Son premier spectacle au Maroc, le face-à-face avec Éric Zemmour, de futurs projets… Les révélations de Yassine Belattar

Yassine Belattar a présenté son one-man-show «En Marge» pour la première fois au Maroc, à Casablanca et à Rabat, les 27 et 29 septembre 2022.

Yassine Belattar a présenté son one-man-show «En Marge» pour la première fois au Maroc, à Casablanca et à Rabat, les 27 et 29 septembre 2022. . Khalil Essalak / Le360 (capture image vidéo)

Le 02/10/2022 à 15h48

VidéoHumoriste franco-Marocain, Yassine Belattar s’est produit cette semaine pour la première fois au Maroc. Un one man show hilarant, «En marge», qui a d’ailleurs obtenu la meilleure note à un spectacle d’humour par un jury de critiques français. Rencontre avec un artiste engagé, dont faire rire est le métier.

Yassine Belattar est allé cette semaine pour la première fois à la rencontre de son public au Maroc, à Casablanca et à Rabat les 27 et 29 septembre derniers, avec son one-man-show En marge, où il interroge son rapport à son africanité et à la mort.

Dans En Marge, tout y passe, avec le parcours de Yassine Belattar en fil conducteur. Yassine l’inclassable, qui refuse qu’on le fasse entrer dans une case ou que l’on prenne des décisions à sa place. L’artiste raconte tout au public venu le voir avec humour, et parfois beaucoup d’émotion. Corrosif, drôle et généreux, il ne se lasse pas de raconter ses déboires, dressant une galerie de portraits désopilants de ceux qui occupent le haut du pavé médiatico-politique qu’il décrit sans faire de concessions.

L’humoriste franco-marocain décrit, dans cette interview pour Le360, cette première prestation au Maroc, parle de ses futurs projets, et revient aussi sur son face-à-face avec Eric Zemmour.

Parlez-nous de votre premier spectacle au Maroc...C'est très particulier pour moi de jouer pour la première fois au Maroc et encore plus dans ce contexte-là (répercussions de la pandémie, inflation…). J’ai tout simplement craqué au vu de la qualité de la salle, du public et de l’accueil qui m’a été réservé.

Et si j'avais des doutes sur ma marocanité, cela s’est vite réglé ce jour-là… Si vous n’êtes pas MRE, vous ne savez pas ce que nous vivons. C'est le Roi du Maroc qui nous a récemment donné un statut grâce à son discours du 30 juillet à l'occasion de la Fête du Trône.

Le Roi a clairement expliqué que les MRE avaient, eux aussi, un rôle à jouer dans la société marocaine. Mais pendant très longtemps, auparavant, on existait, sans exister. Il y a notamment ce déchirement émotionnel que nous vivons tous les étés: celui de venir en vacances, de profiter de manière très courte, mais très intense, de sa famille et, d’un coup, de retourner en France.

Un déchirement que nous vivons de moins en moins, notamment grâce aux vols réguliers entre le Maroc et la France. A l'époque, on venait une fois par an en voiture, pour la plupart d'entre nous. On venait dans des maisons qui étaient a priori vides toute l'année, et pendant deux mois, c'était très rempli… C’est beaucoup d'émotions. 

Et j’en parle encore avec émotions, parce qu’hier (le mardi 27 septembre 2022, Ndlr), beaucoup de MRE ont été présents lors de mon spectacle.

Avec ce retour, prévoyez-vous de vous installer au Maroc?Je suis père de famille. J'ai trois enfants installés en France et ils vivent avec moi. Et a priori, je ne vais pas quitter mes enfants. Quitter définitivement la France pour moi, ce serait comme si je quittais mes enfants.

J'aime beaucoup le Maroc. Je prévois donc des activités économiques ici, lesquelles sont assez conséquentes.

En parlant d’engagement économique, je vais sûrement être plus présent ici, mais aussi dans d’autres pays africains. Je dis souvent que je suis afro-européen et cela implique aussi que je sois ici pour développer des activités économiques. Et au vu de la situation entre la France et l'Afrique, j’estime qu'il est important d’investir ici.

Je pense que si l’on entreprend des projets d'envergure, cela va indubitablement créer de l'emploi et de la valeur ajoutée. Mais, il faut aussi, en parallèle, faire preuve d’humilité et de modestie. Cela fait cinq jours que je suis au Maroc, et j’ai déjà rencontré des entrepreneurs et des patrons qui n'ont rien à envier, ou même plutôt le contraire, à des patrons du CAC 40.

