Coronavirus: l’économie va mal, croisons les doigts

Lors d'une précédente réunion du Comité de veille économique.

Lors d'une précédente réunion du Comité de veille économique. . DR

Tout comme celle de bien d'autres pays du monde, l’économie marocaine s’apprête à traverser une crise sans précédent. Celle-ci ne fait que commencer, et personne ne peut prédire quand elle va se terminer. L’incertitude, totale, est à la fois d'ordre sanitaire et économique. Analyse.

Le 25/03/2020 à 10h56

Toutes les prévisions restent discutables, voire révisables. Le conseil de Bank Al-Maghrib n’exclut pas de se réunir bien avant son prochain rendez-vous trimestriel, prévu en juin, pour refaire sa lecture et prendre de nouvelles mesures, quitte à réduire davantage son taux directeur. Le gouvernement, lui, enchaîne les réunions et tente de trouver des solutions pour venir en aide au plus vite à des centaines de milliers de Marocains, qui se retrouvent aujourd’hui en situation d’arrêt de travail (voire sous le coup d'un licenciement) à cause des mesures prises dans le cadre de la proclamation de l’état d’urgence sanitaire qu'impose la propagation du coronavirus sur le territoire national. 

Il ne s'agit pas ici de discuter de la pertinence des décisions prises en matière de santé publique par le gouvernement. Il s’agit surtout de tirer la sonnette d’alarme sur l’état des lieux de l'activité économique, et nul besoin de s'être vu décerner un prix Nobel d’économie pour le constater. Même si la Bourse de Casablanca ne reflète que très peu les fondamentaux de l’économie réelle, cette place financière a vu ses indices considérablement s’effondrer ces dernières semaines, au point d’inciter le régulateur à revoir le seuil de sa variation maximale pour freiner cette chute.

La suspension du trafic aérien, suivie de celle des voyageurs entre les villes, a bloqué l'activité touristique, un secteur qui génère, à lui seul, 500.000 emplois structurés, voire plus que le quadruple de ce nombre dans les circuits informel. Hôtellerie, restauration, agences de voyage, transports touristiques, etc., la liste des activités actuellement très affaiblies par l’absence de touristes au Maroc est très longue.

Selon une estimation du président du Confédération Nationale du Tourisme, Abdellatif Kabbaj, si l'Etat n'agit pas avec célérité, et que cette situation de blocage de l'activité touristique se prolonge, les pertes enregistrées par l'ensemble de la chaîne de valeur du tourisme devraient atteindre 34 milliards de dirhams en 2020, dont 15 milliards de dirhams à supporter par la seule activité de l’hôtellerie.

Mais en réalité, ce sont les employés qui paient les frais de cette crise. Un palace prestigieux à Casablanca, le Hyatt pour ne pas le citer, vient de procéder au licenciement de l'ensemble de ses salariés intérimaires, y compris ceux ayant ce statut dans cet établissment depuis plus de 10 ans. Un autre palace de Marrakech, fraîchement ouvert, a dû "se passer des services" de la moitié de ses effectifs, et réduire de moitié les salaires des 120 emplois qu'il a préservés. Quand on sait que Marrakech ne vit qu’au rythme de l'activité touristique, et que dans cette cité, première destination touristique au Maroc, 300.000 emplois concernent directement ou indirectement cette activité, il est extrêmement malaisé d'imaginer comment, dans cette conjoncture particulièrement difficile, le tourisme peut continuer à créer de la valeur ajoutée dans cette ville touristique, et donc continuer d'être une source de revenus pour des centaines de milliers de familles. 

Autre indice reflétant la gravité de la situation économique: ce témoignage, qui vient de la directrice d’une agence bancaire de Casablanca. «Plus de la moitié de mes clients ont demandé de reporter les échéances de {leur} crédit immobilier et/ou de consommation», nous a-t-elle affirmé.

Quant aux différents réseaux des stations-service du Maroc, qui alimentent en carburant l’ensemble des secteurs économiques, celles-ci ont vu leurs recettes s’effondrer de plus de 80% depuis la proclamation de l'état d'urgence sanitaire au Maroc, selon une estimation émanant de leur fédération professionnelle.

L'activité au port de Casablanca, dont l'autorité portuaire a brusquement décidé d'annuler un reportage vidéo qui lui avait préalablement été annoncé par Le360, doit, elle aussi, souffrir d’un ralentissement du rythme des exportations à destination des pays de l’Union Européenne, premier partenaire économique du royaume, et dont les populations se trouvent actuellement en confinement. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l'Administration des douanes et impôts indirects (ADII) a adressé, lundi 23 mars, un courrier aux concessionnaires afin de les enjoindre à réduire au strict minimum leurs importations de véhicules, histoire d’alléger la pression qui commence à peser sur la balance des paiements. 

Hormis quelques rares activités (industrie agroalimentaire, grande distribution, industrie pharmaceutique, etc.), la crise économique due à la propagation du coronavirus sur le territoiore national est quasi-générale au Maroc, et n’épargne aucun secteur d'activité, y compris celui des médias. Touchée de plein fouet, la presse papier a tout bonnement disparu des kiosques depuis le week-end dernier. Cette mesure, décidée par le gouvernement, est motivée par l’effet des craintes de propagation du coronavirus, mais aussi à cause des annulations en cascade de campagnes publicitaires, qui constituent la principale source de revenus des médias au Maroc, tous supports confondus.

Une question s’impose dans cette conjoncture particulièrement inédite dans le royaume, sans vouloir remettre en cause la pertinence de la mesure de confinement, unique moyen, jusqu'à présent, pour enrayer la propagation de la maladie. Jusqu’où pourra-t-on supporter ce ralentissement de l’économie? Si le confinement venait à durer plusieurs mois (et certains scientifiques ne prédisent un retour à la normale qu'au mois de septembre prochain), les ressources du Fonds spécial seront-elles suffisantes pour continuer à indemniser les travailleurs actuellement sans emploi, qu'ils soient formellement déclarés auprès de la CNSS, ou non?

En tenant compte de la perte de recettes publiques (report des échéances fiscales, etc.), et des dépenses publiques supplémentaires (notamment pour mobiliser les 10 milliards de dirhams destinés au Fonds spécial pour la gestion du coronavirus), le gouvernement se retrouvera dans l’obligation de réviser ses prévisions de déficit annuel. Entre coupes budgétaires et crédits supplémentaires, l’exécutif n’a pas vraiment l’embarras du choix. Comme l’a d'ailleurs déclaré Saâd Eddine El Othmani voici quelques jours lors d’un entretien télévisé, une loi de finances rectificative n’est pas exclue. Mais à quoi cette loi va-t-elle ressembler? Quels en seront les arbitrages? Un fait demeure certain: quelle que soit la nature de ces arbitrages, ceux-ci risquent d’être douloureux.

Par Wadie El Mouden
Le 25/03/2020 à 10h56