Culture, légendes et traditions: il était une fois… le daour des Regraga

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Chaque année à la fin du mois de mars, à l’équinoxe du printemps, la confrérie des Regraga converge de manière immuable vers la ville d’Essaouira pour y effectuer son daour annuel, un pèlerinage de 44 jours. Un incroyable voyage dans le temps en 40 étapes au cœur du territoire Chiadma.

Le 04/04/2018 à 14h28

L’histoire de la confrérie des Regragas remonte à des temps anciens et est intimement liée à l’islamisation du Maroc.

Au commencement, une légende…

Selon le mythe qui entoure cette confrérie, sept saints berbères de confession chrétienne sont partis à la rencontre du prophète Mohammed à la Mecque. Bien qu’adeptes de Jésus, ceux-ci attendaient encore la venue d’un autre messie, raison pour laquelle ils partirent à la rencontre du prophète et se convertirent à l’Islam. Leur nom provient du verbe arabe «Rajraja», bredouiller, et leur aurait été attribué par la fille du Prophète Lalla Fatima-Zahra, laquelle aurait employé ce mot pour décrire la particularité de leur langue.

Après leur conversion, ils s’en retournèrent chez eux avec pour mission de convertir à l’islam les tribus du Maghreb Al Aqsa. Devant l’adhésion des peuples à cette nouvelle religion, et ce bien avant les conquêtes arabes, la renommée et l’influence des Regragas grandit, tant et si bien qu’ils acquièrent le titre de Compagnons du Prophète.

Chaque année, les sept saints entreprenaient un long périple à travers le pays afin de s’assurer que les tribus de la région continuaient de pratiquer l’Islam. C’est ce voyage qui est à l’origine du Daour que la confrérie entreprend encore à ce jour pour se rendre sur les tombeaux des sept saints à l’origine de la confrérie.

Un pèlerinage pour héritage des temps anciens

Le départ du pèlerinage a traditionnellement lieu le jeudi le plus proche de l’équinoxe de printemps, selon le calendrier solaire/agricole à la différence donc du calendrier lunaire auquel se réfère l’islam. Les Regraga, issus de treize zaouiates, parcourent en trente-neuf jours une distance estimée à environ 460 kilomètres, ponctuée de 44 étapes.Ni boussole, ni cartes, ni itinéraire apparent… les regragas savent de manière quasi innée le chemin à emprunter.

La baraka ou le don de guérison

La baraka est au centre de ce pèlerinage et de ces croyances. Les Regraga sont les transmetteurs de la baraka de leurs saints ancêtres. Abdelkader Mana dit "le découvreur des Regraga", a développé à ce sujet le concept de "caprification" pour qualifier l’action des nomades Regraga qui viennent "féconder" par "la baraka" les tribus arabophones Chiadma, pour l’année à venir.

Les Regraga opèrent par des bénédictions que viennent solliciter leurs visiteurs. Il s’agit principalement de demandes de protection, de fertilité, de santé, de guérison et de réussite de tout ordre. Mais ils procèdent également à des malédictions quand ils estiment que cela est juste ou en réponse à un mal déjà fait.

En retour, les demandeurs de baraka leur font des offrandes de plusieurs sortes: hébergement et nourriture ou dons en argent. Cet argent est partagé quotidiennement entre toutes les zaouïas, puis réparti entre tous les membres présents de chacun des groupes.

Le daour des Regraga apparaît également aux yeux des visiteurs comme la concrétisation du passage de l’hiver au printemps, et donc à une phase de renouveau et de renaissance. Boujemaâ Lakhdar, ancien conservateur du musée d’Essaouira, explique à ce sujet: «La dormition n’est pas la mort mais c’est un sommeil qui ressemble à la mort. La végétation endormie attend le retour de la belle saison. (…) Pour que les récoltes soient abondantes, il faut que la baraka (des Regraga) vienne compléter et achever l’œuvre de la nature».

Grâce à la baraka, les Regraga sont également considérés comme de grands guérisseurs. Ainsi, à chaque sanctuaire sa thérapie. Sidi Ali Maâchou guérit par exemple de la rage, Sidi Abdallah ou Sidi Ahmed le cancer, tandis que beaucoup d’autres soignent la possession par les esprits (jnoun). Dans cette confrérie, point de musique, point de danses extatiques ni de transes afin de guérir les corps et les esprits. La guérison se base sur leur piété et leurs prières à condition toutefois que le demandeur de guérison ait la « niya » (bonnes intentions).

Comme dans tous les moussems du Maroc, un souk et des festivités accompagnent le Daour des Regragas. L’occasion pour les populations de faire du commerce et de se divertir.

Evoquer les Regraga, c’est aussi parler de leur rôle dans la résistance à l’occupant. Au XVIème siècle, c’est à partir de Jbel Lahdid, ce rempart naturel, qu’ils sont les seuls à connaître que les Regraga lançaient des razzias contre les Portugais.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 04/04/2018 à 14h28