Affaire Silver Food: banni au Pentagone, Talem Food perd son procès contre Anouar Invest

El Hachmi Boutgueray, PDG du groupe Anouar Invest

El Hachmi Boutgueray, PDG du groupe Anouar Invest . DR

La Cour d’Appel près le tribunal de Commerce de Casablanca a débouté le 21 novembre dernier la société émiratie Talem Food dans le litige qui l'oppose au groupe Anouar Invest. Un nouveau coup dur pour la société émiratie, dont l'actionnaire principal a été convaincu de fraude aux Etats-Unis.

Le 04/12/2019 à 11h41

Anouar Invest, présidé par El Hachmi Boutgueray, a donc obtenu gain de cause dans le litige qui l’oppose à la société émiratie Talem Food.

Celle-ci avait racheté, en 2015, le groupe Silver Food, actif dans le secteur de la conserverie de poisson et entre autres connu pour ses célèbres marques de thon en boîte Mario ou encore Atlanta.

Dans l'arrêt rendu le 21 novembre 2019, la Cour d’appel près le tribunal de Commerce de Casablanca a déclaré "irrecevable" la requête formulée par Talem Food. 

La société émiratie reproche au groupe Anouar Invest de lui avoir cédé Silver Food sur la base d’une valorisation «délibérément biaisée». Le premier round de cette bataille judiciaire s'était joué en France, à la fin du mois de janvier 2019, à l’issue duquel la Cour d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale de Paris avait rendu une première sentence arbitrale condamnant le groupe marocain à payer la somme de 181 millions de dirhams de dommages et intérêts au plaignant. 

Pour pouvoir exécuter sur le territoire marocain la sentence arbitrale prononcée en France, Talem Food avait donc par la suite entamé une procédure d’exequatur, qui, si elle avait été jugée en sa faveur en première instance, avait pourtant été annulée en appel.

Assisté par Me Abdallah Darmich, ex-bâtonnier de l’Ordre des avocats du barreau de Casablanca, le groupe Anouar Invest a estimé que cette sentence ne respectait pas le droit marocain vers lequel les deux parties devraient s’orienter conformément à la clause d’arbitrage.

Filiale du groupe Supreme, Talem Food se présente en tant que firme multinationale, dont le siège est basé à Dubaï (aux Émirats Arabes Unis). Son président fondateur, Steve Orenstein, de nationalité allemande, détient des participations majoritaires dans d’autres sociétés, notamment Supreme Foodservice GmbH (basée en Suisse) et Supreme Foodservice FZE (basée aux Emirats Arabes Unis), qui comptaient parmi leurs clients le Pentagone, le département de la Défense américain.

Ces deux entreprises ont perdu beaucoup de leur crédibilité depuis leur condamnation à deux reprises, courant 2014, par la justice américaine, en lien avec un marché de fourniture de nourriture, d’eau et de carburant au profit des troupes américaines qui étaient présentes en Afghanistan.

Accusées de fraude caractérisée pour avoir encaissé des factures fictives, Supreme Foodservice GmbH et Supreme Foodservice FZE (toutes deux, rappelons-le, filiales du groupe Extreme présidé par le même Steve Orenstein) se sont vu infliger deux amendes, la première s’élevant à 3,9 milliards de dirhams, la seconde culminant à 8,8 milliards de dirhams.

Elles ont été ensuite classées sur la liste noire du Pentagone. L'affaire a, du reste, très largement été relayée par les médias américains.

Ci-dessous, un extrait d'un article publié par The Wall Street Journal, à ce sujet. 

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Constatant que sa réputation était désormais lourdement entachée sur le sol américain, le fondateur de Supreme a eu l’ingénieuse idée de créer une nouvelle société, en l’occurrence Talem Food, et a décidé d’allouer une partie de son capital à l’investissement et au développement dans l’industrie alimentaire en Afrique. Un changement de cap majeur, à travers lequel Steve Orenstein a voulu s’offrir une nouvelle vie et surtout compenser les pertes liées aux amendes colossales imposées par la justice américaine.

Mais tant Talem Food que les deux autres entités condamnées aux Etats-Unis ont un dénominateur commun: elles appartiennent toutes à une seule et même personne. A la différence près que Talem Food n’aurait jamais pu voir le jour s’il n'y avait pas eu la radiation des deux autres filiales de Supreme de la liste des fournisseurs habilités à exercer une activité «agro-alimentaire» sur le marché américain.

Talem Food, qui vient donc d’être déboutée par le tribunal de commerce de Casablanca, avait signé en juillet 2015 une Convention avec le groupe Anouar Invest portant sur la cession de la totalité du capital de Silver Food et des filiales Silver Fishing et Sopcoda. Sachant que ces trois sociétés, qui composaient le pôle halieutique du groupe marocain, n'avaient, à aucun moment, été proposées à la vente. Le montant du deal s’élève à 474 millions de dirhams.

La convention de cession a fixé les obligations réciproques à respecter par les deux parties. «Nous avons respecté nos engagements et avons toujours veillé à exécuter de bonne foi les obligations découlant de cette convention», assure-t-on du côté du groupe Anouar Invest.

S’agissant de la nature du contentieux opposant les deux parties, une source proche du dossier confirme qu’il s’agit d’un différend purement commercial autour des comptes de Silver Food. «Ces comptes ont été audités et examinés de manière méticuleuse, durant trois mois, par une équipe composée d’une trentaine d’experts issus de cabinets classés parmi les cinq premiers au monde. D’ailleurs, ces cabinets d’audit ont été choisis par Talem Food et ont pu accomplir la mission qui leur a été confiée bien avant la conclusion de la convention de cession», est-il précisé.

Morale de l’histoire, la cession du pôle halieutique du groupe Anouar Invest s’est concrétisée suite à une demande insistante formulée par l’acquéreur, Talem Food. Celui-ci, au lendemain de la formalisation de la transaction, «n’a fait qu’inventer des raisons à la fois erronées et infondées, dans l’espoir de pouvoir réclamer une indemnisation pour un dommage tout aussi inexistant, avec comme trame de fond l’idée de s’accaparer la totalité du capital de Silver Food à un prix dérisoire», ajoute notre source. «Ce comportement n’est pas étranger à cette firme qui tente de délocaliser ses pratiques de fraude commerciale, avec l’appui des mêmes organes de gestion que ceux des sociétés déjà chassées par le Pentagone», conclut notre interlocuteur.

Par Wadie El Mouden
Le 04/12/2019 à 11h41