, on trouve de tout en matière d’articles de luxe et pour tous les prix. Côté authenticité, on ne pose pas de question. Seule la parole de S.R., cette modeuse invétérée, reconnue en tant que papesse du style dans un certain microcosme casablancais, suffit à vaincre toutes les réticences. Quand elle déclare sûre d’elle-même à ses clientes «ma chérie, se sac Gucci est fait pour toi ! Tu ne peux pas passer à côté», ou encore «authentique ? mais bien sûr, pour qui tu me prends ?»… On la croit volontiers et on se rue dessus, faisant fi du reste car en matière de mode, la parole d’une connaisseuse est d’or.

Pour garnir son studio reconverti en showroom, il suffit à S.R. d’activer son réseau, de faire les yeux doux à son entourage, de fouiner dans les placards de ses copines pour dénicher les pièces vendables qu’elle rendra désirables grâce à son argumentaire de modeuse bien ficelé. Pour que ça marche, il faut afficher des prix très abordables, avec des remises allant parfois jusqu’à -90% du prix d’origine sur lesquels la bonne vendeuse qu’elle est ponctionne une commission.

Pour que ça marche, il faut savoir dénicher les bonnes clientes, celles qui craqueront pour les articles les plus chers, celles qui n’ont pas trop les moyens mais qui sont régulières. Enfin, ultime secret de réussite, trier ses clientes sur le volet. Ne vient pas ici qui veut ! On fait en sorte d’inviter les influenceuses de la ville. Pas celles qui sévissent sur instagram, non surtout pas ! Mais plutôt celles qui adolescentes étaient les filles stars de la cour du lycée et qui une fois devenues adultes, continuent de briller en société pour les mêmes raisons obscures. Dans ce vide-dressing, les clientes se connaissent au moins de vue, de nom, de réputation et on achète donc pour faire comme l’autre, pour dépenser plus que l’autre et pour faire partie d’une sorte de club fermé de filles stylées qui aiment le vintage.

Le terme vintage est ici très important, car tout le monde n’assume pas le fait de porter un vêtement de deuxième main. Alors pour se donner bonne conscience et l’assumer, on se déclare amatrice de «vintage».

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La clientèle de S.R. est des plus variées. Parmi les acheteuses fidèles de ce vide-dressing, on trouve Yasmine, qui travaille dans une agence de com’. Elle affiche un salaire de 20.000 dirhams par mois. Assez pour vivre très convenablement à Casablanca sans pour autant pouvoir se permettre de folies. Son problème ? Sa capacité financière limitée à pouvoir acquérir des vêtements de marque. Elle pourrait certes se contenter de marques plutôt accessibles pour son budget mais s’habiller en Zara, Massimo Dutti, üterque ou Banana Republic, passe encore à condition d’afficher une ou deux pièces de luxe. Impossible pour elle d’acquérir un sac Dior qui affiche le prix d’un logement économique. Alors que faire ? C’est là qu’opère la magie des vide-dressing… Yasmine ne rate sous aucun prétexte ce rendez-vous. Armée de son chéquier, elle dépense chaque trimestre entre 5000 et 10.000 dirhams dans des sacs, chaussures ou it-pièce qui donnera du style et de la valeur à une tenue somme toute basique.

Ici, on trouve aussi Leila, jeune entrepreneuse qui se lance dans le monde du business et qui pour impressionner ses prospects avec une image de femme qui a réussi avant même d’avoir commencé, a opté pour la technique du : «poser sur la table de réunion un sac et des lunettes griffées».

«Ca donne tout de suite le ton » nous explique-t-elle. Et de poursuivre «c’est malheureux à dire mais nous vivons dans une société où l’apparence compte énormément. On n’est pas impressionné de la même manière par une personne qui roule en Dacia ou en Range Rover. Idem en terme de mode. La valeur de ce que l’on affiche impose une forme de respect.» Bien entendu, pour ce type de clientes, hors de question de confier à qui que ce soit que l’article a été acheté en occasion.

Le shopping 2.0, un farwest sans foi ni loiLa digitalisation de la société marocaine a permis au concept de vide-dressing de se désincarner et d’atteindre la masse, celle qu’on ne convie pas forcément dans un vide-dressing. Marchant dans les pas des Etats-Unis, pays pionnier en terme de e-commerce d’articles de luxe en deuxième main, le Maroc a surfé sur la vague du web pour développer ce business très juteux mais à sa manière…

Car si les vide-dressing 2.0 sont très réglementés sous d’autres cieux, ici, le monde digital est un vrai farwest sans règles à suivre ni à respecter. Narjiss Mossadak, fondatrice de jeshop.ma est la première au Maroc a avoir décidé d’investir ce créneau en y mettant les formes et en appliquant à la lettre la loi et les procédures. Fille de l’administration, sa devise pourrait être «on ne badine pas avec la loi». Amatrice de mode, tout en détestant faire son shopping dans l’univers pompeux des boutiques de luxe au Maroc, elle a décidé de monter une plateforme web qui se chargera de l’intermédiation entre vendeuses et acheteuses. Sur son site, on trouve des articles du même acabit que dans le vide-dressing de S.R., mais avec un réel souci d’authentification. Narjiss ne permet pas de mettre en ligne sur sa plateforme des articles ne montrant pas patte blanche. Il faut pouvoir apporter des preuves avec une facture d’achat, un certificat d’authenticité et quand ce n’est pas possible, elle fait appel à son petit réseau d’experts pout authentifier l’article en question. Une démarche louable qui peine cependant à s’imposer au Maroc face à une concurrence des plus déloyales.

