Maroc Telecom: entre ses actionnaires et ses usagers, l’opérateur a choisi

Siège de Maroc Telecom à Rabat

Siège de Maroc Telecom à Rabat . DR

Au moment où l'usage du digital explose, et où les besoins en infrastructures réseaux toujours plus fiables et performantes sont de plus en plus pressants, Maroc Telecom compte réduire considérablement ses investissements en 2020, en vue de maintenir le niveau de dividendes distribués.

Le 21/07/2020 à 16h03

Maroc Telecom prévoit un recul de 43,6% de ses investissements durant l’année 2020. L’opérateur historique invoque, dans sa communication officielle, «l’adaptation des investissements au contexte actuel», pour justifier cette baisse inédite des investissements.

On se souvient pourtant que l’opérateur avait annoncé, en grande pompe, dans un communiqué datant du 26 août 2019, la signature «de la sixième convention d'investissement de Maroc Telecom avec le gouvernement pour le développement des télécommunications dans le Royaume à travers la réalisation, sur les trois prochaines années (2019-2021), d'un programme d'investissement de 10 milliards de dirhams (MMDH)».

Cette annonce relevait d'un tour de passe-passe, car répartis sur trois ans, les 10 milliards deviennent 3, 3 milliards. Ce qui correspond au strict minimum que l’opérateur doit dépenser pour maintenir un niveau de service acceptable.

Avec la baisse de près de 43,6% que prévoit Maroc Telecom dans ses investissements en 2020, Maroc Telecom reconsidère de fait les termes de la convention qu’il a annoncé avoir signée avec le gouvernement. Il en reconsidère les termes tout seul, comme il l’avait rendue publique tout seul. C’est à croire que le gouvernement se compose de figurants que, Abdeslam Ahizoune, le sempiternel patron de Maroc Telecom, ne consulte pas pour les actions principales.

En renonçant à investir près de la moitié des 3 milliards de dirhams prévus, l’opérateur a en réalité arbitré en faveur de ses actionnaires plutôt que de répondre aux besoins grandissants de ses usagers en infrastructures. Dans sa récente communication officielle, Maroc Telecom affiche un bénéfice semestriel de 3 MMDH. Mieux encore, pour les résultats de 2019, le payout (ratio de distribution de dividendes) est de 178%, soit près de 2 fois le résultat net part du groupe!

Pour cette année 2020, l’opérateur coté à la Bourse de Casablanca ne devrait pas déroger à cette règle. Avec la baisse de moitié du budget des investissements, ce bénéfice atteindra probablement 6 MMDH. Ce qui placera le résultat net part du groupe au même niveau que les années précédentes.

En effet, il suffit de se plonger dans les états de synthèse et les bilans comptables de Maroc Telecom pour apprendre que l’opérateur historique –probablement le seul au monde– a toujours distribué ses résultats nets à ses actionnaires à hauteur de 100%, et ce, durant toute la période 2000-2018. (Il ne faut pas d’ailleurs s’attendre à ce que l'opérateur déroge à cette règle lors de la distribution des résultats de l’an 2020). Cet excès de générosité a rapporté aux actionnaires la somme astronomique de 100 milliards de dirhams, soit une moyenne de 6 milliards de dirhams par an.

La sanction de 3,3 milliards infligée, en février 2020, par l’ANRT à Maroc Telecom pour «concurrence déloyale» n’a visiblement rien changé aux pratiques de l’opérateur historique qui continue de freiner la croissance d’un secteur, supposé être l’infrastructure transversale sur laquelle repose le développement social et économique dans plusieurs domaines: éducation (on l’a bien compris avec l’enseignement à distance), santé, protection sociale, banque, inclusion financière et réduction de l’économie informelle…

Au lieu de se comporter en entreprise citoyenne créant un écosystème favorisant l’intensification de l’usage des nouvelles technologies, Maroc Telecom continue d’agir en cash machine pour ses actionnaires.

Par Khalil Ibrahimi
Le 21/07/2020 à 16h03