Quand le viol est subordonné à la liberté d’expression

Zineb Ibnouzahir

Zineb Ibnouzahir . Achraf Akkar

ChroniquePlutôt que de faire preuve de réserve et de laisser la justice faire son travail, on affiche son soutien au présumé agresseur, crachant ainsi à la figure de celle (ou celui) qui a porté plainte, niant jusqu’à son existence.

Le 02/08/2020 à 12h07

Depuis quelques mois, on assiste sur les réseaux sociaux à une levée de boucliers contre les autorités marocaines qui mèneraient une véritable chasse aux sorcières contre des journalistes dérangeants, autrement dit les «vrais» journalistes, car il va de soi que tous les autres, ceux qu’on laisse bosser, sont des «vendus», des scribouillards à la solde de l’Etat.

Le lien commun entre les charges retenues contre ces journalistes dérangeants: des affaires de violences sexuelles. C’est là que ça devient intéressant, car visiblement, être accusé de viol quand on est journaliste au Maroc serait en fait une feinte pour mieux museler la liberté d’expression. Mais à vrai dire, ce n’est pas là l’objet de cette chronique, car il ne s’agit pas ici de se mêler d’affaires qui font actuellement l’objet d’enquêtes. A chacun son taf. Ce qui nous intéresse ici, c’est cette tendance à s’improviser justicier, à réfuter, quand ça nous arrange, des décisions de justice, d’autant plus quand l’affaire en question prend une certaine tournure médiatique à l’international.

Ce qui nous aussi intéresse aussi, c’est le profil des nombreux soutiens des journalistes accusés de violences sexuelles, parmi lesquels figurent bon nombre de grandes féministes.

La plupart se sont fait un devoir, en bonnes militantes, de s’insurger depuis le Maroc contre la nomination de Roman Polanski aux César en fustigeant ceux qui suggéraient la séparation entre l’homme qu'il est et son œuvre d'artiste. Elles ont applaudi à tout rompre Adèle Haenel qui a quitté la salle lors de la cérémonie en signe de dégoût et de révolte. Elles ont partagé avec enthousiasme la chronique de Virginie Despentes, reprenant avec joie son slogan «désormais, on se lève et on se barre».

Avant cela aussi, elles étaient partisanes du mouvement #metoo, s’extasiaient devant le courage des victimes de Harvey Weinstein qui osaient enfin parler, dénoncer, et allaient même jusqu’à encourager leurs sœurs marocaines à suivre ce mouvement… Bref, ces femmes là portaient à croire qu’elles seraient toujours du côté des femmes, quoiqu’il en soit, faisant bloc contre l’oppression machiste et patriarcale, quitte à ne plus savoir séparer le bon grain de l’ivraie.

Mais la donne change visiblement quand ces scandales d’ordre sexuel se déroulent chez nous, au Maroc. Ces militantes n’ont absolument aucun problème à retourner leur veste, changeant de camp et choisissant de victimiser celui contre lequel pèse des charges, pour peu qu’il représente une figure sympathique et connue. Mais pas seulement. Ce qui transparaît aussi dans ce féminisme à géométrie variable, c’est qu’on décide de changer son fusil d’épaule en fonction de la hiérarchisation que l’on établit des causes à défendre. Et en l’occurrence, le viol est subordonné à la liberté d’expression.

Ainsi, dans le cas des journalistes qui font l’objet d’une enquête, plutôt que de faire preuve de réserve, et de laisser la justice faire son travail, on affiche son soutien haut et fort au présumé agresseur sur les réseaux sociaux, crachant ainsi à la figure de celle (ou celui) qui a porté plainte, niant jusqu’à son existence, et déplaçant le débat sur un autre terrain, celui de la guerre menée contre la liberté d’expression au Maroc.

«C’est impossible qu’il fasse une chose pareille, c’est un mec très sympa», est même allée jusqu’à écrire l’une d’entre elles… Feignant ainsi de ne pas savoir que bon nombre de violeurs sont des «mecs très sympas» au quotidien, que ce sont même souvent de bon pères de famille, aimés de leur femme et de leurs enfants, des fils modèles, des voisins avec qui on partagerait bien l’apéro, des profs que tout le monde adore…

Il y a quelques mois à peine, on clouait au pilori toutes les fans d’une certaine pop star, qui continuaient à afficher leur soutien à leur idole. On les traitait alors de groupies, d’écervelées, de femmes qui ne feront jamais avancer la cause féminine et on allait même jusqu’à leur souhaiter d’être elles-mêmes victimes d'un viol pour mieux compatir avec les présumées victimes de leur idole. Et quand le chanteur en question a retrouvé la liberté, on a crié au scandale, balayant d’un revers de main indigné les théories du complot qui étaient avancées par certains de ses soutiens.

Deux poids, deux mesures… Autant dire que le malaise ressenti chaque jour en lisant ces prises de position contradictoires et intempestives grossit à vue d’œil. Car pour peu que l’on choisisse de garder le silence sur ces affaires de mœurs, de violences et de viols, le temps que l’enquête soit menée jusqu’au bout, on est alors taxé de traître, de lâche et de vendu. Comme si se taire revenait à accuser, à détourner le regard d’un crime qui est en train d’être commis. Pour peu que l’on accorde un peu d’attention à la plaignante ou que l’on compatisse avec elle contre le lynchage en ordre organisé, qui la viole, chaque jour, une deuxième, une troisième… une centième fois, notre féminisme devient dès lors suspect.

Reste à espérer qu’à l’avenir, par respect pour les victimes «avérées» de viol, ces défenseurs et défenseuses de grandes causes médiatisées, sauront faire preuve de retenue, en gardant le silence.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 02/08/2020 à 12h07