CGEM: voici comment le parti de l’Istiqlal a été instrumentalisé pour attaquer Mezouar

De g à d: Hakim Marrakchi (Ex-candidat à la présidence de la CGEM), Nizar Baraka (SG du parti de l'istiqlal) et Hassan Sentissi (président de l'Asmex)

De g à d: Hakim Marrakchi (Ex-candidat à la présidence de la CGEM), Nizar Baraka (SG du parti de l'istiqlal) et Hassan Sentissi (président de l'Asmex) . Le360

Souvent (maladroitement) accusé de vouloir fomenter une OPA du RNI, son parti, sur la CGEM, Salaheddine Mezouar vient de faire l’objet d’une attaque très virulente de la part de quelques chefs d’entreprises comptant parmi les rangs du parti de l’Istiqlal. Explications.

Le 27/07/2019 à 12h45

Elu avec plus de 80% des voix lors du scrutin de mai 2018, Salaheddine Mezouar est pourtant loin, aujourd’hui, de faire l’unanimité au sein de la CGEM. Visiblement déçu des départs successifs de son vice-président, Ahmed Rahhou, du président de la commission «Financement & délais de paiement», Hammad Kassal, et, tout récemment, de son binôme Fayçal Mekouar, le patron des patrons dit s’attendre à une nouvelle vague de démissions. «Je sais qu’il y a des réunions qui se font ici et là. J’ai des informations qui m’arrivent sur ça», a-t-il lancé devant les médias, le jeudi 18 juillet dernier, quelques heures après l’annonce du départ de son colistier, et non moins «ami», Fayçal Mekouar.

Les détracteurs de Mezouar font actuellement feu de tout bois pour l’affaiblir. Ils sont à l’affût du moindre geste émanant de ses proches collaborateurs. Le traitement réservé aux propos du président de la commission «Diplomatie économique, Afrique et Sud-Sud», Laâziz Kadiri, au sujet de la Zone de libre-échange continentale (Zleca) en dit long sur l’animosité que certains, au sein même de la confédération patronale, nourrissent à l’endroit de sa nouvelle équipe dirigeante.

Au lendemain du sommet de Niamey, tenu du 4 au 8 juillet 2019, et consacré à la mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale (Zleca), Le360 a voulu recueillir le ressenti des chefs d’entreprises. Le choix s’est tout naturellement porté vers le président de la commission «Afrique et Sud-Sud» à la CGEM. «La Zleca est une aubaine pour le secteur privé… La Zleca doit être saisie comme une opportunité…», a ainsi réagi, à chaud, son président, Mohamed Laâziz Kadiri.

Interrogé sur les résultats de l’étude menée par le cabinet Mazars, qui a sondé les attentes de plusieurs fédérations sectorielles (enquête mandatée par le ministère de l'Industrie et du Commerce), Laâziz Kadiri a dit n’avoir reçu aucun feedback à ce sujet, et a saisi cette occasion du micro qui lui a été tendu pour appeler à une forte implication des entreprises dans les négociations sur les listes des produits qui seront couverts par l’accord de la ZLECA.

«Pour le patronat marocain, la ZLECA doit absolument protéger les intérêts des entreprises marocaines, y compris celles qui se sont développées en Afrique (soit hors du Maroc) durant les quinze dernières années», peut-on ainsi lire dans un article publié sur Le360.

Il convient donc de noter ici que Laâziz Kadiri ne s’est, à aucun moment, prononcé contre la Zleca. Mais cela n’a pas empêché les détracteurs de la nouvelle équipe dirigeante de voir dans ses propos l’occasion de faire glisser la fronde anti-Mezouar vers le terrain politique.

Pour la première fois dans l’histoire, le quotidien du parti de l’Istiqlal, L’Opinion, s’en est violemment pris à la CGEM et à son président, en lui réservant un article peu élogieux, intitulé «Démissions en série au patronat, ou comment le problème Mezouar risque de tuer la CGEM».

«Ses actes [de Salaheddine Mezouar, Ndlr] renvoient à une certaine forme de capitalisme qui ne correspond pas à toutes les formes de capitalismes fédérés à la CGEM. C'est un capitaliste d'Etat qui, au fil du temps, a démontré qu'il ne représente pas les capitalismes de l'organisation patronale d'aujourd'hui», peut-on ainsi lire dans cet article de L’Opinion, lequel cite Hakim Marrakchi, ex-candidat malheureux à la présidentielle de la CGEM lors du scrutin de mai 2018.

