Covid-19. Défaillances d’entreprises: le pire est à venir, et voici pourquoi

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Les défaillances d’entreprises au Maroc pourraient bondir de 25% d’ici la fin de l’année 2021. Aucun secteur ne sera épargné et un certain «darwinisme économique» devrait faire le tri entre les entreprises les plus faibles et celles capables de s'adapter. Analyse.

Le 10/08/2020 à 12h41

Même si les économies dans le monde sortent petit à petit des mesures de confinement suite à la pandémie de coronavirus, l'essentiel des défaillances d’entreprises est encore à venir, estime la société d'assurance-crédit française Euler Hermes dans sa dernière étude consacrée aux risques d’insolvabilité dans le monde, et au titre révélateur: «Le calme avant la tempête: la Covid-19 et la bombe à retardement de l'insolvabilité des entreprises».

Le Maroc ne sera pas épargné par la vague de faillites qui se profile. Selon le spécialiste mondial de l’assurance-crédit, les défaillances d’entreprises dans le Royaume pourraient bondir de 25% d’ici la fin de l’année 2021. Au total, ce sont plus de 20.000 entreprises qui pourraient mettre la clé sous la porte, selon les projections d’Euler Hermes. Rien que sur l’année 2020, 9.600 entreprises pourraient faire faillite au Maroc.

Au niveau mondial, l’hécatombe serait encore plus forte. Les défaillances d’entreprises tous pays confondus progresseraient de 35% entre 2019 et 2021, avec un pic attendu entre le dernier trimestre 2020 et le premier trimestre 2021.

Le caractère globalisé de l’économie mondiale est un facteur aggravant des défaillances d’entreprises, à cause de l’effet domino. «La configuration macro-économique actuelle, avec ses décroissances très significatives du PIB de quelques économies majeures, parfois à deux chiffres, notamment en Europe, place de fait l’économie mondiale dans un contexte très similaire à celui des conflits internationaux majeurs. Dans une telle logique, le risque systémique semble n’avoir jamais aussi bien porté son nom, la mondialisation structurelle de l’économie internationale engendrant un effet domino impactant, négativement, peu ou prou l’ensemble des pays de la planète», analyse Hicham Alaoui Bensaid, directeur général d’Euler Hermes Acmar, filiale marocaine du groupe Euler Hermes, sollicité par Le360.

Une crise qui n’épargnera aucun secteurAu vu de cette configuration, presque aucun secteur productif ne sera épargné par la vague de défaillances qui s’annonce. Pour notre expert, «en creusant davantage cette logique de risque systémique, influant défavorablement sur les budgets d’investissement des états et des entreprises, sur leurs dépenses de fonctionnement, ainsi que sur le pouvoir d’achat des ménages, il est possible de considérer un impact globalement négatif sur l’ensemble des secteurs, un état de fait auquel n’échappe malheureusement pas notre pays».

Bien plus, l’étendue de la crise économique chez les principaux partenaires commerciaux du Maroc est telle- notamment au sein de l’Union européenne, avec laquelle le Maroc réalise les deux tiers de ses échanges commerciaux- que les perspectives à l’export s’en ressentent mécaniquement.

«Les secteurs de l’offshoring et de l’outsourcing (automobile, aviation, textile…) devraient pâtir de l’apathie des économies européennes», anticipe H. Alaoui Bensaid. Les chiffres à fin juin des exportations abondent dans ce sens: le secteur de l’automobile, premier exportateur du Royaume, affiche une baisse de 40,3% à fin juin 2020, l’aéronautique enregistre un recul de 30,4%, et les exportations du secteur textile sont en baisse de 35,8%.

Les entreprises évoluant dans les activités hôtelières et para-hôtelières sont également parmi les plus menacées. 

«L’écrasante majorité des autres secteurs devrait souffrir du recul de nos dépenses gouvernementales, mais également de la contraction prévisible de la consommation des ménages, qui demeure le principal soutien à la croissance économique au Maroc, sans oublier la très importante variable d’ajustement que constituent les rapatriements de devises de la part des Marocains du monde, qui devrait également évoluer négativement», avance notre interlocuteur.

Des motifs d’espérer?Dans ce marasme généralisé, y’a-t-il des raisons d’espérer des jours meilleurs? Tout dépendra de la vigueur de la relance en 2021, que ce soit au Maroc ou chez ses principaux partenaires commerciaux.

«Nos principaux partenaires de l’Union européenne devraient enregistrer, en 2021, des rebonds équivalents à la décélération soufferte en 2021, ce qui devrait naturellement ouvrir des perspectives concrètes de reprise pour nos exportations», argumente le directeur général d’Euler Hermes Acmar.

Au niveau local, une fois digéré le choc de la crise économique de 2020, la consommation des ménages, l’investissement étatique et la dépense gouvernementale devraient rebondir en 2021, permettant là encore de rattraper une partie du retard actuel, «sous réserve, bien entendu, d’une éventuelle seconde vague durable de confinement et de perturbation majeure de l’économie mondiale».

Hicham Alaoui Bensaid estime enfin que toute crise, aussi importante soit-elle, notamment en termes d’impacts sociaux, porte également des motifs d’espoirs, selon le modèle de la «destruction créatrice» chère à Joseph Schumpeter (économiste autrichien du début du XXe siècle). Ce modèle se manifeste aussi bien à travers l’émergence de secteurs palliatifs (digital, e-commerce, équipements de protection sanitaire…) que le renforcement de la résilience d’autres secteurs, dont les entreprises les plus fragiles devraient disparaître.

Ce darwinisme économique permet, chemin faisant, «la résolution, partielle, de problématiques structurelles de saturation et de surcapacités».

«Ceci dit», conclut notre expert, «la conjoncture actuelle a ceci d’exceptionnel qu’elle est quasiment inédite en temps de paix, ce qui ouvre le champ aux conjectures et aux anticipations, mais ne garantit nullement leur concrétisation effective. Ayons, a minima, l’humilité de le reconnaître…»

Par Amine El Kadiri
Le 10/08/2020 à 12h41