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ChroniqueLe Maroc invente une politique novatrice en Afrique. Pour le roi Mohammed VI, il ne s’agit en aucun cas de s’ériger en donneur de leçon. Le roi incarne une logique résolument post coloniale, dont la culture, le partage des savoirs et le co-développement sont des piliers.

Le 09/02/2017 à 12h01

Il y a quelques semaines, j’ai assisté à une rencontre entre l’ancien Premier ministre français Manuel Valls et les journalistes du quotidien Libération. Lorsque nous avons abordé les questions liées à la diplomatie française, le socialiste a insisté en particulier sur son tropisme africain. «L’avenir, c’est l’Afrique, a-t-il affirmé. C’est sur ce continent que tout va se jouer. Il a un potentiel démographique, économique et culturel absolument incroyable.» Il a alors lancé quelques propositions parmi lesquels celle d’un Erasmus africain, c’est à dire d’un programme d’échange étudiant entre l’Europe et l’Afrique, dans la veine de ce qui se fait au sein de l’Union européenne.

J’écoutais cela et je me disais que la France était décidément bien en retard quand il s’agissait de penser un rapport neuf au continent africain. Prisonnière de son histoire, l’ancienne puissance coloniale a du mal à sortir des schémas dans lesquels elle est restée longtemps empêtrée. Diplomatie souterraine, lutte d’influence, corruption au plus haut niveau, la «Françafrique» n’en finit pas de mourir depuis bientôt 50 ans. Lors de son accession au pouvoir, le président Hollande avait promis de rompre définitivement avec ces anciennes méthodes. Mais la prise de Tombouctou par les djihadistes, les rapts de Boko-Haram et l’instabilité libyenne ont eu raison de ces bonnes résolutions.

A l’inverse, le Maroc invente depuis maintenant plus de dix ans, une politique novatrice en Afrique. Pour le roi Mohammed VI, il ne s’agit en aucun cas de s’ériger en donneur de leçon ou d’établir, avec condescendance, des «zones d’influence» au sud du Sahara. Il n’est pas question non plus, comme le font en partie les investisseurs chinois, d’avoir une vision purement prédatrice, déconnectée des réalités humaines. Au contraire, le roi incarne une logique résolument post coloniale, dont la culture, le partage des savoirs et le codéveloppement sont des piliers. Avec cette idée forte en arrière-plan: l’Afrique n’a pas besoin de l’Occident pour survivre et les pays du continent peuvent et doivent établir entre eux des partenariats d’égal à égal où chacun a quelque chose à gagner.

Il faut le regretter: le continent africain est sans aucun doute le continent le moins intégré du monde. Au nord, les pays maghrébins n’ont jamais réussi à s’unir, ce qui leur fait perdre deux à trois points de PIB chaque année. Au Sud, les conflits frontaliers et l’instabilité politique ont empoisonné toute tentative d’intégration régionale. C’est contre cette fausse fatalité qu’il faut agir.

En 2008, je suis entrée au journal Jeune Afrique. Ca a été pour moi une expérience extraordinaire. D’abord parce que j’y ai appris un métier que j’aime mais surtout, parce que j’ai découvert un continent dont je ne savais rien ou si peu. A l’école, puis au cours de mes études universitaires, nous avions très peu abordé des problématiques africaines si ce n’est sous l’angle de l’entreprise de colonisation. Dans les médias ou dans la culture populaire, l’Afrique était mal connue, ramenée à des clichés. Trop souvent, le continent était associé à la pauvreté, à la famine, aux guerres, aux viols de masse ou aux génocides. Des années 80 et 90, nous avions surtout retenu la guerre des diamants en Sierra Leone, les enfants décharnés de Somalie et d’Ethiopie, le génocide au Rwanda…

En entrant dans ce journal, symbole des indépendances africaines, je découvrais un autre visage de l’Afrique. D’abord, je me délectais de passer mes journées avec des collègues camerounais, congolais, sénégalais, ivoiriens ou malgaches. Ils riaient avec moi des rapports étranges que le Maghreb a trop longtemps entretenus avec tous les pays qui se trouvent au sud du Sahara, comme si le désert établissait une frontière opaque entre nous. Ensemble, nous partagions nos cultures culinaires, musicales, nos expressions familières. Et tous les jours nous découvrions à quel point nos destins étaient liés.

Alors que le Maroc tissait sa toile sur le continent, on a aussi vu progressivement s’installer des Africains sur notre territoire. Migrants restés bloqués sur la route de l’Europe, étudiants, travailleurs ; les villes marocaines n’ont pas toujours su accueillir ces nouveaux arrivants. Et de vieux démons sont réapparus que nous ne devons pas occulter. «Sale nègre», «azzi», sont des expressions que les Noirs entendent malheureusement tous les jours. Je me souviens qu’une fois, je suis sortie de chez moi avec des boissons et des verres pour donner à boire à une bande de jeunes Camerounais qui dormaient dans la rue, à quelques mètres de ma maison. Une femme qui passait s’en est offusquée: «Pas la peine de récupérer les verres, m’a t-elle prévenu. Ils ont tous Ebola, il ne faut surtout pas s’approcher d’eux». Les préjugés ont encore la vie dure…

Dès son accession au pouvoir, Mohammed VI a compris que le Maroc ne pouvait pas rester tributaire de sa relation avec une Europe de plus en plus fermée à sa rive sud. Il a donc pris le parti naturel de se déployer vers l’Afrique, retrouvant ainsi le lien avec son histoire. Car l’empire chérifien est africain et dans ses veines coulent le fleuve Sénégal et le sable des routes caravanières. Mohammed V était déjà une grande figure panafricaine. Son exil forcé à Madagascar a contribué à lui donner cette aura et c’est lui qui, en 1961, organisa à Casablanca une grande conférence des dirigeants africains. C’est d’ailleurs à cette occasion qu’ils rédigèrent les bases de ce qui deviendrait, plus tard, l’Organisation de l’Union africaine (UA).

Le 30 janvier, le Maroc a officiellement réintégré l’UA après plus de trente ans d’absence et je dois dire que je l’ai vécu avec beaucoup d’émotion. Il y a déjà quelques années, les diplomates que je rencontrais me racontaient le travail de fourmi qu’ils effectuaient, discrets et efficaces, pour permettre au pays de continuer à compter dans le concert des nations africaines. En dix ans, la place du Maroc en Afrique a complètement changé et notre pays fait aujourd’hui figure de puissance régionale. Nos cadres voyagent dans toute l’Afrique, les médecins et les ONG marocaines exportent leur expertise et le roi est devenu, dans beaucoup de pays, une figure connue et respectée. Et s’il faut souhaiter que les relations politiques s’approfondissent, que les échanges économiques s’intensifient, il faut, avant tout, que cette relation s’incarne dans les échanges humains. Je souhaite que chaque Marocain ait l’occasion de ressentir, profondément, son identité africaine. Il faut favoriser les voyages, mais aussi l’importation et l’exportation de produits culturels, de livres, de musiques, de films. Pour cela, les médias doivent jouer leur rôle. Et il me paraît essentiel que l’Education nationale s’engage à ce que les enfants marocains apprennent d’où ils viennent et connaissent l’histoire de ce continent que le racisme et la haine ont trop longtemps divisé. 

Par Leila Slimani
Le 09/02/2017 à 12h01