Prétextant vouloir illustrer son «constat», Hakim Marrakchi, qui ne cache plus son appartenance à ce parti aujourd’hui dans l’opposition, ainsi qu’au cercle très fermé des économistes istiqlaliens, révèle le contenu d’une lettre envoyée par l'Association marocaine des exportateurs (Asmex) au chef du gouvernement, Saâd-Eddine El Othmani. Objet de ce courrier: contester «les réserves que le patronat aurait émises sur l'accord de libre-échange africain», allusion faite au titre de l’article publié par Le360, qui avait rapporté les propos de Laâziz Kadiri.

Pour Hakim Marrakchi, «la lettre de l'Asmex, bien que tenue secrète, signifie que certains membres de la CGEM ne s'y retrouvent plus». L’article de L’Opinion omet toutefois de préciser que cette fameuse «lettre secrète» a été signée par le président de l’Asmex, Hassan Sentissi, par ailleurs membre du comité exécutif du parti de l’Istiqlal.

Jamais deux sans trois. Cet article, délibérément à charge, publié sur l’organe officiel de l’Istiqlal, fait également appel pour «étayer son propos», à un autre chef d’entreprise istiqlalien, en l’occurrence Abdelkader Boukhriss -quitte à ce que ce dernier exprime un avis totalement incohérent avec son propre statut au sein du patronat. «La CGEM est une institution qui vit au rythme de l'équipe dirigeante. Quand un nouveau président arrive, il arrive avec de nouveaux visages désignés, qui ne sont pas forcément acceptés par tous les anciens», affirme ainsi celui qui a été l’ancien président de la commission fiscalité. En effet, si Abdelkader Boukhriss était un membre éminent de l’équipe de l’ex-patronne des patrons, Miriem Bensalah-Chaqroun, il fait aujourd’hui partie de l’équipe Mezouar en sa qualité de président de la commission «Climat des affaires».

La sortie médiatique de ces trois istiqlaliens, figurant parmi les patrons les plus impliqués dans les affaires de la CGEM, est pour le moins surprenante. «Cette attaque a mûrement été réfléchie, il s’agit d’une commande politique», commente ainsi le journal électronique LeDesk, qui cite des sources anonymes dans les rangs du parti de l’Istiqlal.

«Le coup a été savamment orchestré. Ils ont profité du départ du numéro 2 de la CGEM pour faire croire à qui de droit que la méthode Mezouar ne plaît pas au parti de l’Istiqlal qui le fait savoir à travers son organe officiel», commente également ce membre du conseil d’administration de la CGEM. Ce dernier, contacté par Le360, confie que Salaheddine Mezouar s’est entretenu avec le secrétaire général du parti de l’Istiqlal, Nizar Baraka, qui l'aurait assuré de son total soutien, comme ce fut d’ailleurs le cas lors des élections de mai 2018 (la consigne de vote istiqlal était en faveur du binôme Mezouar-Mekouar). Autrement dit, et en clair, les propos du trio Marrakchi-Sentissi-Boukhris ne reflètent aucunement la position officielle du parti de l’Istiqlal.

S’agissant de la position de la CGEM à l’égard de la Zleca, lors de son point de presse du 18 juillet dernier, Mezouar a coupé court aux rumeurs propagées à ce sujet et a clarifié la position du patronat: «j’ai entendu des choses hallucinantes, comme le fait que le ministre des Affaires étrangères serait mécontent. Soyons sérieux. L’accord sur la Zleca est à l’avantage du secteur privé marocain, lequel n’a cessé de revendiquer les possibilités de pouvoir commercer dans de meilleures conditions. On ne peut être contre un principe déjà arrêté. La CGEM s’est déjà prononcé en faveur de la Zleca». Voilà qui a le mérite d’être limpide, et qui écarte tout éventuel doute sur l’adhésion et l’implication du secteur privé marocain dans des négociations pour cet accord de libre-échange intercontinental, lesquelles doivent débuter en septembre prochain, en vue de déterminer, cette fois-ci, la liste des produits qui seront libéralisés dans le cadre de l’accord de la Zleca.

Par Wadie El Mouden
Le 27/07/2019 à 12h45