Le français LH Aviation soupçonné d’avoir escroqué l’homme d’affaires marocain Mohcine Karim-Bennani

En 2014, Mohcine Karim-Bennani signait la convention d'investissement de LH Aviation Maroc avec le DG de l'ONDA.

En 2014, Mohcine Karim-Bennani signait la convention d'investissement de LH Aviation Maroc avec le DG de l'ONDA. . DR

Après une longue bataille judiciaire entre LH aviation France et sa filiale marocaine dirigée par l’homme d’affaires Mohcine Karim-Bennani, ce dernier affirme que la justice lui a donné raison en ordonnant la mise en liquidation judiciaire de la maison mère le 18 avril dernier.

Le 02/07/2018 à 16h30

L’histoire commence en 2014 quand le patron de LH Aviation France aurait rapproché Mohcine Karim-Bennani afin de créer une filiale au Maroc. Objectif: produire le LH-10 Ellipse destiné au marché africain, à raison de 48 machines par an. Le LH-10 est présenté en 2014 au salon de l’aéronautique de Marrakech comme s’il pouvait être commercialisé en l’état. Bennani-Karim signe alors un protocole d’investissement qui prévoit des participations croisées entre les deux sociétés. LH-Aviation Maroc accaparant 10% des parts sociales dans la société française au nominal de 1 euro avec une prime d’émission de 19 euros, soit un prix supérieur au prix réel du titre. En contrepartie, LH France acquiert 51% des parts de LH-Aviation Maroc. Aussi, le savoir-faire français est-il évalué à 2,9 millions d’euros, soit 49% des parts de LH Maroc. Au total, l’industriel marocain a déboursé un peu plus de 4 millions d’euros.

Le 15 avril 2015, un contrat de vente de trois appareils a été signé entre les deux parties pour 2 millions d’euros, outre la cession de plusieurs moules à 700.000 euros l’unité. «Mais aucun avion opérationnel ne sera livré au Maroc conformément à la commande initiale et contractuelle. Seul un kit de pièces détachées a été reçu. A réception, un rapport de non-conformité a été adressé à la LH-France», rappelle Karim-Bennani. L’industriel marocain refuse ainsi d’honorer sa partie du contrat qui, à ses yeux, s’avère entaché de nombreuses irrégularités, omissions et approximations, comme le note le rapport d’expertise judiciaire effectuée par Bertrand Vilmer, président de la Compagnie nationale des experts de justice aéronautique, expert près la Cour d’appel de Paris.

L’investisseur marocain sera assigné dès lors devant le tribunal de commerce de Paris qui lui ordonne le 16 février 2018 de respecter ses engagements au titre du protocole du 21 février 2014 et, partant, de libérer le capital de LH Maroc. Outre la plainte au pénal pour escroquerie et abus de confiance le 6 juillet 2015 par la partie marocaine, une autre plainte est déposée en France au pénal auprès de la gendarmerie de Melun.

Après la publication de l’expertise judiciaire de Bertrand Vilmer, le 26 mars 2018, faisant état d’une escroquerie manifeste du point de vue des autorisations et certifications de l’appareil ainsi que sur les aspects commerciaux. D’après ce rapport d’expertise, l’étude du dossier permet de faire apparaître des clauses contractuelles non honorées (transfert à prix négocié du savoir-faire de fabrication, d’assemblage et de doctrine d’emploi, formation du personnel LH Maroc par LH Aviation, fabrication des moules et outillages indispensables…), des incohérences réglementaires incompatibles avec les engagements du vendeur, des annonces de performances techniques dans la documentation du vendeur paraissant fantaisistes tant l’écart entre les performances annoncées et les performances attendues (aux vues des principaux éléments d’entrée: poids puissance aérodynamique, etc.) est important. Aussi, on note l’absence de certificat de navigabilité (CDN) pour le LH-10 et de notice de montage frappant le Certificat de navigabilité Spécial Kit de nullité. «En gros, LH Aviation n’a pas les agréments pour vendre des avions. Elle ne peut donc vendre que des kits. De ce fait le LH-10 Ellipse n’a pu obtenir de la part des autorités (EASA, DGAC France) de certificat de navigabilité CDN pour ses productions. Ne disposant pas de manuel de montage, il ne peut être vendu en kit», souligne LH Aviation Maroc dans un communiqué.

Bennani dit avoir cru acheter des appareils aptes au vol aux fins de démonstrations commerciales. «En l’état actuel, selon la réglementation française, LH Aviation ne peut pas vendre cet appareil en kit. Plus généralement, LH Aviation ne peut vendre ni des avions en état de vol ni des kits», a conclu l’expertise. En plus de son irrégularité technique, LH Aviation France est mise en liquidation judiciaire. Ce point est déterminent pour convaincre le président de la cour d'appel de Paris d'une insolvabilité financière de LH France.

Dans son communiqué, LH Aviation Maroc revient sur les déboires financiers de son ex-partenaire avec des opérateurs asiatiques. Ainsi, on apprend qu’en 2016, LH Aviation avait besoin d’un prêt relais de 200.000 euros que lui consent un partenaire commercial. Ce prêt ne sera jamais remboursé. D’où le litige devant le tribunal de Melun et la saisie autorisée sur les comptes bancaires de LH Aviation France par le juge de l’exécution de 230.750 euros. En outre, la société Demian consulting de Singapour, chargée de missions commerciales sur le marché asiatique pour le compte de LH entre le 15 octobre 2015 et le 15 octobre 2016, devait être rémunérée à hauteur de 3.500 euros par mois. «Elle ne sera jamais payée alors qu’elle a favorisé la vente en Malaisie, à la société Mirai Inc., d’un avion LH-10 et deux drones pour 2 millions d’euros», note la même source. Or, LH a facturé en sus à cette société deux prestations aéronautiques en août 2016 pour un total de 227.296,30 euros, ajoute-t-on. La facture a été acquittée, mais les prestations n’ont jamais été réalisées, d’où le litige devant le tribunal de Melun.

Selon la filiale marocaine, le 26 mars dernier, le juge de l’exécution a autorisé la société Mirai Inc. à pratiquer toute mesure conservatoire sur les comptes bancaires de LH Aviation en garantie de sa créance. Ensuite, dans une deuxième ordonnance, le même jour, il a autorisé une saisie conservatoire sur les biens meubles de LH Aviation. Ces deux ordonnances du juge de l’exécution sont assorties d’un état des lieux de LH Aviation où il apparaît que la société de Melun-Villaroche est criblée de dettes (700.000 euros de créances sociales impayées, salariés non payés depuis des mois). Pis encore, aucune comptabilité n’est déposée par LH Aviation France depuis 2014, l’exercice clos au 31 décembre 2013 fait apparaître un résultat déficitaire de 3,51 millions d’euros pour un chiffre d’affaires de 56.896 euros.

Pour celui qui rêvait d’un avion 100% marocain, en l’occurrence Karim-Bennani, LH Aviation était dans l’obligation d’aller chercher un partenaire financier. Au lieu de bénéficier du savoir-faire requis pour cette technologie, Bennani se dit victime d’une «escroquerie internationale» orchestrée par le français LH Aviation.

Par Ayoub Khattabi
Le 02/07/2018 à 16h30