Vidéos. Exposition évènement: Melehi, comme vous ne l’avez jamais vu

Le360

Le 12/10/2019 à 09h08

VidéoL’exposition «New waves: Mohamed Melehi et les archives de “l’Ecole de Casa“», organisée par la fondation Alliances au MACAAL à Marrakech, définit les repères de l’éblouissante carrière de l’artiste peintre Melehi. Unanimement saluée à Londres, cette exposition doit absolument être visitée.

C’est une exposition qui fait date. Sans doute l’une des plus belles expositions consacrées à un artiste plasticien marocain. Il convient de s’y rendre pour le constater. Car tout y est: densité d’une carrière, choix des œuvres, archives, scénographie et surtout l’un des esprits les plus curieux et les plus protéiformes, un touche-à-tout (au bon sens de l’expression), dont le parcours est indissociable de l’histoire de la peinture moderne au Maroc: Mohamed Melehi.

L’exposition s’ouvre avec des œuvres des années 50. Des collages à la modernité criante et qui n’ont pas pris une seule ride, plus de 60 ans plus tard. Le commissaire de l’exposition, Morad Montazami, a fait le choix de montrer dans cette première salle des œuvres qui ont été exposées dans la galerie Trastevere, une institution à Rome, fondée par la visionnaire Topazia Alliata. L’enseigne de cette galerie est reproduite à l’échelle. Ce qui plonge les visiteurs dans les années italiennes de Mohamed Melehi et leur permet de comprendre jusqu’à quel point cet artiste a été international, et combien il s’est nourri des avant-gardes occidentales.

Entretien avec Morad Montazami, commissaire de l'exposition

D’ailleurs, l’Italie n’est pas le seul pays occidental qui a nourri l’artiste. Entre 1962 et 1964, Mohamed Melehi vit et travaille à New York. Il y développe un style personnel, fondé sur une abstraction géométrique, très ouverte sur la figuration, et qui s’inspire de formes faisant partie de l’environnement immédiat de l’artiste, comme la ligne sinueuse qui évoque une vague. L’artiste est né en 1936 à Assilah, une ville océanique. La mer revêt en effet une importance déterminante dans le monde de représentations de l’artiste.

En 1963, Melehi participe à l’exposition «Hard edge and Geometric painting» dans le très prestigieux musée d’art moderne de New York. Aux Etats-Unis, Melehi enseigne aussi les arts plastiques à l’institut des arts de Minneapolis. Il peint une grande fresque dans la cafétéria de cet institut. Que l’on se représente un peu le coup de force: un jeune artiste peintre marocain réalise une œuvre dans un espace très fréquenté de l’une des plus prestigieuses écoles d’art aux Etats-Unis.

En 1964, Melehi rentre au Maroc et intègre l’école des Beaux-Arts de Casablanca que dirigeait alors Farid Belkahia. Il y enseigne plusieurs disciplines: la peinture, la sculpture, le collage, la photographie et le graphisme. Melehi fait entrer dans cette école sa compagne de l’époque, l’historienne de l’art Toni Maraini, ainsi que l’anthropologue Bert Flint, grand collectionneur de tapis marocains. Avec l’artiste peintre Mohamed Chabâa, féru d’intégration d’œuvres d’art dans les architectures et faisant grand cas de l’enseignement dispensé dans l’école du Bauhaus, le quatuor forme une ossature qui donnera une réalité à l’école des Beaux-Arts de Casablanca. Le commissaire de l’exposition a montré jusqu’à quel point l’apport de Mohamed Melehi a été décisif à l’école des Beaux-Arts de Casablanca. Les années les plus riches de cette école, ce que Morad Montazami appelle «l’âge d’or», ont été celles où cet artiste a officié en tant qu’enseignant et où il a fait inviter nombre d’artistes et intellectuels étrangers.

Entretien avec l'artiste peintre Mohamed Melehi

Melehi expose en 1965 à la galerie Bab Rouah. La modernité de ses œuvres fait réagir certains critiques qui l’accusent de réaliser des tableaux inféodés à l’Occident et sans ancrage avec la culture marocaine. Avec cette subtilité qui lui est familière, Melehi réagit aux critiques en accrochant un tapis berbère à côté de ses peintures. Ce tapis ne fait pas tache à la galerie Bab Rouah. Il ne jure pas avec les autres peintures exposées. Bien au contraire, il était difficile de ne pas admettre la parfaite identité entre des tableaux, supposés être importés de l’Occident, et ce tapis, enraciné dans les traditions marocaines.

L’exposition «New waves: Mohamed Melehi et les archives de "l’Ecole de Casa"» fait une part belle aux autres activités de l’artiste. Melehi le graphiste qui a conçu plusieurs couvertures de revues qui comptent dans l’histoire des idées au Maroc, à l’instar de Souffles et d’Intégral. Fondateur de la maison d’éditions Shoof en 1974 qui a édité la première monographie sur Ahmed Cherkaoui. En 1969, il prend part avec ses compagnons Farid Belkahia, Mohamed Chabâa, Romain Ataallah, Mustapha Hafid et Mohamed Hamidi à l’exposition-manifeste «Présence plastique» à la place Jemaâ El Fna à Marrakech. Encore une fois, Melehi est à la manœuvre et c’est son épouse, Toni Maraini, qui écrit le tract distribué au nom des cinq artistes aux passants. Dans ce tract, on lit: «Nous avons accroché nos travaux dans cette place. Nous avons voulu rejoindre le public populaire là où il se trouve, disponible et décontracté, et nous lui avons proposé cette manifestation vivante: des tableaux exposés à l’air libre, dans une place publique. Des travaux en dehors des cercles fermés des galeries, des salons, dans lesquels ce public n’est d’ailleurs jamais rentré. Des travaux qui subissent les mêmes variations atmosphériques que les gens, les murs, la place entière».

Entretien avec Meriem Berrada, Directrice artistique du MACAAL

Et ce n’est pas tout. Melehi, c’est aussi les peintures murales qui ornent les maisons d’Assilah et qui ont contribué à la renommée du Moussem, une manifestation artistique et intellectuelle que l’artiste a cofondée avec son autre compagnon de route, Mohamed Benaissa.

L’intérêt de cette exposition, organisée par la fondation Alliances au musée d’art contemporain africain Al Maaden (MACAAL), c’est qu’elle permet de voir outre la carrière époustouflante de l’artiste peintre, un designer, un photographe, un pédagogue, un graphiste, un urbaniste, l’un des premiers militants pour l’intégration de l’art dans des espaces publics.

Le commissaire de l’exposition exprime ce vœu: «j’espère que cette exposition donne le sentiment qu’on connaît mal Melehi et qu’on le redécouvre». Même les personnes qui pensaient bien connaître Melehi, vont découvrir les pièces d’un puzzle complexe qui fait la force et la renommée de l’un des plus grands artistes plasticiens du continent.

New waves: Mohamed Melehi et les archives de “l’Ecole de Casa“

Exposition au MACAAL, Marrakech

Jusqu’au 5 janvier 2020. 

Par Aziz Bada
Le 12/10/2019 à 09h08