Interview. Pour le FMI, l'inflation importée au Maroc pourrait nécessiter l’intervention de Bank Al-Maghrib

Pierre-Olivier Gourinchas, directeur des études au FMI.

Pierre-Olivier Gourinchas, directeur des études au FMI. . Saïd Bouchrit / Le360 (capture image vidéo)

Le 26/06/2022 à 10h31

VidéoAprès le choc de la crise sanitaire, le Maroc, comme d'autres économies dans le monde, souffre désormais des effets du conflit russo-ukrainien. Quelle politique monétaire et budgétaire adopter face à la hausse du taux d’inflation et le recul de la croissance? Le point avec le directeur des études du FMI, Pierre-Olivier Gourinchas.

Le déclenchement du conflit en Ukraine a assombri les perspectives de l’économie mondiale, dès lors qu’il y eut un espoir d’un éventuel retour de la croissance suite à l’assouplissement des restrictions sanitaires. Dans cette conjoncture sans précédent, le Maroc ne fait pas exception, avec un niveau d’inflation inédit, à plus de 5% et une croissance à 1% dans les scénarios les plus optimistes.

Rencontré dans le contexte de sa visite au Maroc à l’occasion d’une conférence de haut niveau organisée par Bank Al-Maghrib en partenariat avec le fond monétaire international (FMI), les 23 et 24 juin 2022, à Rabat, sous le thème d'«une reprise transformationnelle: saisir les opportunités de la crise», le directeur des études du FMI, Pierre-Olivier Gourinchas assure que l’économie mondiale devrait se ralentir au cours de cette année, alors que l’inflation devrait rester à des niveaux élevés, entraînant un resserrement des politiques monétaires dans un grand nombre de pays.

Quant au risque d’une entrée en récession, le directeur des études du FMI se veut rassurant, mais appelle à la vigilance. S’il estime qu’il est encore tôt pour se pencher sur ce scénario, les effets du conflit russo-ukrainien pourraient continuer à peser lourd sur l’économie pendant les mois à venir. «Pour l’instant ce n’est pas notre scénario central, on parle de ralentissement, mais pas nécessairement d’une récession de l’économie mondiale, cependant il faut garder en tête un certain nombre de facteurs de risques», souligne-t-il.

«D’une part on pourrait avoir une escalade supplémentaire des sanctions et de la guerre en Ukraine, qui viendrait remettre sous tension les prix de l’énergie et des biens alimentaires, on peut également avoir une dynamique inflationniste plus persistante et plus élevée, qui demanderait un redressement encore plus fort et un resserrement encore plus important des politiques monétaires avec un effet négatif sur la croissance», explique Pierre-Olivier Gourinchas.

Inflation importée au Maroc? Oui, mais...Face au contexte économique inédit et malgré la montée de l’inflation, Bank Al-Maghrib a décidé de maintenir le taux directeur à 1,5%, selon le Wali de la banque centrale, puisque l’inflation au Maroc est importée et causée par des facteurs d'origine externe, non-maîtrisables, il est donc plus judicieux de soutenir la croissance afin d’accompagner l'économie une sortie de crise.

Interrogé sur la politique monétaire à adopter dans cette conjoncture, Pierre-Olivier Gourinchas a expliqué que même si le redressement de la politique monétaire entraînera un ralentissement de la croissance, il est nécessaire de resserrer la politique monétaire pour stabiliser les prix. «Cette stabilisation est importante parce qu’elle viendra aider la croissance par la suite: un environnement stable monétairement est un environnement propice à la croissance, la stabilité financière vient aussi aider le financement des comptes publics», précise-t-il.

En ce qui concerne plus spécifiquement le cas du Maroc et de l’inflation importée, le directeur des études du FMI apporte une nuance: «pour des pays émergeants qui voient au départ une partie de leur inflation lié à dépréciation de leur monnaie (ce n’est pas le cas du Maroc, Ndlr) ou bien à une hausse des prix des matières importés comme l’énergie et les biens alimentaires, on peut vouloir ne pas intervenir en pensant que ces facteurs ne sont pas maîtrisables et qu’il faudra attendre que la conjoncture se stabilise, sauf qu’on a observé dans un certain nombre de pays au cours des 12 derniers mois que cette dynamique d’inflation, qui commence avec les matières premières, se diffuse ensuite dans le reste de l’économie et devient une inflation beaucoup plus large, qui est élevée et qui nécessite l’intervention des banques pour la maîtriser».

Au-delà de la politique monétaire, Pierre Olivier Gourinchas estime qu’il est nécessaire pour les «pays qui peuvent se le permettre» d’adopter une politique budgétaire en faveur du soutien des pouvoir d’achat des ménages et du tissu industriel afin de booster la croissance.

«L’augmentation du prix de l’énergie impact en premier lieu les ménages aux revenus les plus modestes et ça se traduit par une perte de pouvoir d’achat et un appauvrissement de la population. C’est approprié dans ce cas que les gouvernements, à travers leur politique budgétaire, apportent leur soutien à ces catégories. Il existe aussi des situations où certaines industries peuvent se trouver en difficultés parce qu’elles dépendent d’un approvisionnement qui se retrouve renchéri. Comme on ne veut pas perdre nécessairement une partie du tissu industriel, il peut donc y avoir des mécanismes de soutien aussi du côté des entreprises. Ces mesures doivent cependant être bien ciblées et temporaires», souligne-t-il.

Par Safae Hadri et Said Bouchrit
Le 26/06/2022 à 10h31