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La digitalisation du shopping présente autant d’avantages que d’inconvénients. En effet, si cette jeune entrepreneuse a mis tout son capital et son énergie dans son site web et se saigne aux quatre veines pour payer et déclarer sa petite équipe et ses impôts, elle doit faire face aux ravages de la contrefaçon et du marché noir qui sévissent sur les réseaux sociaux.

Sur instagram, les comptes intitulés vide-dressing sont légion à travers le Maroc. La plupart proposent la même chose : des articles de luxe de deuxième main, sans garantie d’authenticité, vendus à des prix abordables. Pas besoin de site web, ni d’équipe, ni de société… Il suffit d’ouvrir un compte instagram, d’y poster des photos d’articles dits de luxe, un petit commentaire mentionnant la marque et le prix, le tout arrosés de hashtags et le tour est joué. Il n’y a plus qu’à attendre que ça morde. Pour les transactions, on négocie via la messagerie privée du réseau social et quand la chose se confirme, on s’échange les numéros de téléphone pour concrétiser la vente moyennent la somme en espèce ou un chèque au porteur et arranger la livraison. Ni vu, ni connu.

Le moyen de paiement représente le nerf de la guerre. Côté acheteuse et côté vendeuse, on s’accommode souvent de transactions non traçables. Une plaie pour notre jeune entrepreneuse qui elle milite et impose la traçabilité des paiements, pas toujours évidente à faire entendre aux clientes, mais qui est pourtant une condition sine qua none pour les utilisatrices de sa plateforme. Enfin, l’impossibilité de pratiquer le paiement échelonné par chèques, pratique illégale, rend de ce fait la concurrence encore plus féroce avec des vendeuses peu scrupuleuses.

Derrière ces comptes, des particuliers pour la plupart dont certains ont un emploi stable et qui arrondissent leurs fins de mois en faisant de l’intermédiation. C’est le cas de Siham qui travaille en tant que responsable de recouvrement dans une société. Ayant quelques contacts en Italie et aux Etats-Unis, elle reçoit régulièrement des articles de luxe venus d’ailleurs, dégriffés ou faux, et à prix imbattables qu’elle s’empresse ensuite de mettre en vente sur un compte instagram. «Mon compte en banque est mieux garni que celui de mon patron», s’esclaffe-t-elle.

Autres profils de vendeurs illégaux qui sévissent sur le web, les «personal shoppers», un nouveau métier très en vogue au Maroc. Sous d’autres cieux, on fait appel aux services d’un personal shopper quand on est une célébrité ou une VIP qui n’a ni le temps ni l’envie de faire son shopping. On confie alors son portefeuille à une personne qualifiée qui se chargera de nous habiller selon les tendances, nos goûts et nos envies.

Mais au Maroc, ce métier intègre quelques variantes. Pour faire appel à une personnal shopper, direction instagram encore une fois où les profils abondent. Les acheteuses sont marocaines, elles vivent à l’étranger ou ont la possibilité de s’y rendre souvent. Leur méthode est des plus simples. Elles font du lèche vitrine en filmant les articles disponibles en boutique, de préférence dans des outlets qui proposent des fins de série à prix réduits, et proposent à leur communauté virtuelle de leur acheter l’article qui leur plaît moyennant une commission, équivalente à la détaxe…Il suffit de lui envoyer la somme convenue sur son compte bancaire au Maroc. Une fois la somme reçue, elle achète l’article en question et l’envoie à sa cliente par le réseau postal.

Qui achète, qui vend? ?La clientèle marocaine est assez conservatrice dans sa manière d’acheter. On aime toucher, palper, essayer avant de sauter le pas de l’acquisition. Il faut donc pouvoir être en mesure de faire voir le produit à la cliente potentiel avant de concrétiser une vente. C’est la raison pour laquelle Narjiss Mossadak a décidé d’investir prochainement dans un showroom physique pour pouvoir donner corps à son site web.

Côté avantages, le vide dressing digital fait surtout le bonheur des vendeuses et ce pour de nombreuses raisons que l’on comprend en détaillant leurs profils.

D’un côté la quadragénaire, issue d’une classe sociale très aisée, qui fait tous les trois mois son shopping dans les boutiques de luxe de la ville, à raison d’un budget moyen de 300.000 dirhams. La problématique de celle-ci ? Son placard qui déborde et croule sous le poids de ses envies insatiables de nouveautés. Pour elle, il ne s’agit pas de vendre pour se faire de l’argent mais bel et bien pour faire de l’espace chez elle. Elle vend d’ailleurs à tous les prix, sans réelle stratégie, fixant ses tarifs en fonction de ses coups de cœur.

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Côté vendeuses, il y a aussi la femme tout juste divorcée ou qui subit un revers financier et qui pour y pallier vend ses vêtements les plus chers ou ses bijoux.

Il y a aussi, beaucoup plus rares, les modeuses pointues qui sont à la recherche de pièces «vintage» qu’on ne trouve plus en boutique et qui mettent en vente certains de leurs articles pour s'en procurer d'autres. 

Toutes ont un point commun : elles tiennent à leur anonymat, chose que leur apporte la vente en ligne.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 06/04/2019 à 10h01