Comment vous situeriez-vous par rapport à d’autres artistes comme Gad Elmaleh et Jamel Debbouze?Nous ne partageons pas le même style d’humour. Gad Elmaleh est quelqu'un que j'apprécie humainement, moralement et humoristiquement. Avec Jamel, on a des désaccords connus de tous. Mais, je pense qu’il a fait quelque chose d'exceptionnel, voire iconique. A la fin des années 90 et début 2000, il a ouvert la voie à plein de gens. Mais je pense que l'humour est le reflet de la société et qu'il faut quand même être capable de se dire qu’on est là aussi pour défendre ce qu’aujourd'hui nous nous prétendons être.

Les humoristes qui m'ont beaucoup inspiré sont très engagés. Donc en France, c'est Coluche et Pierre Desproges. Je suis plus de cette école, sans les égaler évidemment. J'ai aussi beaucoup de tendresse pour Guy Bedos, Dave Chappelle… C'est important qu'un humoriste raconte la société dans laquelle il vit… Et cette époque où on moquait des accents de nos parents est aujourd'hui révolue.

Moi je n'ai pas l'ambition de faire les salles que font Gad et Jamel. Je préfère vraiment avoir une salle plus petite… Le système médiatique français et culturel propose aujourd'hui un truc assez simple: c'est que vous devez dire ce qu’ils veulent entendre. Et plus vous dites ce qu'ils veulent entendre, plus en fait, vous êtes mainstream.

Et ce n’est pas le cas pour moi, quand on essaie de me dire de ne pas réagir sur certains sujets, cela m’excite en général. C'est pour cela que je le dis avec beaucoup de sincérité. Je ne suis pas quelqu'un qui veut être dompté. J'ai choisi d'être artiste.

Je suis plus proche de Nass El Ghiwane que de Jamel Debbouze. En écoutant leurs chansons, j'ai totalement été subjugué de voir un tel engagement. Je me disais que c’est cela que je voulais faire, certes en faisant des blagues.

Quel est votre regard sur les restrictions drastiques d'obtention des visas pour la France?Certes, ce n’est pas un visa qui était proposé aux Marocains lambda. Mais, c’est quand même un document important à pourvoir. Il y a quelque temps, quelqu’un m’avait dit que neuf Marocains sur dix voulaient s'installer en France. Dorénavant ils sont quatre sur dix. La France n'est plus donc une priorité en termes de réussite.

Ceux qui veulent aujourd’hui avoir un visa pour la France sont surtout les parents qui veulent accompagner leurs enfants pour continuer leurs études là-bas et les étudiants. On doit plutôt encourager la délivrance des visas, et non pas l’inverse. Je pense que la France n'avait pas mesuré la vexation que cela allait engendrer au Maroc qui est assez conséquente.

Entre la France et l’Afrique, notamment le Maroc, c’est une nouvelle page qui s'écrit. Il faut recréer un nouveau narratif commun.

Est-ce que vous regrettez votre face-à-face avec Zemmour?Je ne regrette absolument rien. Sa vie est assez pathétique. Il a été porté par bout de bras par un système médiatique de plus en plus raciste en France, de gauche comme de droite d'ailleurs. Le vrai ennemi médiatique de la France, ce sont les musulmans. 

Le système médiatique en France est en péril. Le seul moyen d'avoir des phrases accrocheuses, c'est de faire croire que Daech s'est installé en France. Zemmour n'en est que le réceptacle. A l'époque, quand j'ai fait le débat avec lui, il n’avait pas du tout cette perspective d'être présidentiable... Il s’appelle Zemmour. Ses parents sont arabes, mais il est dans le déni. Il a déjà le syndrome du converti. Ses ancêtres n'étaient pas gaulois.

Mais il faut dire que j'ai pris beaucoup de coups après ce face-à-face, parce que Zemmour en a fait une affaire personnelle et que dorénavant il adore parler de moi. Mais, je pense que c’est parce que je le fascine et que, de plus, ce sont deux France qui s'affrontent.

Je suis fier d'être ce que je suis et du fait que je peux concilier l'idée que je suis français et que je suis tout aussi africain, marocain et musulman. Mais lui, il a cette contrariété où rien n'arrive à être ensemble. Il n'arrive pas à recoller les morceaux.

Par Hajar Kharroubi et Khalil Essalek
Le 02/10/2022 à 15h48